Les achats groupés à l'épreuve de L'efficacité
Les différentes réformes dans la sphère publique favorisent la mutualisation des achats. Plus qu'une simple addition de marchés, cette démarche demande de définir les procédures pour standardiser les besoins et offrir une visibilité aux fournisseurs. Une vraie culture à acquérir et un mode de gouvernance qui ne s'improvise pas.
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L'union peut faire la force. Le contexte difficile dans lequel évoluent les organisations publiques, dont les ressources humaines et financières se tassent, impose une réflexion sur la mutualisation dans certains domaines, comme les achats. Ce processus demande, à besoin égal et comparable, de massifier la commande publique afin d'obtenir de meilleures conditions de prix ou de délais de ses fournisseurs. «La mutualisation est l'un des enjeux importants de ces prochaines années dans le secteur public, d'autant plus que les achats sont très éparpillés», analyse Arthur Cramer, senior manager au cabinet de conseil Ineum.
Les expériences montrent que l'efficacité de la démarche suppose plus qu'une simple addition de besoins. «La mutualisation présente des opportunités évidentes en termes de gains financiers ou administratifs. Mais des obstacles demeurent, dont le principal est la difficulté d'analyser le besoin, observe Arthur Cramer. Les entités publiques sont organisées selon des modes souvent très différents et peu d'entre elles disposent de données consolidées sur leurs achats.» Des préalables pourtant nécessaires pour franchir la première étape de définition et d'homogénéisation du besoin. Les structures centralisées ont une longueur d'avance. Au niveau de l'Etat, le service des achats (SAE) coiffe désormais la pyramide. Dans le secteur hospitalier, la Mission d'expertise et d'appui aux hôpitaux (Meah), satellite du ministère de la Santé, joue un rôle de chef d'orchestre. Dans ces deux cas, le terreau est favorable. Un contexte que ne connaît pas le monde très atomisé des collectivités. La mutualisation y reste l'exception, même si, depuis quelques mois, des initiatives innovantes ont eu lieu.
Etat: des impératifs à concilier
La massification fait partie des leviers privilégiés par le nouveau Service des achats de l'Etat. Mais l'éparpillement des sites administratifs, le soutien au tissu économique ou la prise en compte du développement durable imposent une démarche pragmatique.
Avec ses 30000 sites administratifs répartis sur l'ensemble du territoire et son organisation verticale, l'Etat présente un profil idéal pour mutualiser ses achats courants, qui pèsent près de 15 milliards d'euros. C'est d'ailleurs une démarche entamée ces dernières années par l'Agence centrale des achats (ACA) du Minéfi. Créée en 2004, celle-ci avait notamment standardisé l'achat de matériel informatique au sein des ministères «économiques» (Budget, Economie et Industrie). D'autres ont mené également une expérience en la matière, à l'instar du ministère de l'Intérieur. La Place Beauvau a ainsi passé, depuis 2006, plusieurs marchés nationaux sur les frais généraux, sur lesquels se sont greffées les préfectures de région. Au niveau interministériel cette fois, l'expérience phare a été celle du recours à l'Ugap, la centrale d'achat public, pour un marché (un accord-cadre) de fournitures de ramettes de papier éco-responsable, déployé depuis 2008.
«En matière de marchés massifiés, nous ne partons pas d'une feuille blanche et nous pouvons nous appuyer sur des exemples de marchés réussis», résume le directeur du Service des achats de l'Etat (SAE), Jacques Barrailler. Créé en mars dernier avec l'objectif, entre autres, de définir une stratégie achats et de veiller à son application, le SAE compte sur la massification des besoins et de la demande. «Sur certaines familles, le travail de massification est à l'oeuvre mais cela suppose que les descriptions fonctionnelles des besoins concordent entre chaque ministère.» Ainsi, des groupements de commandes sur les micro-ordinateurs, la téléphonie, les solutions d'impression ou encore les machines à affranchir sont ou seront progressivement mis en place début 2010. Un travail facilité par la désignation, dans chaque ministère, d'un responsable ministériel des achats (RMA), véritable animateur achats, en charge notamment du recensement des besoins. En matière d'organisation, les groupements de commandes ou accords-cadres regrouperont l'ensemble des ministères ou une partie de ceux-ci, selon la pertinence économique de la massification pour chaque administration. Et le SAE ou un ministère pilotera l'opération, à l'image du binôme Défense et Intérieur, qui avait pris en charge un marché interministériel des cartes d'essence.
