Les centrales d'achats à l'heure de la fusion des régions
Dans le cadre de la nouvelle organisation territoriale de la République (NOTRe), les centrales d'achats départementales vont-elles laisser la place à des mastodontes régionaux ? Décryptage.
Je m'abonne"La décentralisation, [...] c'est un souffle, un élan, pour l'unité de la République, sa cohésion, l'efficacité de son action. Pour être plus forte, la République a besoin de renforcer ses territoires. " C'est par ces mots que le Premier ministre Manuel Valls a introduit son discours au Sénat le 29 octobre 2014 sur le projet de réforme territoriale. "Cohésion", "efficacité", des termes qui peuvent s'appliquer aux achats et à leurs acteurs comme les centrales d'achats. Justement, à l'heure de la fusion des régions, comment les centrales d'achats anticipent-elles la nouvelle donne de la carte de France ?
Les centrales affichent leurs ambitions
Aujourd'hui, elles sont peu nombreuses et diverses. On peut citer Centr'Achats, centrale d'achats affiliée à la région Centre, ou des centrales d'achats départementales comme Approlys ou encore CAP'Oise, créée en avril 2009. Faut-il mutualiser pour mieux acheter ? La mutualisation des achats soulève naturellement la question des (trop ?) nombreuses centrales d'achats abordées lors d'une journée dédiée à l'achat public organisée par l'Ugap, le 25 juin 2015, au siège de la Chambre de commerce et d'industrie d'Île-de-France. Pour Sébastien Taupiac de l'Ugap, il faut éviter la "guéguerre sur la mutualisation des centrales qui doivent être solidaires car, au final, toutes sont dans le même bateau de la commande publique" .
"Les transferts de compétences peuvent amener des changements de périmètre en termes de familles d'achats au sein des centrales en place."
"C'est un fait, explique Marc Sauvage, directeur des achats et des services juridiques de la région Centre-Val de Loire et président de la Cdaf. Ces regroupements de régions vont nécessairement amener les nouveaux exécutifs, dès le début de l'année 2016, à faire un état des lieux des initiatives en place. Pour les centrales d'achats régionales, citons notamment l'AMPA en Aquitaine et Centr'Achats pour la région Centre-Val de Loire. Une fois ces états des lieux en place, il faudra analyser les opportunités de rapprochements au sein des nouvelles régions : élargissements géographiques, fusions, etc. avec notamment des transferts de certaines compétences entre collectivités. Ces transferts peuvent amener des changements de périmètre en termes de familles d'achats au sein des centrales en place."
Un sujet dont se sont déjà emparées les centrales d'achats. Prenons l'exemple de la future grande région Aquitaine-Limousin-Poitou-Charentes. Aujourd'hui existe l'association des marchés publics d'Aquitaine (AMPA) et sa centrale d'achats Capaqui. "Nous sommes en pleine croissance ", explique Julie Tomas, directrice de l'association des marchés publics d'Aquitaine (AMPA) et de sa centrale d'achats Capaqui, qui en veut pour preuve "une multiplication du chiffre d'affaires par sept depuis 2011", date de la création de Capaqui. Aujourd'hui, la centrale d'achats propose des équipements variés pour répondre au besoin de ses 1 200 acheteurs publics adhérents, et notamment les 155 lycées de la région Aquitaine.
Vers la fin des centrales d'achats territoriales ?
