La sécurisation des approvisionnements, un enjeu vital pour les hôpitaux
Depuis début 2020, les acheteurs publics hospitaliers ont joué un rôle clé dans la gestion de la crise sanitaire de la Covid-19. Au cours de la première vague, ils ont connu d'importantes difficultés d'approvisionnement. Après avoir réussi à les sécuriser, ils tirent aujourd'hui les leçons de la crise pour mieux anticiper les risques.
Je m'abonneDébut 2020, la demande mondiale en équipements de protection individuelle (EPI) explose. Comme tout le monde, les acheteurs hospitaliers sont confrontés à des difficultés d'approvisionnement en masques, mais aussi en blouses, surblouses, gants, visières... La tension est similaire pour les dispositifs de diagnostic biologique. "Dès mars 2020, nous avons dû rechercher les fournisseurs en mesure de fournir des tests PCR validés qualitativement, témoigne Ronan Talec, directeur des achats, de l'hôtellerie, de la logistique et de l'ingénierie biomédicale au CHU-Hôpitaux de Rouen. La demande de tests était croissante, mais le marché n'était pas prêt. Il y a eu une grande tension sur les écouvillons et sur les tests moléculaires."
Les acheteurs ont également eu du mal à approvisionner leurs hôpitaux en produits de désinfection comme en matériels médicaux et médicaments de réanimation. "Nous avons beaucoup sourcé de mars à septembre 2020, ajoute Ronan Talec. La crise du transport nous a affectés, car nous dépendions de sites de production éloignés, tournant au ralenti." De fin mars à début octobre 2020, les agences régionales de santé (ARS) ont, par ailleurs, confié une importante mission aux établissements supports des groupements hospitaliers de territoire (GHT), comme le CHU-Hôpitaux de Rouen : distribuer des EPI provenant du stock de l'État, principalement des masques, à toutes les structures sanitaires et médicosociales et aux compagnies ambulancières de leur territoire.
Le Resah et UniHA, réunis face à la crise
Les groupements d'achats ont également fait face aux pénuries. "UniHA et le Resah ont uni leurs forces pour approvisionner les établissements de santé en équipements de protection individuelle", rapporte Bruno Carrière, directeur général d'UniHA, coopérative d'acheteurs hospitaliers français. Dès avril 2020, créant ensemble le consortium Re-Uni, ces deux opérateurs nationaux ont lancé un programme d'achats communs de surblouses. L'objectif ? Fabriquer plus d'un million de surblouses en tissu pouvant se substituer aux surblouses jetables. En prévision de l'automne, en lien avec Santé publique France, le consortium a ensuite mis en place la plateforme Distrilog-Santé. De septembre 2020 à mars 2021, celle-ci a permis de fournir rapidement des EPI aux établissements hospitaliers et médicosociaux, à partir du stock de l'État. À l'automne 2020, le consortium a, en outre, fait l'acquisition de plusieurs millions de tests antigéniques de diagnostic de la Covid-19.
"Il subsiste encore une tension sur les gants, la demande mondiale restant très importante, poursuit Bruno Carrière. La fabrication de ces produits est plus complexe que celle des masques, il faut du temps pour construire une nouvelle usine." Pendant la crise, le consortium Re-Uni a déjà acquis plusieurs centaines de millions de gants en vinyle et en nitrile. Mais, pour sécuriser l'approvisionnement des hôpitaux français en gants de qualité, il relance actuellement de nouveaux marchés. Ces derniers couvriront les besoins des adhérents du consortium en gants stériles d'intervention, en gants médicaux non stériles et en doigtiers pour la période d'octobre 2021 à mars 2023.
Si certains approvisionnements restent difficiles, les acheteurs hospitaliers sont aujourd'hui sortis de l'urgence. "Ayant sécurisé nos approvisionnements principaux, nous sommes presque dans une gestion de routine de la crise, confie Ronan Talec. Mais les volumes d'EPI consommés restent importants : actuellement, nous délivrons quotidiennement 16 500 masques aux professionnels de l'hôpital. Les besoins de dispositifs de diagnostic biologique sont également très élevés."
La crise sanitaire n'est pas encore finie, mais les professionnels de l'achat public hospitalier en tirent déjà des leçons. "Ceux qui avaient bien entretenu la relation fournisseur ont été les mieux servis, constate Aurore Lermant, manager de CKS Santé. Cette dimension n'est pas très développée dans le secteur public, notamment parce que le principe d'égalité de traitement entre les fournisseurs inhibe assez souvent les initiatives des acheteurs en la matière." Ronan Talec abonde dans ce sens : "Une bonne relation au sein du trio acheteurs-prescripteurs-fournisseurs est un élément décisif en situation de crise. Il a fallu rapidement comprendre les besoins des prescripteurs et les traduire dans les échanges avec les fournisseurs. Ces derniers, avec lesquels nous avions construit, en amont, une solide relation professionnelle nous ont donné la priorité." Mais le relationnel ne fait pas tout. Bruno Carrière souligne "la nécessité de mettre en place des modalités, des processus permettant de capter les produits lorsque la concurrence est vive". Il a constaté, entre autres, l'intérêt du versement d'avances de 50 %.
