"Les contrats IT ne sont pas que des mots sur un papier"
La digitalisation des achats s'accélère. Malgré les nouvelles générations, de plus en plus présentes dans les entreprises, certains aspects échappent encore aux directions, notamment sur la contractualisation selon Claudia Weber, avocate spécialisée dans les contrats IT.
Je m'abonne"Innover n'est pas inventer", selon Claudia Weber, avocate spécialisée dans l'IT, et fondatrice du cabinet ITLAW Avocats, et Laurence Sindonino, LS2iManagement, et cette nuance crée des complications juridiques qui passent souvent sous les radars, a-t-elle expliqué lors d'un atelier HAlab des contrats IT organisé par le CNA, lundi 31 mai 2021, sur le thème de la transformation digitale.
La transformation numérique, par l'innovation ou par l'invention, ne répond pas aux mêmes règles juridiques, et, insiste Claudia Weber, l'acheteur doit prendre en compte et respecter les réglementations, notamment la propriété intellectuelle. "Elle n'est pas considérée à sa juste valeur, le contrat est trop souvent vu comme une contrainte administrative, ce n'est pourtant pas le cas. Le contrat est le reflet des rôles et responsabilités de chacun, il est un outil pour l'efficience des projets et leur valorisation par le respect des lois." Acheter une innovation ne signifie pas en avoir la propriété. Cette nuance fait, selon l'avocate, partie des nombreuses raisons pour lesquelles l'acheteur doit collaborer avec un juriste lors de la rédaction et la négociation d'un contrat, surtout dans le cadre de la transformation digitale. Un contrat non adapté peut ralentir un projet, voire entraîner des complications juridiques très préjudiciables.
Depuis près de 25 ans, la démocratisation d'Internet a bouleversé les usages en matière de contrat IT. "A l'époque, le droit de l'informatique se créait en même temps que l'on créait les règles de l'art en matière de contrat IT, nous adaptions le droit existant aux contrats IT. Aujourd'hui, les contrats IT sont souvent subis. Et le droit a évolué avec la digitalisation, il y a beaucoup de législations et nous en attendons encore de nombreuses qui vont venir enrichir le dispositif juridique qui s'impose aux projets." L'arrivée du cloud il y a quelques années a aussi joué un rôle dans cette disruption, pourtant Claudia Weber déplore que les contrats soient encore trop majoritairement décorrélés de la réalité du terrain, trop de " copier-coller" de contrats non adaptés, là où chaque clause devrait être adaptée au projet qu'elle concerne.
Lire entre les lignes des clauses
Pour illustrer son propos et alerter les acheteurs sur certains risques, l'avocate s'est arrêtée sur une clause fréquemment inscrite dans des contrats et qui peut être source de complexité car trop vague: "En cas de changements, dans les circonstances affectant l'équilibre économique du contrat, les parties ajusteront alors de bonne foi les dispositions financières et/ou techniques du contrat en conséquence afin que l'équilibre économique initial de contrat soit restauré." Cette clause est "avantageuse pour le prestataire, car elle lui permet de réviser son prix" a reconnu l'avocate qui a récemment accompagné de nombreux prestataires sur le sujet de la hausse des prix des matières premières. "Dans ce cas, elle prend tout son sens". Mais elle peut être "piégeuse" pour les acheteurs car contrairement au droit public, il est impossible de modifier un contrat de droit privé, en cours d'exécution, même pour cause d'imprévision .
"Je ne juge pas de la pertinence de cette clause, je ne dis pas qu'il faut la rayer de tout contrat, ni qu'il faut la garder, simplement il faut prendre conscience de son existence et de ses implications, et y faire attention car il faut absolument l'adapter à son cas d'espèce et la cadrer." Un contrat est neutre, a commenté Claudia Weber, "l'important est de ne pas se focaliser que sur la négociation des prix, mais sur l'ensemble des enjeux et risques, donc l'adapter à son projet".
Autre cas de figure présenté par l'avocate: une clause de résiliation qui utilise des mots subjectifs. "En cas de manquement grave d'une des parties aux obligations des présentes non réparé dans un délai de soixante jours à compter de l'envoi d'une lettre recommandée avec avis de réception notifiant du manquement en cause, l'autre partie pourra prononcer de plein droit la résiliation du contrat sans préjudice de tous dommages et intérêts." Mais... "Qu'est-ce qu'un manquement grave ?" Les termes subjectifs sont "à bannir" des contrats, a souligné Claudia Weber.
Ainsi rédigée, la clause est en faveur du prestataire: "Le manquement du client à son obligation de payer sera toujours un manquement grave donc pas de problème pour le prestataire pour appliquer cette clause et résilier le contrat", a commenté l'avocate. "En revanche la situation est toute autre coté client, il va devoir prouver la gravité d'une faute, ce qui est très compliqué. Si le client résilie le contrat alors que la faute reprochée n'était pas "grave" il engage sa responsabilité au titre d'une résiliation abusive. Cette clause doit être retravaillée."
La conférence s'est terminée sur une citation du philosophe Maurice Blondel pleine de sens : "L'avenir ne se prévoit pas, il se prépare." Et selon Claudia Weber cet avenir ne se prépare pas n'importe comment, mais grâce à un contrat adapté à son projet qui sera rédigé et négocié par une équipe multidisciplinaire : un acheteur, un opérationnel et... un juriste. L'acheteur ne se suffit pas à lui-même, il doit avancer main dans la main avec des spécialistes, notamment sur les contrats "Il faut construire ensemble s'écouter, et mettre à jour les contrats car la transformation digitale bouscule les évidences."
Agilité
Les technologies évoluent, et la contractualisation doit suivre, notamment sur la méthode, les moyens, le budget et les délais, a souligné Claudia Weber, avocate spécialisée dans l'IT, et fondatrice du cabinet ITlaw avocats. "Il faut instaurer le droit à l'erreur" qui est incompatible avec un calendrier rigide. Bien qu'il faut travailler de plus en plus vite pour pallier le risque d'être distancé, les délais doivent être agiles, et le contrat doit transcrire toutes ces nouvelles contraintes pour l'être aussi. "Le contrat doit prendre en compte le caractère multi-dimensionnel de la transformation digitale" "il faut donc que les différentes clauses permettent au client et au prestataire de remplir leurs nouvelles obligations dans la dynamique évolutive du projet, de son périmètre, de ses délais, et son budget". Le tout en assurant la sécurisation du projet.
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