[ITW Michel Sapin] "Dans la lutte contre la corruption, la France a longtemps été considérée comme la lanterne rouge des autres pays"
La loi Sapin 2 a été adoptée le 8 novembre 2016. Quelles conséquences pour les acheteurs et la compétitivité des entreprises françaises? Réponses de l'ancien ministre de l'économie et des finances et auteur de la loi, Michel Sapin, invité de la keynote d'ouverture de la 10e édition des TDA 2018.
Je m'abonneQuels sont les objectifs de la Loi Sapin II dans la lutte contre la corruption?
Le coeur de la loi Sapin II dans la lutte contre la corruption est d'imposer aux grandes entreprises qui produisent, des obligations en terme de prévention de la corruption. C'est donc prévenir mais aussi à punir car il des dispositions pénales sont prévues. Le coeur de la loi c'est à l'étranger : c'est la corruption pour les marchés publics, la corruption pour le BTP pour la vente ... ou pour obtenir un permis minier... C'est cette corruption là qui est un fléau pour les pays en voie de développement qui est dans le viseur de la loi Sapin II. Car aujourd'hui, le jeu n'en vaut pas la chandelle. Ainsi, les conséquences d'une attitude corruptive lorsque vous êtes pris sont gravissimes pour l'entreprise en termes d'image, de capacité à accéder à des marchés publics, mais aussi en terme de risques vis-à-vis de grands pays comme les Etats-Unis.
Existe-t-il des secteurs d'activité plus vertueux que d'autres en terme de lutte contre la corruption?
La question du BTP est une question franco-française qui a été régulé par la loi Sapin I qui s'attaquait à la corruption sur le territoire français de personnes d'autorités françaises. Aujourd'hui du côté des grands marchés de l'eau et du BTP je crois qu'en France les choses se sont plutôt assainies. Le risque est plutôt à l'extérieur de la France, soit celui d'une entreprise qui produit depuis l'extérieur et à l'extérieur : dans quelles conditions le fait-elle ? Et c'est là-dessus que les nouveaux textes font porter leur attention.
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Quelle(s) conséquence(s) pour les acheteurs et leurs fournisseurs?
Si je me place du côté de l'acheteur, je dirai qu'il y a un peu la même préoccupation, pour un acheteur privé ou un acheteur public. Car s'il s'avérait qu'un produit a été élaboré dans des conditions non conformes aux obligations environnementales ou sociales, cela pourrait avoir des conséquences très lourdes. Donc l'intérêt de tous aujourd'hui, c'est de faire en sorte qu'il n'y ait plus de soupçon sur tous ces sujets. Et que plus personne ne puisse jeter l'opprobre sur l'acheteur lui-même. Nous avons également crée l'AFA (Agence française anticorruption) dont l'objectif principal est la prévention, l'éducation et le conseil. Mais l'AFA peut aller un peu plus loin. Si elle sent qu'une entreprise est récalcitrante, elle peut prendre des sanctions. Mais l'objectif est avant tout d'aider les entreprises à mettre en oeuvre les dispositifs qui leur permettent non pas d'éviter à 100% des situations de corruption ou d'exploitation scandaleuse du point de vue social ou d'atteintes à l'environnement. On ne peut pas éradiquer cela à 100% mais d'avoir pris toutes les mesures pour être informé quand on est client ou fournisseur avec un dispositif comme celui-ci.
Justement la France est-elle plutôt bonne élève sur le sujet?
La France a longtemps été considérée comme la lanterne rouge des autres pays. Ce que je trouve injuste car c'était loin d'être le cas. Mais l'OCDE nous classait extrêmement mal car nous n'avions pas adopté les textes qu'elle préconisait. De même, les grandes ONG comme Transparency international nous classaient aussi très mal car nous n'avions pas les dispositifs nécessaires. Or à un moment donné pour un pays d'être aussi mal considéré cela devient un handicap pour ses entreprises. Il était donc indispensable de ce point de vue là de rétablir la barre et de se remettre dans la voie.
La France n'était pas en retard dans les faits mais en retard dans la tête et en terme d'image. Je crois que c'est un des effets positifs de la loi Sapin c'est d'avoir remis la France au niveau des meilleurs standards pas plus. Il ne faut pas croire qu'on nous embête plus en France avec une réglementation dure. On est dans quelque chose qui nous permet de parler d'égal à égal avec les Etats-Unis, la Hollande ou la Grande-Bretagne, avec l'Allemagne. C'est indispensable! Car il était inacceptable, y compris en terme de souveraineté, que les poursuites et les condamnations viennent des USA sur des entreprises françaises pour des faits commis hors du territoire américain et français à l'étranger. C'est à nous de faire notre police ! Et c'est ce que nous pouvons faire maintenant grâce à la loi Sapin II.
Qu'en est-il de la lutte contre la corruption à l'international?
A l'échelle internationale ce n'est pas un pays seul qui peut agir. Il faut que ce soit fait d'une manière coopérative et coordonnée avec d'autres pays. Et d'abord au niveau de l'Europe. Sur tous ces sujets là il y a des législations qui sont maintenant harmonisées avec des directives. De plus, l'OCDE a fait un travail remarquable pour donner des orientations et vérifier que les règles soient respectées dans tous les grands pays de l'OCDE. Enfin, aujourd'hui cela devient une vraie préoccupation pour des organismes comme le G20. De même que le G20 s'est construit pour mettre en place de la régulation financière et éviter des bulles spéculatives comme celle de la crise de 2009, aujourd'hui, le G20 est préoccupé par des régulations environnementales, sociales. Même si cela est très compliqué et très difficile puisque certains pays si je puis-dire, bénéficient de la légèreté de leur réglementation sociale et environnementale pour produire à très bas prix. Je vois par exemple des affaires de corruption qui sont traitées de manière commune par les autorités allemande, anglaise et française. Enfin, il y a aussi des coopérations avec les USA.
Peut-on parler sur ce sujet du pouvoir de l'opinion publique ?
Oui car le pouvoir de l'opinion publique a évolué sur ce point. Je me souviens d'un temps où à l'étranger la corruption était considérée comme un argument commercial comme un autre. Et où c'était même presque administrativement codifié. Tout ceci n'est plus possible pour des raisons parfaitement légitimes. On peut parler du pouvoir de l'opinion publique, mais au fond c'est la normalité. Il n'y a pas de raisons que l'entreprise qui respecte toutes les règles soit pénalisée par l'entreprise qui ne les respectant pas peut aboutir à des prix qui sont plus intéressants. Je pense que ça a basculé. A un moment donné, la question du prix compte et on ne se préoccupe pas de savoir comment ce prix a été atteint et à un autre moment il n'y a pas que la question du prix. Ce n'est pas seulement la question de la qualité mais aussi de savoir dans quelles conditions ce produit est arrivé jusqu'à nous.
Enfin, quel message adresseriez-vous aux donneurs d'ordre?
Pour les donneurs d'ordre comme pour les fabricants et les fournisseurs, on a changé le monde. Ainsi, des choses qui étaient considérées comme banales il y a 10 ans sont aujourd'hui des éléments fondamentaux de la décision d'achat. C'est donc dans l'intérêt de chacun des acteurs d'être le plus irréprochable possible. Enfin, je ne sais pas si on peut parler d'exemplarité mais c'est plutôt l'inverse. C'est celui qui ne fait pas qui est montré du doigt.
Voir la vidéo de la keynote de Michel Sapin aux Trophées Décision Achats:
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