D'accord, mais comment mieux prévenir les risques ?
"Mieux intégrer la notion de risque quand on fait du sourcing, conseille Aurore Lermant. Il s'agit de bien connaître les fournisseurs, mais aussi leurs sous-traitants. Pour ne pas être dépendant d'un seul fournisseur, il est important de diversifier le panel, de concevoir des marchés multi-attributaires." Pour mieux gérer les risques, Ronan Talec parle d'élargir le champ des critères d'attribution des marchés en intégrant "la capacité et les délais d'approvisionnement".
Il pose aussi la question des stocks de sécurité : "Pour l'instant, les stocks de sécurité se sont constitués au niveau de chaque hôpital. Mais les projets logistiques de groupement hospitalier de territoire (GHT), les plateformes logistiques communes, prennent tout leur sens aujourd'hui. Pendant la crise, les CHU ont prouvé leur aptitude à organiser des logistiques complexes au sein d'un territoire. Une approche mutualisée peut être perçue comme plus rassurante pour les petits établissements, même s'il y a de la résistance." Il y aura assurément un avant et un après-crise sanitaire pour les achats hospitaliers. "Cette crise va renforcer la fonction achats qui a été au coeur des dispositifs de crise, conclut Aurore Lermant. Chacun a pu voir l'impact opérationnel des achats."
Lire la suite en page 2 de cet article: - Témoignages - "Notre cellule de crise achats approvisionnementse réunissait tous les jours", Jeanne de Poulpiquet, directrice des achats, des approvisionnements et des services - / - "La sécurisation des approvisionnements doit se faire à l'échelle européenne", Dominique Legouge, directeur général du groupement d'intérêt public Resah (Réseau des acheteurs hospitaliers).
Témoignages
"Notre cellule de crise achats approvisionnement se réunissait tous les jours" - Jeanne de Poulpiquet, directrice des achats, des approvisionnements et des services logistiques de l'AP-HM (Assistance publique - Hôpitaux de Marseille)
Face à de grosses difficultés d'approvisionnement en équipements de protection individuelle (EPI), nous nous sommes organisés en mode gestion de crise fin février début mars 2020. En étroite collaboration avec le Clin (Comité de lutte contre les infections nosocomiales) et les services, nous avons centralisé la gestion des masques, des blouses, des charlottes et des surchaussures. Ce qui nous a permis de maîtriser les flux d'approvisionnement et la distribution. Pour faire face à la crise sanitaire, nous avons dédié quatre acheteurs à ces produits et loué un deuxième entrepôt pour les stocker. Notre cellule de crise achats approvisionnements se réunissait tous les jours à 13 h pour faire le point. Très vite, nous nous sommes tournés vers des achats à l'international.
La chambre de commerce et la préfecture de région nous ont accompagnés dans la mise en place de procédures d'achats avec des intermédiaires. Auprès de fournisseurs de divers pays, dont la Chine et le Maroc, ces intermédiaires ont acheté avec nous des produits qui sont arrivés à l'aéroport Marseille Provence. Pendant trois mois, notre organisation de travail a été chamboulée, avec la nécessité de travailler le samedi, le dimanche et la nuit. Pour certains achats, nous avons parfois autorisé des avances de 100 % du montant du marché, sans connaître de déconvenues. La chambre de commerce nous a également mis en relation avec des entrepreneurs locaux, notamment pour développer et fabriquer des blouses, des visières et des lunettes. L'AP-HM a acheté des textiles validés par le Clin et les a remis à des entrepreneurs pour la fabrication de blouses. Des salariés de l'AP-HM ont des couturières dans leur famille : ce sont elles qui ont fait le patron !
Lire aussi : Les achats, fer de lance des politiques publiques ?
"La sécurisation des approvisionnements doit se faire à l'échelle européenne" - Dominique Legouge, directeur général du groupement d'intérêt public Resah (Réseau des acheteurs hospitaliers).
Comment mieux sécuriser les approvisionnements ?
Dans les secteurs sensibles, nous allons demander aux fournisseurs de constituer des stocks de sécurité sur le territoire national et d'avoir des lieux de production en Europe. Cela nous permettra, en cas de crise, d'être certains des approvisionnements. C'est la notion d'achat souverain, à l'échelle européenne. Il nous faut sélectionner les sujets dont l'enjeu justifie des prix plus élevés et faire des économies sur d'autres sujets, supprimant le gaspillage.
À quel niveau faut-il réguler la sécurisation des approvisionnements ?
Des travaux à l'échelle européenne seront sans doute nécessaires pour répartir harmonieusement cet achat souverain entre nations. Le risque est, en effet, que chaque pays produise de son côté, par exemple des gants, ou qu'un État réquisitionne une usine sur son territoire. La régulation de la sécurisation des approvisionnements doit se faire à l'échelle européenne, comme nous avons commencé à le faire avec les vaccins contre la Covid-19. Dans notre cadre juridique européen, il faudrait créer une sorte de consortium de centrales d'achat travaillant ensemble sur ces sujets de sécurisation. Cela participerait au renforcement de l'Europe de la santé.