Pour anticiper la réforme et son impact sur les achats, des groupes de travail se sont constitués sur le sujet. Ainsi, il existe désormais un groupe de travail, au sein de l'ARF (Association des régions de France), qui intègre l'Aquitaine, la Bourgogne, la Bretagne, le Centre-Val de Loire, l'Île-de-France, la Lorraine, la PACA Rhône-Alpes... Depuis près d'un an, ce groupe de travail est piloté par la région Centre-Val de Loire. Il a pour ambition de partager les bonnes pratiques et d'identifier des synergies d'achats. "Des premières pistes de réflexion ont été dégagées, comme la mutualisation des achats de véhicules, la montée en compétences sur les achats de formation professionnelle, le partage du sourcing, la construction d'observatoires des prix, etc. " , souligne Marc Sauvage, de Centr'Achats. Avant d'ajouter :"Dans ce contexte, Centr'Achats, qui compte 160 adhérents, peut essaimer ces résultats et cette expérience vers d'autres régions et imaginer des synergies en proximité territoriale." Cette nouvelle carte de France ne risque-t-elle pas de sonner le glas des centrales d'achats départementales au profit de grosses centrales d'achats régionales ? La question mérite en effet d'être soulevée.
"La loi NOTRe va naturellement poser la question du devenir des centrales d'achats territoriales , insiste Jean-Charles Manrique, directeur de la centrale d'achats territoriale Approlys. D'autant plus si on s'avance vers des supports de massification d'achats publics et des stratégies coopératives avec d'autres régions." Approlys, forte de 570 membres et six conseils départementaux, se revendique "régionale" et "porteuse d'une ambition nationale pour devenir un centre de ressources pour les collectivités". De deux centrales d'achats de la région Centre, certains prédisent qu'une fois les élections passées, il ne pourrait en rester qu'une... Mais des régions n'ont pas attendu les changements annoncés pour lancer des initiatives. Ainsi, dès avril 2014, les régions ont créé une centrale d'achats informatiques baptisée Epsilon, basée à Bordeaux. L'objectif est d'acheter des progiciels communs aux régions. "Aujourd'hui, les régions fondatrices (Aquitaine, Centre-Val de Loire, Île-de-France, Lorraine, Pays de Loire et Rhône-Alpes) ont été rejointes par la quasi-totalité des autres régions. Epsilon pourrait ainsi voir son périmètre élargi : licences, gestion de projets, etc. ", précise Marc Sauvage.
La baisse des dotations de l'État amène de plus en plus de régions à développer ou à renforcer leurs fonctions achats. "Certaines nouvelles régions constituées (Aquitaine/Poitou-Charentes/Limousin, Midi-Pyrénées/Languedoc-Roussillon, Nord-Pas-de-Calais/Picardie, Alsace-Lorraine...) vont se retrouver à la tête de budgets de plusieurs milliards d'euros. Leurs élus et leurs directions générales vont devoir monter des directions achats professionnelles et puissantes pour se dégager des marges de manoeuvre financières et maintenir les politiques en place, au service des citoyens", conclut le président de la Cdaf.
Mode d'emploi pour créer sa centrale d'achats
"Monter une centrale d'achats est très complexe car cela implique des enjeux politiques, diplomatiques et requiert des compétences spécifiques", détaille Jean-Charles Manrique, directeur de la centrale d'achats territoriale Approlys. C'est pourquoi, la centrale d'achats Approlys envisage de lancer sur son site internet un mode d'emploi pour créer sa propre centrale d'achats. Baptisé "Je monte ma centrale d'achats", il se présentera sous la forme d'une "valise électronique". "Une sorte d'oeuvre pédagogique clés en main, explique le directeur d'Approlys. Nous utilisons l'argent public, il est donc de notre devoir de redistribuer les économies engendrées."
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Les centrales régionales anticipent la fusion des régions
La centrale d'achats Capaqui a d'ores et déjà anticipé la fusion des régions et a ainsi étendu, dès le mois de mai 2015, le périmètre de sa centrale d'achats au territoire de la future grande région Aquitaine-Limousin-Poitou-Charentes. Ainsi, au 1er janvier 2016, une plateforme commune de dématérialisation des trois régions devrait voir le jour et accueillir les marchés de la grande région Aquitaine-Limousin-Poitou-Charentes. "Cette nouvelle donne territoriale nous amènera à réaliser une analyse assez fine du tissu économique des régions pour identifier les politiques achats pertinentes que nous pourrons mettre en oeuvre", poursuit la directrice de l'AMPA.
