Le restaurant d'entreprise à l'heure de l'antigaspi
Le restaurant d'entreprise est l'un des postes qui peut rapidement se verdir. Plusieurs leviers peuvent être activés, depuis les approvisionnements des matières premières à leur fin de vie. Explications.
Je m'abonneRendre ses dépenses de restauration résolument plus vertueuses est devenu un enjeu pour les grandes entreprises. « C'est une tendance durable qui s'intensifie ces dernières années », considère Elisabeth Derancourt, fondatrice et dirigeante du cabinet Edra Conseils. Elle est assortie d'enjeux environnementaux mais aussi financiers. « Dans le modèle économique actuel, cette lutte anti gaspillage concourt à la réalisation d'économies, réallouant du pouvoir d'achat aux collaborateurs », précise Annie Pinquier, directrice Agriate au sein du groupe EPSA. Concrètement, une myriade d'actions peut être envisagée et déclinée, depuis l'approvisionnement à la fin de vie des déchets de matières premières ou d'emballages. Cela nécessite d'identifier et d'évaluer les différentes sources de gaspillage, et de calibrer le cahier des charges en conséquence. « Imposer la même diversité alimentaire depuis l'ouverture à la fermeture du restaurant génère inexorablement des pertes, cite en exemple Elisabeth Derancourt. Dans les faits, il semble plus opportun de limiter le choix proposé au-delà d'un créneau horaire fixé à l'avance pour limiter les invendus ». Sans conteste, l'épidémie de Covid-19 a accéléré l'hybridation des modes de travail. Et a généré des retentissements importants sur la fréquentation du restaurant d'entreprise.
Une offre agile et adaptée aux besoins
Preuve en est avec notre témoin (cf. encadré ci-contre) qui a dû apprendre à composer avec une jauge fluctuante. La prédictibilité des effectifs susceptibles de venir déjeuner est une donnée qu'il convient désormais de maitriser pour être en mesure d'ajuster au plus près l'offre à la demande réelle. Il peut s'agir de s'appuyer sur des indicateurs de présence pour prévoir la fréquentation, ou d'instaurer un système de pré-réservation. « Cela reste un sujet délicat, le repas demeurant un moment de plaisir. Soumettre les collaborateurs à des contraintes additionnelles peut accroître le risque de les voir déserter le restaurant d'entreprise », prévient Annie Pinquier. Pour réduire le gaspillage, l'offre se doit d'être plus agile. Il peut ainsi être question de proposer une carte plus restreinte, de réduire le nombre d'ingrédients qui la compose, de cuisiner des produits dans leur intégralité, de miser sur des cuissons minute en fin de service pour pallier les plats manquants... « Il n'est plus impératif de proposer une grande variété de choix, l'important est de travailler différemment les produits présentés », souligne Annie Pinquier. Le choix des denrées alimentaires est l'un des points à ne pas négliger. « Mieux vaut sélectionner des produits de qualité qui peuvent se garder plus longtemps. S'intéresser à l'origine des produits est important, tant sur la provenance que sur les pratiques agricoles et d'élevage », conseille Elisabeth Derancourt. Dans la mesure du possible, les circuits courts, les produits frais, de saison, issus de filières responsables doivent être privilégiés. Il peut être pertinent de s'appuyer sur des partenaires comme Atypique qui valorise les fruits et légumes « moches », soutenant les producteurs français dans la lutte contre le gaspillage alimentaire. Réduire la part de protéine animale contenue dans les assiettes est également préconisée, au profit de la protéine végétale. Les recettes contenant des légumineuses ont ainsi le vent en poupe et peuvent avoir des répercussions directes sur le bilan carbone de la restauration. La créativité peut aussi contribuer à limiter le gâchis. Elle peut amener à réfléchir sur l'utilisation des diverses épluchures en les transformant en chips par exemple ou en les intégrant dans la composition de sauces.
Durant le service, il est important de proposer des portions adaptées à l'appétit du consommateur. Le format buffet est à éviter ayant tendance à générer du gaspillage, les fontaines à eau sont un bon moyen de s'affranchir des bouteilles et bonbonnes en plastiques dans le respect des nouvelles exigences réglementaires. En fin de service, les restes peuvent être proposés via des plateformes de gestion des invendus, comme To Good To Go ou Phénix, ou donnés le jour même à des associations caritatives. « Ils peuvent être au menu du lendemain, sous respect des règles sanitaires, et moyennant par exemple une remise tarifaire », ajoute Annie Pinquier.
