Imposer des conditions générales d'achat : la dérive de la négociation?
Dans l'industrie, les relations clients-fournisseurs semblent s'améliorer. Cependant, un sujet épineux persiste : celui de l'imposition des conditions générales d'achat (CGA) en lieu et place des conditions générales de vente (CGV) comme le veut la loi Hamon. Explications.
Je m'abonne"Il faut qu'en France on arrête de dire le fournisseur c'est source d'économies. Le fournisseur doit être source de valeur ajoutée! Aujourd'hui trop de donneurs d'ordre s'approprient la propriété intellectuelle pour lancer des appels d'offres généraux, enfin d'autres encore font des notes de débit quand il y a des pénalités ou des retards de livraison, ou ne respectent pas le transfert de responsabilité quand il y a la livraison du produit ... " , explique Bruno De Chaise Martin, président du syndicat national du décolletage et président du Cenaste (centre national de la sous traitance) à l'occasion d'une table-ronde sur le salon Industrie 2016.
Autre cas d'école : un industriel fait passer un appel d'offres dans lequel une matière première extrêmement volatile qui constitue 30 à 40% du coût final. L'acheteur a décidé de fixer en début d'année le prix de la matière première mais il laisse la possibilité au fournisseur de dénoncer le contrat avec un préavis de 8 mois. Voici un exemple parlant de saisine de la Médiation.
Aujourd'hui, la Médiation c'est un nombre de dossiers multiplié par 10 en 5 ans, soit environ 100 dossiers par mois contre 100 par an auparavant. Des chiffres forts qui témoignent d'"un signe signe d'ouverture et de la prise de conscience qu'un dialogue des deux parties vaut mieux que de rentrer dans un conflit", précise Pierre Pelouzet, médiateur des entreprises.
Aujourd'hui, la Médiation c'est un nombre de dossiers multiplié par 10 en 5 ans, soit environ 100 dossiers par mois contre 100 par an auparavant.
Vers 2 milliards d'euros de sanction
Les relations clients-fournisseurs sont -elles au beau fixe dans l'industrie? Quid des délais de paiement? "On sent qu'il y a une prise de conscience. De plus en plus des acteurs s'engagent avec Pacte Pme, la Charte, le Label, explique le médiateur des entreprises, mais aussi malheureusement à l'intérieur de ces entreprises, des gens ont encore du mal à s'inscrire dans ce mouvement. Donc au global les relations s'améliorent très faiblement". Et les chiffres le prouvent. Aujourd'hui, les délais de paiement sont en moyenne de 13-14 jours en moyenne par rapport à la loi LME. Ce qui équivaut à un trou dans la trésorerie des TPE et PME de 16 milliards d'euros. "Une situation qui explique 25% des faillites d'entreprises, soit 15 000 entreprises par an ou 50 par jour", insiste Pierre Pelouzet.
L'arsenal juridique semble-t-il suffisant? Les pénalités peuvent-elles être dissuasives? Aujourd'hui, d'après la loi de consommation ou loi Hamon, les pénalités s'élèvent à 37 500 euros. La loi Sapin en cours d'écriture devrait "durcir le ton avec des sanctions à 2 millions d'euros, précise Pierre Pelouzet, en insistant, ce ne seront pas 2 millions d'euros en tout mais bien 2 millions d'euros par infraction. Donc imaginons si une entreprise a 50 factures en retard, le calcul sera 50 x 2 millions d'euros".
Avant d'en arriver là, des solutions existent. Outre le dialogue via la Médiation, cela va "du durcissement de la loi au commissaire aux comptes qui va publier des rapports sur les délais de paiement des entreprises qu'ils analysent, la signature de la charte, ... ", souligne le médiateur des entreprises.