L'association des marchés publics d'Aquitaine a, de plus, échangé avec la région Centre et sa centrale Centr'Achats sur des bonnes pratiques. Si les catalogues de la centrale d'achats sont désormais accessibles aux régions Limousin et Poitou-Charentes, "l'AMPA n'oublie pas qu'elle a une obligation de performance pour séduire et emporter l'adhésion de ces deux nouveaux territoires avec bien sûr la volonté d'augmenter significativement son chiffre d'affaires dans les années à venir", conclut la directrice de l'AMPA.
Du côté de la future grande région Languedoc-Roussillon-Midi-Pyrénées, le conseil régional du Languedoc-Roussillon interrogé sur le même sujet - à savoir la création possible d'une centrale d'achats de la future région - affirme "être intéressé par le sujet". Une préoccupation encore récente, qui devrait prendre forme après les élections régionales, mi-décembre 2015. "Notre première assemblée générale se tiendra début 2016, avec des avancées en la matière, et des dispositions seront prises sur le sujet de la création d'une centrale d'achats", explique la chargée de communication de la région.
Pour certaines futures grandes régions, le challenge ne semble pas difficile. Citons l'Alsace-Champagne-Ardenne-Lorraine, "où le tissu économique semble être similaire", ainsi que la Bourgogne-Franche-Comté, "où les achats publics sont complémentaires", de l'avis de Jean-Charles Manrique, directeur de la centrale d'achats territoriale Approlys.
La fusion des régions : source d'économies?
Le gouvernement avait évoqué 10 milliards d'euros d'économies suite à la fusion des régions. Or, cette réforme aura un effet limité sur les finances des régions et leur notation à court terme. Elle pourrait même accroître les inégalités à long terme, estime la société américaine de notation financière Standard & Poor's dans une étude publiée le 22 septembre, rapporte l'agence de presse Reuters. Même si elle offre des perspectives de financement intéressantes, estime S&P. Il est en revanche trop tôt pour dire quelles économies le passage de 22 à 13 régions pourrait générer, selon l'agence de notation. Dans cette étude, Standard & Poor's souligne d'abord que la place des régions restera marginale en France, en comparaison avec ses voisins européens, malgré un quasi-doublement du budget moyen et une augmentation de la population de 2,9 à 5 millions de personnes en moyenne. Leurs compétences étant relativement restreintes par rapport aux régions allemandes, belges, italiennes ou espagnoles, leur poids demeure assez faible : le budget de l'ensemble des régions françaises en 2014 était de 25,5 milliards d'euros, contre 23,1 pour la seule Lombardie ou 23,3 pour la Catalogne. Ces domaines d'intervention devant peu évoluer dans un premier temps, même si les régions récupèrent les transports scolaires ou centralisent le développement économique, S&P table sur une hausse de budget de 10 %, en une fois. Leur niveau d'endettement est jugé élevé, à 109 % des recettes (hors Île-de-France) en 2015, avec une progression attendue jusqu'à 134 % en 2017. Mais S&P rappelle que les régions comptent pour seulement 1,1 % de la dette publique.
Avec la baisse des dotations de l'État dans le cadre du plan d'économies de 50 milliards d'euros sur la période 2015-2017, le taux d'épargne brute des collectivités devrait baisser et S&P s'attend à voir les régions ajuster l'effort d'investissement. La nature des économies potentielles est mal connue, mais S&P pense que les sources se trouvent dans la renégociation des contrats importants, comme les conventions sur les TER avec la SNCF, ou l'harmonisation d'intervention due à la refonte de la carte - proximité de lycées - ou aux nouvelles compétences. "On n'a pas vu encore d'études qui permettent de dire qu'il y aurait des économies d'échelle", a rappelé Valérie Montmaur, analyste, lors d'une conférence de presse.