Devoir de vigilance: la commission mixte paritaire a échoué
Assemblée Nationale et Sénat sont en désaccord profond sur la proposition de loi relative au devoir de vigilance. Réunie en début de mois, la commission mixte paritaire a échoué à trouver un compromis. Une nouvelle lecture va avoir lieu dans chacune des assemblées... Le point sur la situation.
Je m'abonnePassé le 13 octobre en deuxième lecture au Sénat, à la demande du Gouvernement, le projet de loi relative au devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d'ordre (lire notre article: le Sénat "vide le projet de sa substance"), a été étudié début novembre en commission mixte paritaire où aucun accord n'a été trouvé. Pourquoi? Quel sera la suite du parcours législatif? Le point avec Violaine du Pontavice, avocate spécialisée en droit de l'environnement au sein du cabinet Ernst & Young (EY).
Pourquoi la commission a-t-elle échoué? A votre connaissance, quels points ont conduit au blocage et pourquoi ?
La raison de l'échec de la commission mixte paritaire est un désaccord entre les deux assemblées (Assemblée Nationale/Sénat) sur le fond même de la proposition de loi. Dans le texte issu de sa première lecture, l'Assemblée nationale introduit l'obligation de mise en oeuvre d'un plan de vigilance assorti d'un triple mécanisme de sanction, soit une injonction de faire avec une amende civile dont le montant ne peut être supérieur à 10 millions d'euros, la mise en jeu de la responsabilité civile de la société mère et, enfin, la publicité de la sanction.
Or, la proposition de loi avait été rejetée par le Sénat. Le rejet était motivé, d'une part, en raison de ses failles juridiques et notamment de l'atteinte à la compétitivité des entreprises françaises et à l'attractivité de la France, dès lors que seules les entreprises françaises seraient tenues de mettre en oeuvre des mesures de prévention des atteintes aux droits de l'homme, des dommages corporels et environnementaux graves et des risques sanitaires, y compris du fait de leurs sous-traitants et fournisseurs, ainsi que des mesures de lutte contre la corruption de la société et de ses filiales directes ou indirectes. D'autre part, le Sénat a estimé que le texte adopté par l'AN présentait un défaut de clarté quant à la mise en oeuvre du mécanisme de sanctions, ainsi que des risques d'inconstitutionnalité, notamment en ce qui concerne la mise en jeu de la responsabilité d'une société pour les faits commis par un tiers sous-traitant ou fournisseur.
Suite au rejet du Sénat, l'Assemblée nationale n'a pas modifié le texte sur le fond et l'a adopté à nouveau en deuxième lecture, avec une seule modification relative au remplacement de la notion de "droits de l'homme" par "droits humains".
S'opposant toujours à l'établissement de l'obligation de mise en oeuvre du plan de vigilance et du régime de responsabilité civile, le Sénat a choisi de ne pas rejeter le texte de nouveau, mais de l'examiner en l'inscrivant dans le cadre de la Directive européenne du 22 octobre 2014 concernant la publication d'informations non financières par les grandes entreprises. La proposition de loi ainsi adoptée prévoit l'insertion dans le rapport de gestion des informations permettant de rendre compte des principaux risques en matière de droits de l'homme, dommages corporels et environnementaux, sanitaires et de corruption, pouvant résulter des activités de la société, de ses filiales et de ses sous-traitants, en France comme à l'étranger, ainsi que des mesures de vigilance raisonnable mises en oeuvre pour les prévenir. Le champ d'application de la proposition de loi adoptée par le Sénat est celui établi par la directive européenne. Toutefois, aucune sanction n'est prévue, si ce n'est la possibilité d'enjoindre sous astreinte à la société de communiquer ces informations.
Nous nous trouvons donc face à deux textes de nature complètement différente. La proposition de loi de l'Assemblée nationale prévoit l'insertion d'une obligation de moyens assortie de sanctions et d'un mécanisme de mise en jeu de la responsabilité civile, tandis que le texte prévu par le Sénat introduit uniquement une obligation d'information, sans un régime de responsabilité en cas de non-conformité. Dans ces conditions, l'accord au sein de la CMP semblait compromis.
Quelle est la suite du parcours législatif ?
A défaut d'accord de la CMP, une nouvelle lecture va avoir lieu dans chacune des assemblées. L'Assemblée nationale doit ainsi examiner le texte à nouveau, sans qu'une date ait encore été retenue à cet effet. Ensuite, ce sera le tour du Sénat.
En cas de désaccord suite à ces lectures, le Gouvernement peut demander à l'Assemblée nationale de statuer définitivement. Celle-ci peut alors reprendre le dernier texte voté par elle, modifié le cas échéant par un ou plusieurs des amendements adoptés par le Sénat. A ce titre il convient de noter qu'en deuxième lecture (23 mars 2016) l'Assemblée nationale avait adopté le texte par 32 voix pour, 1 contre et deux abstentions.
En définitive, l'Assemblée nationale peut avoir le dernier mot, sur demande du Gouvernement. En revanche, si le Gouvernement ne demande pas à l'Assemblée de statuer définitivement, la "navette" parlementaire se poursuit jusqu'à ce que les deux assemblées parviennent à l'adoption d'un texte identique.