Gérer ses stocks au temps de la Covid
En cette période de crise sanitaire, les acheteurs doivent répondre à deux injonctions contradictoires : faire des économies tout en sécurisant leurs approvisionnements. Une numéro d'équilibriste qui exige une bonne gestion de ses stocks.
Je m'abonneLes achats sont au centre de la gestion de la crise de la Covid-19. D'un côté, les problématiques de trésorerie trouvent une partie de leur réponse dans les économies réalisées sur les dépenses ; de l'autre, il est demandé aux acheteurs de sécuriser les approvisionnements, pour éviter des pénuries comme lors du premier confinement. Les achats ont donc un rôle d'équilibriste à jouer : réduire le niveau des stocks pour diminuer les coûts tout en s'assurant d'aucune rupture pour continuer à produire et à livrer les clients.
Comment procéder sans devenir totalement schizophrène ?
Faire évoluer ses scénarii
Première solution: établir des scénarii pour adapter le niveau des stocks à la réalité. Ce qui n'est pas simple quand, de manière imprévisible, les demandes explosent sur telle ou telle catégorie de produit. "Avec la crise de la Covid-19, on a assisté à des tensions logistiques, à des rayons vides, des sites e-commerce qui ne suivaient plus la cadence... Les systèmes de prévision des entreprises, qui analysent des événements passés, étaient incapables d'anticiper de tels pics et les stocks de sécurité étaient insuffisant", analyse Laurent Homeyer, industry Advisor, Retail and Hospitality, chez Workday. Comment faire, alors, lorsque les outils de gestion de stocks usuels ne fonctionnent plus ? Pour Christophe Viry, directeur stratégie et produit chez Generix Group, l'humain devient alors primordial: "Lorsque, dans des périodes comme celles que nous vivons, des produits ne vont pas être vendus tandis que d'autres, au contraire, explosent, l'humain doit être là pour optimiser ce que propose l'outil", souligne-t-il.
Mais même si la façon d'établir des scénarios doit être revue, il ne faut pas arrêter d'en faire lors de ces périodes imprévisibles, bien au contraire. Il s'agit par contre, de faire évoluer ses pratiques. "Avec la crise de la Covid-19, il ne faut pas s'arrêter aux ventes passées mais adjoindre de nouvelles informations : le profil et les achats des nouveaux clients, la planification des ventes par le marketing, etc.", conseille Thierry Bertin-Mahieux, CTO et co-fondateur de Singuli, une start-up qui applique l'intelligence artificielle à l'univers du retail. Il invite aussi à évaluer le coût d'une rupture de stock et d'un surstock, pour prendre conscience de la nécessité de s'atteler au problème.
Coller à la demande clients
Laurent Homeyer insiste sur la nécessité d'une planification "continue, dynamique et adaptable qui intègre l'ensemble des données et génère des scénarios qui sont rapidement activables d'un point de vue opérationnel". Parmi les données à suivre de près pour adapter ses stocks à la situation réelle : la demande des clients. "Il faut s'adapter à la demande réelle des clients, tout part de là", souligne Sacha Bouyer, directeur conseil supply chain au sein d'Adameo. Il recommande d'utiliser le Sales and Operations Planning (S&OP). "C'est un process qui existe depuis longtemps mais qui se bonifie avec le temps et les technologies : il est notamment possible d'effectuer des projections long terme tout en prenant également en compte les demandes court terme du terrain". Utile lorsqu'il s'agit de s'adapter à des pics de consommation ou de déconsommation totalement imprévisibles: dans des temps agités comme celui que nous vivons, l'aspect court-terme prévaut.
