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La boîte à outils de L'Efficacité professionnelle
Chapitre I : Sortir la tête de l'eau
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- Publié le 28 nov. 2017
La boîte à outils de L'Efficacité professionnelle
6 chapitres / 71 fiches" Mieux vaut allumer une bougie que maudire les ténèbres. "
Lao Tseu
Le marchand d'étoffes et le sage
Il était une fois un marchand drapier qui avait repris le commerce de son père. Les affaires étaient florissantes et ses amis le félicitaient de sa bonne fortune. Le port tout proche apportait à la ville sa prospérité et au marchand d'étoffes une clientèle riche qui renouvelait ses achats au gré de la mode. Tant et si bien que le drapier était débordé de travail.
Il se rendait dès avant l'aube sur les quais pour réceptionner les lots de marchandises en provenance des Flandres ou de la lointaine Asie et négocier ses futures livraisons. Il préparait les étals de sa boutique avant l'arrivée des premiers chalands. Tout le jour, il conseillait, mesurait, encaissait les pièces d'or et d'argent en échange de lés de brocards et de fine baptiste ou de rubans de dentelle d'Alençon. Le soir encore, il faisait l'inventaire de sa marchandise pour préparer ses commandes. Il se couchait épuisé et recommençait le lendemain à la même cadence.
S'il faisait très bien son travail, pour la plus grande fierté de son vieux père, il n'était pas heureux. Il aimait les étoffes, certes. Il caressait du bout des doigts leur tissage et eût été capable de les nommer les yeux bandés. Douceur de la flanelle, velouté nuancé du damas, moelleux du cachemire, surface lisse du satin ou délicate de la soie.
Mais dans ses rêves, il manipulait le fil et l'aiguille. Lorsqu'un client pénétrait dans sa boutique, il regardait son vêtement d'un oeil connaisseur. Dans la plupart des cas, il trouvait à redire sur la coupe, le revers du col ou des manches, ou sur l'harmonie des étoffes. Il repérait les faux plis, les boutonnières mal finies, les ourlets fragiles. " Je serais capable de faire mieux ", soupirait-il. Mais son travail ne lui laissait pas le temps de développer son talent pour répondre à l'appel de sa vocation.
Un soir, un vieil homme portant un manteau usé jusqu'à la corde franchit le seuil de l'échoppe. Le marchand s'empressa de le conduire dans l'arrière-boutique pour le soustraire au regard désapprobateur des quelques clients fortunés qui s'y attardaient encore. Le vagabond exhiba un vilain accroc qui s'étirait sur une bonne longueur de sa jambe.
- Les chiens non plus n'aiment pas les vieux sages, plaisanta-t-il gaiement. Auriez-vous quelque morceau de tissu pour rapiécer mon pantalon ? Peu importe la qualité, ajouta-t-il pour mettre à l'aise le drapier. Je n'ai pour vous payer que cette pièce de cuivre.
Le drapier avait le coeur généreux.
- Retirez votre habit, brave homme, répondit-il. J'ai suffisamment de chutes pour vous confectionner une culotte neuve. Laissez-moi juste le temps de servir mes derniers clients.
Il revint quelques instants plus tard la mine réjouie. Cette demande inhabituelle était une belle occasion de jouer de l'aiguille. Il prit les mesures du vieil homme, coupa dans un reste de casimir vert sombre et s'absorba dans son travail de couture. Le sage le regardait sans broncher. Il attendit que le drapier eût terminé la boutonnière la plus régulière qu'il eût jamais vue pour rompre le silence.
- Tu aimes passionnément ton métier, observa-t-il.
Le visage du drapier s'assombrit.
- Hélas, répondit-il, la couture n'est pas mon métier. Je ne fais que vendre le tissu que d'autres façonnent à ma place.
- Pourquoi, s'enquit le voyageur, lorsque l'aiguille te procure tant de joie, n'en fais-tu pas ton quotidien ?
- Une partie de moi en rêve, admit le drapier. Mais l'autre a peur. Que dirait mon vieux père si je laissais tomber le commerce qu'il m'a légué ? Et puis c'est trop risqué. Ma clientèle a ses habitudes chez d'autres couturiers.
Le vieux sage laissa le drapier finir d'ajuster le vêtement sur lui.
- À quelle partie de toi as-tu envie de confier ta vie, interrogea-t-il enfin. À celle qui a peur ou à celle qui a envie d'être heureuse ?