Comment booster la commande publique responsable?
La commande publique responsable est un levier insuffisamment exploité. C'est pourquoi un groupe de travail du Conseil économique, social et environnemental a rendu un rapport sur le sujet le 27 mars 2018. Parmi les pistes à explorer: la prise en compte des labels ou un nouveau "small business act".
Je m'abonne"La commande publique représente en France 200 milliards d'euros soit près de 10% de notre PIB. Elle constitue donc un levier majeur en faveur des transitions écologiques et sociales", rappelle en préambule Patricia Lexcellent, rapporteuse (groupe de la coopération) de la délégation à la prospective et à l'évaluation des politiques publiques, lors de la présentation du rapport "La commande publique responsable : un levier insuffisamment exploité", le 27 mars 2018 lors de l'assemblée plénière du Conseil économique, social et environnemental (CESE).
Suite à cette étude sur la commande publique responsable, le groupe de travail a fait une proposition pour le rapport annuel sur l'Etat de la France 2018 notamment sur le focus : "comment améliorer l'efficacité des investissements publics et privés tout en maitrisant l'endettement en favorisant les solidarités et les créations d'emplois".
Des objectifs à horizon 2020 loin d'être atteints
Rappelons qu'il n'existe pas de définition juridique de la commande publique responsable mais que le plan national d'action pour les achats publics durables (PNAAPD) en précise les contours. De plus, la commande publique a fait l'objet d'une importante réforme adoptée en 2014 sur le plan européen et transposée en droit français en 2015 et 2016. D'autres textes sont enfin venus compléter le dispositif comme la loi sur l'économie sociale et solidaire (loi ESS) et la loi sur la transition écologique et la croissance verte.
"Il existe donc aujourd'hui toute une palette de moyens pour intégrer des objectifs de développement durable à la commande publique", souligne la rapporteuse. Citons la reconnaissance du sourcage, le fait de pouvoir recourir à des labels, la prise en compte du caractère innovant d'une offre, l'allotissement auprès de PME, l'obligation d'adopter et de publier un schéma de promotion des achats socialement et écologiquement responsables au-delà de 100 millions d'euros d'achats par an, ...
Au-delà de ces possibilités juridiques, l'Etat a affiché clairement une volonté politique dans le plan national d'action pour les achats publics durables (PNAAPD). Ce plan fixe comme objectif à l'horizon 2020, 30% des marchés devront intégrer une disposition environnementale et 25% une disposition sociale. "Mais il faut reconnaître que nous sommes encore assez loin de ces objectifs car aujourd'hui, nous en sommes à 10% pour les clauses environnementales et 8% pour les clauses sociales. Sur les 160 collectivités locales concernées par l'adoption d'un schéma de promotion des achats socialement et écologiquement responsables (SPASER) moins de 7% en auraient adopté un. Et enfin, les objectifs de la réforme de 2015 qui était de faciliter l'accès des marchés aux TPE PME est encore loin d'être atteint car ces dernières ne représentent que 30% des contrats en valeur", résume Patricia Lexcellent.
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Professionnalisation et échanges de bonnes pratiques
Alors pourquoi un tel décalage? Les auditions menées par le groupe de travail montre que la mise en oeuvre de ces dispositifs nécessite un véritable changement des pratiques des acheteurs tant au niveau des élus que des administrations. Côté élus, la durée d'un mandat ne semble pas toujours compatible avec l'amortissement d'un achat durable qui est souvent beaucoup plus long, il faut donc une certaine conviction. Du côté des services administratifs, on constate que le degré de sensibilisation et de formation est assez disparate entre l'échelon national et le local. La professionnalisation des acheteurs est donc un enjeu clé.
Dans ce contexte, les échanges de bonnes pratiques sont nécessaires. L'étude mentionne d'ailleurs plusieurs schémas d'achats responsables et de politiques tels que le schéma de la ville de Paris en terme écologique et solidaire ou encore les pratiques du Ministère des Armées ou celle de la Réunion avec sa politique en faveur des TPE et PME locales.
Les clauses sociales sont essentiellement concentrées sur une approche volumétrique du nombre d'heures d'insertion sans réelle mesure sur les parcours des personnes. Quand à la notion de circuit court elle ne répond que partiellement aux attentes car elle s'adapte à la chaîne de commercialisation en se concentrant sur un seul intermédiaire et non à la distance kilométrique. Elle ne favorise donc pas un approvisionnement de proximité que ce soit pour l'alimentation ou les matériaux de construction.
