Nouri Jarjir, chef du bureau des achats ministériels, Services du Premier ministre : "Instaurer une relation gagnant-gagnant avec les clients internes"
Contribuer à l'émergence d'un réseau professionnel d'acheteurs au sein des Services du Premier ministre, tel est le challenge que s'attelle à relever, depuis deux ans, déjà, Nouri Jarjir, chef du bureau des achats ministériels. Rencontre.
Je m'abonneEn tant que chef du bureau des achats ministériels des services du Premier ministre, en quoi consiste votre action?
Notre action comprend deux volets principaux, promouvoir la mutualisation des achats au sein du périmètre des Services du Premier ministre (SPM) et contribuer à la réalisation des objectifs de performance assignés aux achats de l'État. Une démarche double, qui s'inscrit dans un cadre particulier, puisque les Services du Premier ministre regroupent pas moins d'une trentaine d'entités publiques aux statuts disparates. À savoir, les autorités administratives indépendantes (Cnil, Défenseurs des droits...), une autorité publique indépendante (CSA), des juridictions (Cour des Comptes et Conseil d'État), des secrétariats généraux (Secrétariat général de la modernisation de l'action publique, Secrétariat général des affaires européennes...), des services déconcentrés (directions départementales interministérielles), une assemblée consultative (CESE), des établissements publics... C'est dire si notre périmètre d'intervention est hétéroclite!
Il apparaît clairement que les Services du Premier ministre ne constituent pas un ministère au sens traditionnel, mais se caractérisent davantage par une myriade de structures autonomes à l'identité marquée. Aussi, pour faciliter la mutualisation des achats au sein d'un tel périmètre, a-t-il été nécessaire de réorganiser notre action de A à Z. La création, en 2011, d'une structure appelée "Bureau des achats ministériels" (Bam) traduit cette évolution marquante. Je la dirige aujourd'hui.
Dans quel contexte une telle démarche d'optimisation des achats a-t-elle émergé?
Avec la création, en 2009, du Service des achats de l'État (SAE), et la formalisation d'une politique achats dédiée. Cette nouvelle politique constitue désormais, pour tous les ministères, la feuille de route et doit les aider à s'adapter aux contraintes de la nouvelle donne budgétaire. Le SAE définit l'ensemble des orientations et priorités stratégiques, comme l'objectif de réaliser un gain de 2 milliards d'euros entre 2013 et 2015 pour l'ensemble des services de l'État (1 milliard d'euros entre 2009 et 2012). Si les axes stratégiques de la politique achats sont relayés au sein de notre périmètre par Cécile Lazaro, responsable ministérielle achats, le Bam est, quant à lui, chargé de leur déclinaison stratégique et opérationnelle. Il inscrit son action de modernisation et de professionnalisation de l'achat au sein de la direction des services administratifs et financiers (DSAF) du Secrétariat général du Gouvernement, auquel nous sommes rattachés.
Concrètement, quels premiers leviers ont été actionnés?
Tout d'abord, il a fallu organiser cette démarche de convergence, qui a pris plusieurs années, et qui est, fort heureusement, presque terminée, aujourd'hui. Dès le départ, les premières actions de rationalisation ont porté sur l'analyse comparative des dépenses des services pour identifier les besoins communs mutualisables : téléphonie, photocopieurs, fournitures de bureau, etc. L'idée étant d'identifier le plus rapidement possible les actions de rationalisation prioritaires. En effet, pour une même prestation, il y avait parfois des écarts de prix de 1 à 5 d'une entité à l'autre! D'où la nécessité d'uniformiser la couverture contractuelle avec le déploiement d'un fonctionnement en réseau. L'enjeu a aussi consisté à remettre à plat certains contrats pour les faire converger dans un même marché. Optimisation du panel fournisseurs, mutualisation des achats, autant d'actions déployées dans une logique de coopération pour garantir, in fine, l'adhésion des prescripteurs.
Biographie
Nouri Jarjir, 45 ans, est titulaire d'une maîtrise de droit public. Entré dans la fonction publique après sa réussite au concours des Instituts régionaux d'administration, il a exercé, de 1996 à 2000, au ministère de la Défense en tant que responsable achats en administration centrale. De 2001 à 2003, il a assumé des missions de contrôle et de conseil dans le domaine des marchés publics au ministère des Affaires étrangères. En 2004, il a intégré la DSAF du Secrétariat général du Gouvernement, d'abord en tant qu'adjoint au chef du bureau de la logistique, puis d'adjoint au chef du bureau de la commande publique. Depuis 2012, il est le chef du bureau des achats ministériels.
Comment avez-vous formé vos équipes aux bonnes pratiques achats?
"Une filière de l'achat public suppose l'élaboration d'un plan de formation ambitieux pour assurer la montée en compétence des équipes."