Sacha Bouyer parle aussi du DDMRP (Demand Driven Material Requirement Planning) qui consiste à gérer la supply chain par la demande et en plaçant les flux au coeur de la réflexion. "L'objectif du DDMRP est d'optimiser la gestion des stocks et d'améliorer le niveau de service. Il s'agit de raccourcir la chaîne d'approvisionnement en mettant en place des points de découplage des stocks stratégiques pour mieux s'adapter aux différents segments de marchés", détaille-t-il. Au-delà des clients (et donc des ventes futures), c'est aussi du côté des fournisseurs (et de leur capacité à livrer) qu'il faut regarder : Laurent Homeyer met en garde quant à la bonne prise en charge des risques à travers une analyse des performances des fournisseurs et la diversification des sources d'approvisionnement. "C'est l'occasion de se tourner vers le sourcing local, de plus en plus plébiscité par les consommateurs", avance-t-il.
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Positionner des stocks stratégiques
Au-delà des outils de prévision, c'est également l'organisation autour des stocks qu'il faut revoir dans une période comme aujourd'hui. Pour Laurent Homeyer, la première mesure à prendre est d'augmenter le stock de sécurité. "On peut aussi étendre l'assortiment pour proposer des produits de substitution", ajoute-t-il. Mais comment faire quand il est également demandé de faire des économies ? Sacha Bouyer invite à positionner et dimensionner à certains endroits seulement des stocks stratégiques qui jouent le rôle d'amortisseur. "Cela permet un écoulement fluide de toute la chaîne d'approvisionnement", précise-t-il. Des stocks stratégiques à positionner en fonction des délais d'approvisionnement de certains produits ou encore de leur saisonnalité, pour éviter tout risque de rupture.
Laurent Homeyer invite aussi à garantir la circulation des stocks grâce à un bon réseau de transport mais aussi en jouant sur les fréquences de livraison entre les entrepôts et les magasins. "Il y a en effet beaucoup de produits qui ne sont pas pénuriques mais qui ne se trouvent pas dans les magasins au bon moment", souligne-t-il. Il invite également à tenir compte de la progression du e-commerce et d'adapter son organisation pour en tenir compte. "Ce n'est plus une activité anecdotique et il faut s'assurer de sa rentabilité".
Intégrer ses fournisseurs dans sa stratégie de gestion de stock
Cette nouvelle organisation doit inclure les parties prenantes de l'entreprise. Sacha Bouyer pense qu'il est utile de mettre en place une stratégie avec ses fournisseurs, chacun hébergeant chez soi une partie du stock. "Cela permet de partager les risques, explique-t-il. Mais il faut que ça se fasse dans une relation gagnant/gagnant, à travers du partage d'information : le donneur d'ordre peut par exemple communiquer ses prévisions sur un horizon long-terme ou encore s'engager sur une période ferme de livraisons afin de gérer les approvisionnements en juste-à-temps et de retirer la contrainte du minimum de quantité de commande par article". De quoi diminuer les coûts de la chaîne d'approvisionnement.
Christophe Viry observe aussi la généralisation de la pratique qui consiste à faire livrer le client final par le fournisseur directement. "C'est ce que fait depuis longtemps Amazon : il faut réussir à savoir quels produits le fournisseur disposent en stock et que l'on peut commencer à vendre avant même de les avoir achetés", indique-t-il. Bien sûr, nous l'avons dit, des contreparties doivent être trouvées pour que les fournisseurs jouent le jeu : il faut également transmettre à ses fournisseurs des informations qui peuvent leur être utiles. "Ces échanges d'informations passent de plus en plus par des plateformes collaboratives : les fournisseurs y viennent notamment pour avoir des informations quant au règlement de leurs factures mais aussi, parfois, sur les ventes de leurs donneurs d'ordre aux clients finaux", explique Christophe Viry.
Sacha Bouyer note aussi la montée en puissance des plateformes collaboratives qui permettent de partager l'information avec ses tiers (fournisseurs, logistique, transporteur, etc). De quoi accéder à des données utiles pour faire des prévisions plus justes. Et s'adapter en temps réel aux évolutions. "Nous allons vivre de nouveaux déconfinements/reconfinements: l'organisation doit pouvoir en tenir compte et basculer efficacement d'un schéma à un autre", conclut Laurent Homeyer.