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Quelle transformation digitale pour la fonction achats ?

La digitalisation s'impose peu à peu dans les organisations achats. Qu'elle concerne un segment restreint d'activités ou la fonction dans son ensemble, elle pose des questions d'approches, de pertinence, et nécessite un certain nombre de bonnes pratiques pour faire des choix adaptés. État des lieux.

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Quelle transformation digitale pour la fonction achats ?

Où en sont les directions des achats en termes de digitalisation ? Selon le baromètre Digital Procurement Success du CNA réalisé en 2023, moins d'une organisation achats sur deux déclare avoir engagé sa transformation digitale. Au sein des initiatives déjà sur les rails, seules 20 % des entreprises font part de moyens suffisants mobilisés pour mener à bien cette transformation. La nécessité de franchir le pas est pourtant largement intégrée, puisque 92 % des décideurs interrogés considèrent la digitalisation comme " une opportunité pour augmenter la valeur apportée par la profession ", soulignent les conclusions de l'enquête.

Thibaut Massiet du Biest, spécialiste des achats, intervenant et formateur au sein d'Indigo et de la Regen School, remarque des avancées dans les entreprises sur ce sujet, " mais de façon lente. On ne digitalise que de petites parties, on teste sur de longues périodes, sans franchir pleinement le pas. Les grands groupes sont relativement avancés dans ce domaine, malgré une différence forte entre front et back office. " Si les CRM (Customer Relationship Management) sont digitalisés, les SRM (Supplier Relationship Management) et outils achats le sont beaucoup moins. " Il devient en conséquence difficile d'avoir une vision globale détaillée, de disposer d'éléments satisfaisants permettant d'avoir une vision exhaustive des factures, du sourcing. Au sein du groupe Metro, où je dirigeais encore récemment les achats, c'était l'un des écueils rencontrés. Il en ressort une complexité à maîtriser les risques financiers, les prix, ou encore la qualité du sourcing ", poursuit-il.

Une pertinence sous-estimée ?

Quels que soient les secteurs d'activité, les priorités de la transformation digitale semblent plutôt s'orienter vers les ventes ou le marketing. " Les investissements n'arrivent que dans un deuxième temps au niveau des achats et de la gestion des fournisseurs. Le parent pauvre est d'ailleurs surtout les achats indirects ", regrette Thibaut Massiet du Biest. L'outillage reste plus complet et satisfaisant dans le cas des achats marchands. " Parfois, l'adresse email et le numéro de téléphone du fournisseur ne sont même pas présents dans les bases de données », ajoute-t-il en rappelant que même s'ils sont moins stratégiques, les achats indirects sont pourtant ceux où des marges importantes sont possibles par une démarche de rationalisation, avec des résultats allant jusqu'à 20 % facilement, alors que les économies sur les achats directs vont souvent être inférieures à 1 %. "

Elicia Petit, analyste de contenus chez Gartner, insiste elle aussi sur la pertinence d'opérer un virage digital sur ce plan : " une surveillance continue apporte une meilleure visibilité qui assure elle-même une sécurisation des relations fournisseurs, une meilleure qualification de ces derniers. L'accès en temps réel via des portails partagés par exemple est indéniablement un levier. "

Le groupe Alcatel-Lucent fait partie des acteurs convaincus par la nécessité d'une telle transformation. Olivier Roux, directeur des achats et approvisionnements de l'entreprise, met en avant " un objectif de rationalisation et de simplification des pratiques. Nous utilisions plusieurs outils auparavant pour la réservation et la gestion des dépenses liées au déplacement. La complexité se situait dans le fait que la finance utilisait sa solution pour les dépenses, et la RH recourait à un autre outil pour les réservations. Il n'y avait pas d'interconnexion et de communication. La direction Achats s'est chargée des interactions entre les différents services, dans un souci d'harmonisation et d'alignement autour d'un outil commun, tant en amont au moment de la définition du besoin qu'en aval pour ce qui du déploiement. "

Cette évolution chez Alcatel-Lucent en matière de gestion des dépenses s'inscrit dans une logique de transformation digitale plus large au niveau des achats. " Après la digitalisation de la facturation entrante et sortante, ou de la relation fournisseur, le but est aujourd'hui d'intégrer à ces différents volets une couche d'intelligence artificielle pour un meilleur usage, que ce soit sur la bureautique ou la gestion des appels d'offres par exemple ", poursuit Olivier Roux.