L'émergence d'une filière de l'achat public suppose, effectivement, l'élaboration d'un plan de formation ambitieux pour assurer la montée en compétence des équipes. L'objectif est de taille: faire évoluer le rôle des acheteurs, au-delà de l'aspect contractualisation stricto sensu. Et ce, pour qu'ils soient à même d'investir l'ensemble de la chaîne achat, de l'expression du besoin à l'exécution du marché. Ainsi, mes équipes ont suivi plusieurs modules de formation pour appréhender la totalité des composantes de leur nouveau métier. Personnellement, j'ai suivi le cursus d'acheteur leader du SAE. Ces formations passent au crible tous les fondamentaux du métier: dimension économique de l'achat, leadership, calcul des coûts, négociation, marketing achats, gestion des risques, veille fournisseurs, etc. Nous avons aussi procédé au recrutement de nouveaux profils d'acheteurs expérimentés. Mais, au-delà du volet ressources humaines, les bonnes pratiques achats reposent également sur un travail d'échanges et de partage d'informations intensifié au sein du périmètre ministériel et interministériel. Tout cela traduit un véritable changement organisationnel et culturel!
Le code des marchés publics constitue-t-il une aide ou un frein à la professionnalisation des achats?
Le code des marchés publics s'impose, tout d'abord, comme le socle incontournable et non négociable sur lequel se basent toutes nos actions. Alors, certes, il impose parfois des procédures très cadrées, comme l'interdiction de recourir à la négociation en cas d'appel d'offres. Mais d'une façon générale, le code des marchés publics est loin d'être une contrainte. Ceux qui pointent ses rigidités n'ont pas pris toute la mesure des dernières évolutions. Cet outil nous accompagne au quotidien dans la modernisation des achats, en favorisant, par exemple, l'activation de leviers phares, tels que l'allotissement des marchés ou la multi-attribution. Une pratique dont nous sommes largement adeptes, notamment pour nos marchés de travaux. Ce fut encore le cas fin 2014, lors du renouvellement d'un marché d'entretien de bâtiments. De quoi faciliter l'accès des PME à nos marchés. D'ailleurs, plus de 60% de ces derniers sont aujourd'hui attribués à des petites et moyennes entreprises.
Quels sont vos prochains chantiers?
Tout d'abord, poursuivre nos efforts pour atteindre les objectifs de performance assignés aux achats de l'État, notamment en termes d'achats responsables ou innovants. Rappelons que le SAE a fixé pour objectif de réaliser 2% d'achats innovants d'ici 2020! Autre chantier: mettre en oeuvre les dernières mesures de simplification propres à étendre l'accès à la commande publique à un plus grand nombre d'entreprises. Le recours au service "marché public simplifié", généralisé depuis fin 2014, devrait changer la donne, puisqu'il permet aux fournisseurs de répondre à un marché avec leur seul numéro Siret. D'une manière générale, nous voulons intensifier toujours plus notre travail de mutualisation et de convergence. Ce qui passe par l'amélioration de la communication et la qualité du dialogue avec nos partenaires.
Bureau des achats ministériels (services du Premier ministre)
Effectif Achats du bureau : 19
Volume Achats : 500 M€
Vous devez probablement faire face à certaines résistances en interne...
"Le processus de mutualisation est une mécanique vertueuse. Il repose sur une équipe professionnalisée qui apporte aux services des achats performants adaptés à leurs besoins."
Effectivement, nous devons répondre à certaines interrogations et préoccupations. Il s'agit surtout de craintes légitimes de nos partenaires de perdre en autonomie de gestion. C'est pourquoi nous avons veillé à communiquer, dès le départ, sur le caractère gagnant-gagnant d'une telle collaboration impliquant l'ensemble des acteurs de l'achat du périmètre. En effet, le processus de mutualisation est une mécanique vertueuse. Il repose sur une équipe professionnalisée qui apporte aux services bénéficiaires des achats performants adaptés à leurs besoins avec, en prime, un gain de temps et d'argent, sans oublier la sécurisation juridique des contrats. C'est ce qui a permis au Bam de mettre à disposition des différents services plus d'une cinquantaine de marchés partagés couvrant l'essentiel de leurs besoins en fonctionnement courant (solutions d'impression, affranchissement, téléphonie, carburant, fournitures de bureau, documentation, formation, matériel informatique, gestion de flotte automobile, etc.) et certains de leurs besoins spécifiques (traduction, marchés d'intendance, sténotypie, etc.). Des marchés sur lesquels nous avons généré des économies de plusieurs millions d'euros! La mise en place, depuis 2011, d'une programmation annuelle puis pluriannuelle des achats avec l'ensemble des partenaires a aussi contribué à favoriser une meilleure coopération.
Quid de votre taux de couverture?
La couverture contractuelle des achats réalisés et pilotés par le bureau est assurée à plus de 90%. Un résultat généré par plusieurs leviers: l'adhésion aux marchés interministériels du SAE, la mise en oeuvre de marchés ministériels mutualisés ou renégociés et, enfin, le recours à l'offre Ugap, la centrale d'achats publics. Si, pour les familles d'achats relatives au fonctionnement courant, nous avons atteint un degré de mutualisation important, ce n'est pas encore le cas pour les catégories plus spécifiques, autrement dit les marchés "métiers".
Comment comptez vous conquérir ces familles d'achats?
Nous avons pris des initiatives dès la fin 2014 en décidant, notamment, de réorganiser notre bureau. Ainsi, une nouvelle répartition du portefeuille des acheteurs a été effectuée en nous inspirant des équipes segments du SAE. Nous avons, ainsi, pu identifier une section dédiée au développement d'une offre de marchés mutualisés pour les achats métiers. Cette dernière catégorie regroupe, aujourd'hui, des familles très diverses: prestations intellectuelles (communication, formation, études, documentation juridique), marchés informatiques complexes et ultrasécurisés, etc.