Imposition des conditions générales d'achat
Si les dérives semblent aussi nombreuses, une des explications est à trouver dans l'application des conditions générales de vente (CGV) ou des conditions générales d'achat (CGA) lors de l'établissement des contrats. Une problématique remontée par Thierry Charles, directeur juridique chez Allize Plasturgie: "on retrouve toutes les mauvaises pratiques [NDLR : 36 mauvaises pratiques du rapport Volot de 2010] dans les conditions générales d'achats. Or, rappelle-t-il, la base de la négociation doit être les conditions générales de vente, comme l'indique la loi Hamon. Le problème est que dès qu'on est dans un rapport de force, le sous-traitant l'oublie et a le sentiment d'être dans l'obligation de signer ce document. Or, en signant ce document, on lui donne une valeur juridique". Une situation également pointée du doigt par le président du syndicat national du décolletage et président du Cenaste: "aujourd'hui trop de donneurs d'ordre imposent des CGA en disant que répondre à des appels d'offres vaut acceptation des CGA".
Pour éviter l'imposition des CGA, directeur juridique chez Allize Plasturgie conseille de "bien connaitre ses propres conditions générales de vente si elles existent au sein d'une organisation professionnelle ou à défaut en créer ou s'entourer de juristes pour en rédiger afin de pouvoir se défendre dans ce rapport de force". C'est notamment ce qu'a fait Patrice Jullien, dg de Dupuy Mécanique et Induxial, société d'usinage de précision, dans la mécanique générale et l'aéronautique pour la rédaction des ses conditions générales de vente qui sont celles éditées par la fédération de la métallurgie. Une nécessité, pour une petite structure qui a besoin d'être accompagnée "car une lecture de contrats peut prendre 3 jours. Et ces 3 jours sont autant de temps perdu pour aller à la rencontre des clients, ..."
S'appuyer sur les syndicats professionnels
Un changement de mentalités s'impose. Aujourd'hui beaucoup de mécanismes existent pour permettre aux sous-traitants de défendre leurs intérêts face à leurs clients. C'est notamment le rôle des fédérations professionnelles. Un appel aux ressources collectives appuyé par François Girard, délégué général du conseil national des achats : "quand les enjeux commerciaux sont trop forts, il faut faire appel aux syndicats professionnels qui peuvent prendre du recul et accompagner".
Pour rappel, Thierry Charles d'Allize Plasturgie évoque la future réforme du code civil, du droit des obligations des contrats qui "va dans le bon sens. Ainsi d'après la jurisprudence quand un donneur d'ordre fait signer un contrat dit d' "adhésion" sans laisser à l'autre partie la possibilité de négocier la moindre clause cela est considéré comme abusif. De plus, la future réforme du code civil devrait permettre d'arrêter le débat CGV/CGA".
"Ne pas tout mettre sur le dos de l'acheteur"
Pour Bruno De Chaise Martin, président du syndicat national du décolletage et président du Cenaste, "il faut que l'acheteur de base se rende compte qu'en grattant quelques centimes ou en imposant des CGA, il travaille contre son entreprise".
"Attention, à ne pas tout mettre sur le dos de l'acheteur, insiste le directeur juridique d'Allize Plasturgie, car ce n'est pas lui qui rédige les conditions générales d'achat". Un propos nuancé par François Girard du conseil national des achats, "les acheteurs sont propriétaires des CGA puisque ce sont eux qui négocient et qui portent la responsabilité du contrat, il faut donc qu'ils se les approprient!"
Une prise de conscience qui devrait être d'autant plus forte qu'on est à la fois acheteur et vendeur de chacun", précise Pierre Pelouzet, médiateur des entreprises.
Justement, les termes donneurs d'ordre et sous-traitants doivent-ils être repensés? "Un vocabulaire qui instaure un lien de subordination", souligne Karim Boudehane, rédacteur en chef du Journal de la Production. " Il faut se méfier d'abandonner les notions juridiques, rappelle Thierry Charles. Quand on parle de sous traitant il y a des textes derrière qui protègent le sous-traitant".