Les limites du digital à prendre en compte

L'adoption de certaines solutions peut toutefois se heurter à certains freins, comme en témoigne la prise en compte de paramètres relatifs à la RSE, de plus en plus présente au sein des impératifs des organisations achats. " Sur les solutions Procure-to-Pay, on trouve souvent des catalogues dans lequel les fournisseurs mettent en avant leurs offres de produits neufs. Il existe ainsi une problématique à la fois pour l'acheteur, pour l'éditeur de la solution, et pour le fournisseur dans le fait de mettre en avant et de valoriser des produits de seconde main. On ne peut généralement pas utiliser le même système de référencement pour un produit neuf que pour un produit connaissant une seconde vie. Par leur nature, les références de seconde main ne sont pas destinées à une offre permanente et peuvent disposer de stocks limités ", analyse Quentin Bures, responsable de l'optimisation Achats Clients du groupe Manutan. Si le digital peut permettre de trouver plus facilement certains produits reconditionnés, les rendre réellement accessibles peut donc souvent représenter un vrai challenge.

Par contre, la digitalisation reste un vrai levier dans la mise à disposition de produits éco-conçus, dont la fabrication a été pensée pour diminuer l'impact environnemental. Si la politique d'achat d'une entreprise vise à privilégier les références éco-responsables pour une catégorie de produits, il est tout à fait possible de configurer les moteurs de recherche pour que les résultats soient en accord avec ce choix.

Se mettre dans les conditions du succès

Avec l'évolution rapide des enjeux réglementaires, à l'image de la direction européenne CSRD, la transformation digitale des achats semble prendre un caractère d'urgence supplémentaire. " Les nouvelles obligations de ce type font en sorte que la fonction achats joue un rôle toujours plus déterminant dans les entreprises ", estime Thibaut Massiet du Biest. Le soutien en interne devient dès lors crucial pour faire de cette mutation une réussite. Un avis que partage pleinement Olivier Roux : " L'implication des managers dans une dynamique top down a été un point clé dans notre cas pour assurer une transformation et une adoption de l'outil réussies. Concrètement, celle-ci s'est traduite par des réunions régulières avec le VP finance, le VP RH, le VP Opérations, et par des communications faites graduellement tous les mois dans un premier temps, puis toutes les deux semaines. Une implication élargie des responsables est indispensable. "

L'épineuse question du ROI de la digitalisation

Si la transformation digitale paraît indispensable, les avis sont bien plus partagés au sujet de ses retombées. Selon l'étude " Digital Procurement Success " du CNA, une petite majorité de décideurs estime que le ROI est " correct mais pourrait être plus important. " Moins de 20 % le qualifient de " très satisfaisant ", et 20 % le jugent " insuffisant ". En cause notamment, le caractère morcelé de la digitalisation, trop concentrée sur de petits périmètres d'activité. " Il s'agit d'aller beaucoup plus en profondeur pour en tirer tous les bénéfices ", mentionne le rapport. Pour améliorer le ROI, une meilleure exploitation des données, ainsi qu'une révision des processus en place sont citées comme les deux premiers leviers à actionner.

À noter que la mesure du ROI n'est pas toujours au rendez-vous. Loin s'en faut. En 2023, les organisations achats sont deux fois moins nombreuses à s'atteler à cette évaluation que l'année précédente, la difficulté à réaliser cette mesure étant principalement mise en avant. L'enquête rappelle l'intérêt de solliciter les éditeurs pour projeter des scénarios de digitalisation adaptés et estimer les gains possibles des investissements.


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