Digitalisation des achats : des intentions au déploiement
S'ils ont encore du mal à se généraliser, les projets de digitalisation des processus achats sont dans toutes les têtes, selon l'étude PWC Europe. 2019 pourrait bien être une année charnière en la matière. L'intelligence artificielle et ses promesses notamment sont au coeur des perspectives.
Je m'abonneLe spécialiste du conseil et de l'audit PwC vient de publier les résultats de son étude 2019 sur la digitalisation des pratiques relatives aux achats. Premier constat éloquent : cette tendance devient aujourd'hui bien plus concrète. En Europe comme en France, 2,5 processus sur 7 sont désormais digitalisés en moyenne, contre 1,5 processus sur 7 en 2017. L'étude indique que 63 % des directions achats européennes (52 % des directions achats françaises) projettent des investissements dans au moins 4 technologies. 60 % des entreprises interrogées ont entamé la digitalisation de processus stratégiques, concernant par exemple le sourcing, le prédictif ou la relation fournisseurs. Elles étaient seulement 21 % en 2017.
La digitalisation dans les achats représente un marché en forte croissance, puisqu'il affiche une progression de 10 % par an. "Les directions achats n'ont pas le choix. Elles doivent adopter cette transformation de leurs pratiques. Il en va de l'adaptation des acheteurs à la demande d'efficacité, aujourd'hui de plus en plus forte. Les responsables achats doivent également travailler de façon accélérée sur les questions de conformité, une meilleure gestion des risques, l'application de politiques RSE... Autant de notions qui étaient bien moins présentes il y a quelques années encore. L'arrivée de la jeune génération, avec les enjeux d'attractivité qui y sont liés, explique également cette tendance", analyse Isabelle Carradine-Pinto, directrice en charge de la compétence de conseil en achats chez PwC.
Des freins persistants en France
Il subsiste pourtant encore des obstacles au déploiement de solutions de digitalisation des processus. Les niveaux d'investissement envisagés restent encore assez faibles, même s'ils sont plus importants en Europe de manière générale qu'en France. L'adoption de solutions numériques était déjà moindre au cours des années précédentes. "En comparant les montants investis dans les systèmes ERP dans l'Hexagone, on constate une implication moins forte qu'au Royaume-Uni ou qu'en Allemagne. Pour autant, en France, on a procédé en 2018 à de nombreux POC (Proof of concept) relatifs à des solutions d'intelligence artificielle, de machine learning, des outils visant à se tourner vers des places de marché. Il existe donc un engouement, un intérêt réel, mais sans que les intentions se traduisent par un passage à une généralisation", souligne Isabelle Carradine-Pinto.
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Les voisins allemands se montrent particulièrement enclins à se tourner vers une digitalisation à grande échelle des processus achats : "ils ont un train d'avance sur les sujets du source-to-Pay, la robotisation, et même la blockchain", poursuit-elle. Le niveau de digitalisation atteint 43 %, tandis que les intentions d'investissement en la matière culminent à 90 %. En France, les projets de digitalisation d'ores et déjà initiés représentent 39 %, mais les intentions ne se situent qu'à 57 %.
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L'offre pléthorique du marché français expliquerait également en partie cette réalité : le grand nombre d'éditeurs dans l'Hexagone fait que les entreprises ne savent pas trop s'il est souhaitable de se lancer ou pas. Pour Isabelle Carradine-Pinto, "les craintes que les technologies proposées par le marché disparaissent ou soient rachetées dans un avenir à court terme sont tenaces. Celles-ci peuvent se comprendre. Les dirigeants font part d'inquiétudes à l'idée qu'année après année, une technologie émerge et prenne la place de la précédente." Elle appelle d'ailleurs dans ce contexte à ne pas céder à la guerre des prix : "il peut être tentant de s'intéresser d'abord au coût à court terme que représente la mutation digitale, mais il est préférable de réfléchir plutôt au retour sur investissement à long terme, à la nature de la valeur ajoutée, aux motivations initiales qui conduisent à se tourner vers un prestataire technologique plutôt qu'un autre."
L'étude de PwC révèle des différences d'adoption notables en fonction des secteurs d'activité. Le secteur industriel est bien moins avancé que les services qui sont historiquement plus enclins à modifier leur organisation et adopter des outils innovants, comme les innovations relatives au CRM il y a quelques années, ou des nouveautés cloud plus récemment. L'appétence à l'égard des solutions digitales est plus grande. "Dans le secteur industriel, globalement, les innovations relatives à l'industrie 4.0 suscitent un grand intérêt. On ne peut pas en dire autant des solutions digitales en lien avec le processus transactionnel où le secteur des services a une longueur d'avance", remarque Isabelle Carradine-Pinto.
L'intelligence artificielle au coeur des enjeux
L'évolution récente montre une orientation claire vers le potentiel de l'intelligence artificielle. A la différence de 2017, les entreprises ont en 2019 presque toutes au moins réalisé un test relatif à des solutions d'intelligence artificielle, comme des outils basés sur le Machine learning visant à améliorer les résultats proposés par les catalogues électroniques, l'expérimentation de chatbots en matière de relations fournisseurs, ou encore des tâches plus complexes comme des opérations visant à tendre vers un sourcing d'une nouvelle génération, plus pertinent, plus ciblé. A l'inverse, la blockchain génère moins de retour favorable et d'engouement. Isabelle Carradine-Pinto ajoute par ailleurs que "l'intelligence artificielle souffre encore d'une réputation infondée liée à son coût. Cette notion regroupe des technologies très disparates. Certains outils en la matière sont peu coûteux, alors qu'ils sont synonymes d'une grande valeur ajoutée."
Les innovations permettant des prédictions devraient également tenir une place de choix dans les années à venir, même si c'est un sujet que les directions achats ne se sont pas encore appropriées. " Dans certains domaines, le potentiel des technologies prédictives reste très incertain, comme la prévision des risques liés aux politiques économiques, à la rupture de certaines matières premières. A l'heure actuelle, il existe une pénurie de sable qui provoque des manques importants dans le domaine de la construction. Aucun acteur du secteur n'a su anticiper ce phénomène ", précise-t-elle.