L'affaire de tous
La chasse au gaspillage est l'affaire de tous, sensibiliser ses collaborateurs est important, en salle comme en cuisine. Les denrées alimentaires sont de préférence acheminées au moyen de caisses réutilisables pour limiter les emballages uniques (cartons, cagettes, polystyrène.) ; comme celles de Pandobac qui sont réutilisables et durables. Les gants jetables doivent être utilisés avec parcimonie. « Ils ne sont pas forcément nécessaires à chaque atelier et à toutes heures de la journée », rappelle Elisabeth Derancourt. De même, l'emploi de film alimentaire fait appel au bon sens, et peut être suppléé pour certaines applications par des alternatives éco-responsables, comme les boîtes avec couvercle de U Konserve ou le tissu à la cire d'abeille Abeillons par exemple. Reste que leur coût d'acquisition reste souvent élevé. Pour la vente à emporter, les consignes apparaissent de plus en plus dans les restaurants d'entreprise ; la logistique étant facilitée par la présence sur site des collaborateurs.
En cuisine, il est important de valoriser et de fédérer la brigade autour de convictions partagées, et d'assurer progressivement leur montée en compétences en matière d'écogestes. Cela signifie les former à économiser l'eau ou l'énergie, à trier les déchets, à utiliser le matériel à bon escient, à adapter les recettes et les modes de cuisson pour minimiser les dépenses énergétiques associées, à se servir de produits d'entretien porteurs de labels écologiques ... « Il ne va plus être question d'allumer tous les appareils de cuisson durant toute la durée du service. Une entreprise peut décider de ramener la proposition des frites à trois jours par semaine pour diminuer la dépense énergétique des friteuses, un matériel assez énergivore... Ce type de mesures suppose un niveau élevé de maturité achats et d'être engagé durablement dans une politique RSE/RSO », rend compte Annie Pinquier. En bref, c'est une mission qui peut prendre du temps, impliquant de modifier des habitudes et de les remplacer par des comportements plus vertueux. Il nécessite d'embarquer les collaborateurs, en leur emboîtant le pas et en communiquant régulièrement sur les avancées. « Seulement 10% des collaborateurs se montrent réellement activistes et impliqués dans la démarche de réduction du gaspillage. Les autres sont plus attachés à la dimension plaisir. La dimension pécuniaire peut néanmoins opérer la bascule. Le coût du repas est une variable d'ajustement, la diminution du panier moyen participe à limiter le gaspillage », met en avant Annie Pinquier. Toutes ces pratiques se révèlent forcément gagnantes. « Atteindre le zéro gaspillage est un voeu pieux. Toutefois, un plan d'actions qui a du sens peut se solder par une réduction de 30%, représentant des dizaines de milliers d'euros, limitant l'impact de l'inflation et amorçant un cercle enfin vertueux », ponctue Elisabeth Derancourt.
Une lutte responsable et pérenne
Pour que son prestataire de restauration Elior produise au juste besoin, Carrefour fournit en temps réel l'effectif de présence sur son siège social, installé à Massy. « Cela leur donne de la visibilité et contribue à limiter le gaspillage ; le restaurant réalisant jusqu'à 3100 couverts lors des pics de fréquentation, 800 couverts le vendredi », indique Christelle Gerault, Responsable Restauration multisites à la direction des services aux collaborateurs chez Carrefour. Le groupe lutte quotidiennement contre le gaspillage alimentaire. Il a par exemple instauré les demi-portions au stand dessert, la facturation du pain (22 centimes), le service assisté au bar à légumes pour une quantité adaptée à l'appétit. « Nous collaborons avec la start-up Expliceat qui fournit des recettes élaborées à base de pain invendu, principalement en cookies et muffins », ajoute Christelle Gerault. Le groupe déploie également un stand anti-gaspillage avec des recettes réalisées à base de produits ayant une DLC courte et proposées à prix attractif. Les invendus sont ensuite proposés via l'application To Good To Go. « Cette action nous permet de sauver une dizaine de paniers par jour ». Afin de décarboner les assiettes, Carrefour tente de remettre le végétal au coeur de l'assiette au travers d'un stand spécifique qui le promeut. « Il commence à capter une population élargie grâce à des recettes qui révèlent ses saveurs », se réjouit Christelle Gerault. Enfin, la diminution des emballages jetables se traduit entre autres par l'instauration d'un système de consignes pour la vente à emporter organisée par Bibak.
Christelle Gerault, Responsable Restauration multisites à la direction des services aux collaborateurs chez Carrefour