Justifier la pertinence économique
L'approche de Jacques Barrailler en matière de massification est pragmatique: «Cette méthode doit se justifier par sa pertinence économique en coûts complets, mais aussi l'assurance que les fournisseurs peuvent garantir la bonne exécution du marché, précise le directeur du SAE. Etant donné la configuration de l'administration, avec près de30000 sites déconcentrés sur le territoire, Userait illusoire dépenser que tout peut être globalisé». Par exemple, les marchés de nettoyage des locaux ne peuvent faire l'objet d'un marché unique et national. En revanche, le SAE disposera de relais locaux pour veiller à l'efficacité de l'achat sur le territoire. «Deux responsables achats seront nommés début 2010 dans chaque région», annonce-t-il. Rattachés au Secrétariat général pour les affaires régionales (Sgar), ils auront en charge l'application de la politique du SAE en région, la remontée des besoins et leur consolidation à l'échelle locale. Chaque préfecture régionale réorganise ses achats, avec l'objectif de devenir un relais de l'administration centrale.
Jacques Barrailler rappelle que le phénomène de massification doit composer avec les objectifs de l'Etat. En matière de garantie d'accès à la commande publique, cela suppose, par exemple, de veiller à ce que les PME puissent accéder aux marchés de l'Etat. «L'allotissement est une technique connue et utilisée, rappelle-t-il. Le nombre de marchés régionaux continuera d'être important.» Le développement durable est un autre aspect à prendre en compte. «En matière écologique ou sociale, des textes ont tracé la voie à suivre.» La circulaire sur «l'Etat exemplaire» adressée par François Fillon fin 2008 prévoit que 10% des marchés de l'Etat - concernant les achats courants comme le nettoyage - devront comprendre une clause d'insertion en faveur des personnes éloignées de l'emploi.
«Vu l'organisation de l'Etat, il serait illusoire de penser que tout peut être mutualisé.»
Jacques Barrailler, Service des achats de l'Etat
JEAN-OLIVIER ARNAUD, PRESIDENT d'UNIHA ET DIRECTEUR GENERAL DU CHU DE NIMES «Garantir des prix identiques pour Les hôpitaux adhérents»
La mutualisation dans le secteur hospitalier a franchi un palier avec l'émergence de structures permanentes d'achats groupés, à l'image d'UNIHA, qui regroupe les 53 plus gros établissements français. Présentation de cette structure par son président.
Comment est organisé UniHA?
JEAN-OLIVIER ARNAUD: UniHA est un réseau coopératif qui s'est constitué en 2005 sous forme de groupement de coopération sanitaire (GCS). Il réunit 53 adhérents, dont l'ensemble des CHU. En rejoignant UniHA, les directeurs généraux de ces établissements ont choisi de mutualiser, d'ici à 2012, 70% de leurs achats. L'objectif est de massifier les commandes afin de dégager des économies d'échelle et de négocier de meilleurs prix. Notre potentiel d'achats est supérieur à 7 milliards d'euros. Cela nous place parmi les dix plus grands acheteurs publics européens.
Quelles sont vos procédures types d'achats?
Onze filières d'achats qui correspondent à nos grands besoins communs ont été définies. En amont, la stratégie globale d'achats est précisée par un groupe d'experts, représentant les établissements. Au niveau opérationnel, un coordonnateur, issu de l'un des hôpitaux adhérents, est désigné pour chaque filière. Il s'agit d'un spécialiste du domaine concerné et du marché fournisseurs. Par exemple, le CHU de Marseille est spécialisé dans les NTIC tandis que celui de Nancy pilote la filière Hygiène. Le coordonnateur procède au recensement des besoins et lance les procédures. Il se fait assister par un acheteur leader détaché par UniHA pour la rédaction du cahier des charges et suit l'exécution du marché.
Avec 53 adhérents, la définition du cahier des charges n'est-elle pas une gageure?
Non. D'abord, les hôpitaux sont libres de participer aux groupements de commandes en fonction de leurs besoins. Ensuite, les coordonnateurs travaillent aussi en binôme avec un collège d'utilisateurs, qui regroupe des prescripteurs. Ces derniers participent pleinement à la définition du besoin et n'hésitent pas, parfois, à aller plus loin. Ils peuvent par exemple proposer aux industriels des innovations afin d'améliorer la qualité.
Quels résultats peut afficher UniHA?
Au niveau économique, nous avons dégagé en 2008 des gains de 42 millions d'euros par rapport aux marchés précédents des adhérents, sur un volume global de plus de 400 millions d'euros. En 2009, le montant achats s'élève à 840 millions, avec un gain prévisionnel de 68 millions. De plus, le partage des besoins et la standardisation permettent d'éviter la surqualité, tout en veillant de ne pas baisser en gamme. L'autre grand motif de satisfaction concerne la régularité des approvisionnements et le respect des délais, un point fondamental pour les hôpitaux.