"Il y a enfin une vraie difficulté de mise en relation entre l'offre et la demande malgré l'émergence de nombreuses plates-formes que ce soit à l'initiative des pouvoirs publics comme avec le GIP Maximilien en Ile-de-France ou des réseaux professionnels", met en évidence Patricia Lexcellent.
Pour une meilleure coordination des réseaux d'acheteurs
Les pistes de progrès avancées par le groupe de travail s'inscrivent en très grande majorité dans le cadre juridique actuel. "Elles pourraient donc donner un coup d'accélérateur pour avancer rapidement", estime la rapporteuse. La priorité numéro 1 est la formation des acheteurs ainsi que l'accélération de la coordination des réseaux notamment régionaux. "Il semble qu'il ne manque pas grand-chose pour dynamiser ce qui existe sur les territoires mais qui n'ont pas suffisamment de moyens pour être animés."
Un autre levier pertinent est celui du sourcage ou sourcing qui permet aux entreprises et aux acheteurs de se rencontrer avant un appel d'offres. "Parce qu'il permet d'éviter des appels d'offres infructueux, le sourcage gagnerait à être davantage exploité", relève Patricia Lexcellent.
Enfin, les acheteurs doivent se saisir pleinement de ce que permet la réforme en terme de critères d'attribution et d'exécution des marchés. Si l'on prend par exemple, les clauses sociale, l'achat responsable doit aller bien au-delà des heures d'insertion et prendre en considération l'ensemble des facteurs structurants pour améliorer l'employabilité des personnes et la pérennité des emplois. (Exemple : favoriser les répondants aux marchés qui mettent en avant l'apprentissage).
De la même façon, il s'agit d'aller au-delà de la simple notion de recyclage pour les clauses environnementales et prendre en compte l'impact global du cycle de vie. Le rapport favorise la prise en compte de labellisations RSE. C'est vrai qu'il y a un débat sur les conditions RSE qui peuvent apparaître loin de l'objet du marché mais cela nous paraît être des "conditions de commercialisation et production". Cela permettrait d'avoir une vision plus globale de l'engagement des entreprises répondantes sur la durée et non pas uniquement lors de la réponse au marché.
Modifier la durée de solidarité des groupements momentanés d'entreprises
Enfin, permettre un meilleur accès des TPE PME aux marchés doit passer par la systématisation de certaines pratiques comme la généralisation de l'allotissement, éviter la massification des achats ou encore généraliser le recours au marché public simplifié (MPS), ...
Une autre recommandation concerne les groupements momentanés d'entreprise. Le rapport conseille de modifier la durée de solidarité en fonction du marché et des prestations.
De façon plus globale, les SPASER sont intéressants mais devraient avoir d'autres objectifs avec des volumes et montants pour les TPE PME, pour les structures de l'ESS ou encore une évaluation du déploiement des pratiques de sourcage, un suivi du pourcentage des clauses sociales et environnementales mises en oeuvre, ...
"Les objectifs en termes d'achats responsables et durables ne sont pas suffisamment pilotés et monitorés au niveau national. De plus, il y a très eu de données et quand elles existent elles ne sont pas très cohérentes entre elles, espérons que la dématérialisation améliore les choses", détaille la rapporteuse du rapport. Mais tout en repose pas sur les pouvoirs publics, les associations et fédérations professionnelles ont également un rôle à jouer. Pour cela, elles doivent accompagner et former leurs adhérents aux bonnes pratiques, les accompagner vers des démarches de labellisation, certification, mais aussi faciliter la structuration des groupements de TPE PME.
Aller plus loin que le "small business act" européen pour les PME
A côté d'une meilleure exploitation des outils juridiques existants, quelques principes peuvent être révisés selon les auteurs du rapport. Ainsi, il est aujourd'hui interdit de mentionner des AOP (appellation d'origine protégée) ou IGP (indication géographique protégée). Or, les auteurs estiment que cela devrait évoluer pour faciliter un approvisionnement local. Ce sujet vient notamment d'être repris suite aux Etats-Généraux de l'alimentation.
A un autre niveau, moyen et long terme, il s'agirait de réinterroger certains principes notamment celui de l'ouverture sans contrepartie de notre marché européen. Certains pays ont négocié des exemptions comme les Etats-Unis, le Canada ou la Corée du Sud.
Le CESE invite donc les dirigeants politiques français à porter au niveau européen, un objectif de négociation et de dérogations similaires au bénéfice des PME européennes et nationales. Car pour rappel, le "small business act" européen adopté en 2008 fixe des objectifs génériques d'accès accru des PME à la commande publique mais ne prévoit pas un traitement privilégié de celles-ci.