[Avis d'expert] Travailler avec un fournisseur unique: une situation à éviter?
Pour la plupart des acheteurs, se retrouver face à un fournisseur unique ne relève pas d'une partie de plaisir... mais quels sont les risques liés à une telle situation ? Existe-t-il des solutions pour y remédier ? Voici quelques éléments de réponses à ces interrogations.
Je m'abonneDe nombreuses études placent la réduction du nombre de fournisseurs comme un objectif premier au sein des directions achats. En effet, si la rationalisation des panels reste à la page, le sourcing unique est quant à lui beaucoup moins souhaité. Cependant, qu'en est-il lorsque notre environnement (marché amont, hiérarchie interne, clients) nous impose de travailler avec un seul et unique fournisseur ? Nous verrons dans un premier temps les risques et contraintes que sous-entend une telle collaboration. Enfin nous proposerons quelques leviers d'actions pour les acheteurs évoluant dans un tel contexte.
Travailler avec un seul fournisseur : pourquoi cela peut-il être risqué ?
Le premier manque à gagner, lorsque l'on traite avec un fournisseur unique, c'est la non-possibilité de faire usage d'un levier considérable pour tout acheteur : la mise en concurrence. En effet, difficile de pousser le fournisseur à diminuer ses prix, augmenter sa performance, ou simplement sortir d'une situation bloquante, lorsqu'on ne peut pas faire jouer la carte du chantage par la rupture du contrat, synonyme de la perte du marché pour celui-ci. Ce manque de flexibilité de la part du fournisseur est typique des situations de mono-sourcing, ce dernier voyant le rapport de force pencher en sa faveur. Par ailleurs, cette situation peut devenir critique, lorsqu'elle mène à une entrave partielle voire totale de l'approvisionnement. Il existe plusieurs cas concrets où les achats, et donc l'entreprise, seraient directement impactés (par exemple, si le fournisseur subit des grèves, pénuries ou tout autre cas d'urgence, ou simplement si sa capacité de production est momentanément réduite). Dans ce deuxième cas, un fonctionnement en marché ouvert, ou une stratégie de dual-sourcing aurait permis de réduire considérablement les risques de pénuries, par le recours à d'autres alternatives d'approvisionnement.
C'est d'ailleurs cette problématique que le groupe Volkswagen a rencontrée durant l'été 2016, lorsqu'un fournisseur a suspendu l'approvisionnement de certaines pièces, mettant en grande difficulté la production des véhicules, qui a priori n'avait pas prévu de back-up. Cette pénurie a par la suite été la cause d'un questionnement stratégique au sein du groupe, qui s'est interrogé sur une potentielle transition vers du multi-sourcing pour les pièces en question.
Comment faire face à cette situation ?
Le département achats n'est pas le bénéficiaire de ce qu'il achète, mais bien l'entreprise. Il est donc logique que la direction prenne conscience des risques que suppose une relation avec un fournisseur unique, surtout si le produit / service sourcé est critique pour l'activité de l'entreprise.
Si les acheteurs ne peuvent pas remédier eux-mêmes à une telle problématique sur le court terme, ils doivent tout de même être en mesure d'informer leurs collaborateurs des risques et conséquences que comporte ce mode d'approvisionnement. Ainsi tout impact lié à cette organisation (hausses tarifaires, baisse du taux de service, pénuries) sera clair et justifié aux yeux de la hiérarchie.
Il est crucial que la direction comprenne que cette dépendance à un seul fournisseur n'est pas qu'une problématique strictement "achats" , mais que c'est bien l'ensemble de l'organisation de l'entreprise qui encourt un risque. Cette idée doit être fermement défendue et communiquée par les acheteurs en interne. En effet, si le lien entre stratégie mono-sourcing et risque business est clairement établi, la hiérarchie sera probablement plus encline à intervenir pour proposer un changement.
Lire la suite en page 2 : En parallèle à cette prise de conscience de la hiérarchie, il existe plusieurs actions concrètes qui peuvent être menées :
En parallèle à cette prise de conscience de la hiérarchie, il existe plusieurs actions concrètes qui peuvent être menées :
1 - Revoir le sourcing : mon fournisseur est-il le seul à proposer le produit / service qui réponde exactement à mon besoin ?
La réponse à cette question est essentielle ; en effet beaucoup d'entreprises (dans le cas où le mono-sourcing est imposé par une situation de monopole) pensent que leur fournisseur est le seul à proposer son produit sur un marché donné, non pas parce qu'il l'est réellement, mais parce que leur sourcing de départ a été insuffisant, au point de ne pas se rendre compte que cette demande pouvait être satisfaite par d'autres entreprises. Il peut aussi s'agir d'un cas où lorsque le fournisseur avait été retenu, il était bien le seul à proposer ses services. Dans ce cas, un sourcing du marché mis à jour doit être réalisé en profondeur, afin de chercher d'autres entreprises qui pourraient actuellement répondre à mon besoin.
2 - S'il s'avère néanmoins que l'exclusivité de mon fournisseur est bien légitime, quelques options restent envisageables :
Revoir le besoin en termes de produit : il convient ici de s'interroger sur la possibilité de modifier certains aspects de mon produit/service, afin que ce dernier puisse être proposé par un panel plus large de fournisseurs. Cette étape passe par une refonte en détail du cahier des charges. Cette tâche peut être longue et coûteuse ; les savings potentiels devraient être conséquents (un soutien de la direction prendrait ici tout son sens).
Influencer le besoin en amont : au lieu de devoir agir sur la modification du besoin après sa définition, l'idée serait ici de faire des achats un acteur à part entière dès la création même du produit ou service. Des acheteurs impliqués dès cette phase pourraient renseigner leurs collaborateurs sur de potentiels risques liés à une offre fournisseurs limitée, quand celle-ci ne serait pas unique. Encore une fois, une hiérarchie convaincue de l'importance d'un sourcing bien établi ne pourrait qu'encourager ce type de pratiques.
En conclusion, la problématique du mono-sourcing et les enjeux qui s'y rattachent, dépassent de loin le cadre de la fonction achats. Les risques qui découlent d'une relation mono-sourcing sont nombreux. En cas de défaillance du fournisseur, les impacts sur l'ensemble de l'organisation peuvent atteindre des proportions considérables. Nous retenons qu'il existe tout de même des moyens pour les entreprises de remédier à cette situation, notamment par une remise en question de l'existant, tant au niveau du fournisseur que du besoin. À noter qu'une hiérarchie informée et consciente de la criticité d'un tel sujet représentera un atout majeur dans ce type de démarche.
Par Olivier Wajnsztok - est directeur associé du cabinet AgileBuyer, spécialisé dans les équipiers achats (acheteurs professionnels qui traitent de projets achats chez les clients), le conseil et le coaching d'acheteurs.