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La mutualisation hospitalière en chiffres
-Achats annuels des hôpitaux: environ 13 Mds d'euros (source: ministère de la Santé)
-Principaux groupements d'hôpitaux: UniHA (53 CHU et établissements adhérents - 840 MEuros d'achats); GIP Resah Ile-de-France (116 adhérents - 200 MEuros); GIE Centres de lutte contre le cancer (20 adhérents - 334,5 MEuros en 2008). La fédération hospitalière de France a dénombré plus de 340 groupements d'achats hospitaliers en France, la plupart aux niveaux départemental et régional.
Collectivités: des habitudes à prendre
Les exemples d'achats groupés sont désormais plus fréquents dans les collectivités mais la logique de la mutualisation reste appréhendée de manière très différente. Zoom sur les différentes pratiques.
Alors que la mutualisation des achats entre collectivités relevait plus des déclarations d'intention que de la réalité, les exemples se sont multipliés ces derniers mois, à une échelle encore jamais atteinte (lire encadré). Premier constat: dans un contexte où les marges budgétaires s'érodent, les achats demeurent très éparpillés. Le potentiel de gain est évident, ne serait- ce que grâce aux économies d'échelle. Pourtant, les procédures d'achats groupés n'ont pas décollé. Catherine Todini, directeur adjoint aux affaires juridiques du Grand Lyon (Communauté urbaine), avance une première explication. «Il est difficile de s allier avec d'autres entités pour mieux acheter si l'on n'a pas institué ce type de procédure dans sa propre collectivité entre les différents services-», observe-t-elle. C'est en tout cas le chemin emprunté par le Grand Lyon depuis 2001. «Nous avons mis en place un recensement exhaustif et annuel de nos achats, piloté par le service de la commande publique», explique-t-elle. Lequel a souligné les dépenses répétitives des différents services de l'établissement public de coopération intercommunale (EPCI). «Nous avons donc décidé de les mutualiser dès lors que cela représente une opportunité, du fait des volumes d'achats ou de la structure du marché fournisseurs.» Aujourd'hui, les marchés massifiés interservices sont récurrents dans plusieurs segments: fournitures et services, carburants, véhicules...
Cette culture de la mutualisation déborde maintenant du cadre de l'EPCI. La communauté urbaine travaille, par exemple, sur un groupement de commandes avec la Ville, concernant les dépenses de voyages des élus qui siègent à la fois à la mairie et au conseil communautaire. La question de la fusion des services de la commande publique pourrait, dès lors, s'envisager. Elle n'est pas à l'ordre du jour. «Nous y avons réfléchi, reconnaît Catherine Todini. Mais cela ne s'est pas révélé vraiment pertinent. Il faudrait que nous ayons de nombreux segments d'achats identiques, ce qui n'est pas le cas. Nos missions et celles de la ville restent très différentes.»
A l'opposé, la communauté urbaine de Brest (Brest Métropole Océane, BMO) a choisi dès 2003 d'évoluer vers un modèle totalement mutualisé. «Afin défaire réduire les dépenses de fonctionnement, tous les services de l'agglomération et de la ville-centre sont communs», explique Emmanuelle Rivoallan, directrice des marchés publics des deux entités. La direction des marchés publics est même unifiée depuis 1999, comme la DRH ou la direction des services informatiques, tandis que l'ensemble des agents relève de BMO depuis l'année dernière. La pratique des groupements de commandes est donc bien rodée. Environ un tiers du montant total des achats - soit 75 millions d'euros par an - est réalisé par ce biais. «Nous les généralisons autant qu'il est possible entre la ville et l'agglomération, qui demeurent deux personnes juridiques tout à fait distinctes, explique la responsable. Les achats récurrents tels que les fournitures ou bien le carburant font quasi-systématiquement l'objet d'une commande groupée.»
Chercher le service le plus efficace
En principe, la commission d'appel d'offres (CAO) est celle du coordonnateur, le plus souvent l'agglomération. Sinon, pour des groupements ponctuels, une commission ad hoc est créée. Ce fut le cas pour un achat commun entre BMO et la petite ville de Gouesnou (6000 habitants), pour la réfection et le réaménagement de la place du village. Un dossier où les compétences se croisaient: BMO a la main sur les espaces publics, Gouesnou, quant à elle, maîtrise les bâtiments. Entre ces deux modèles, la communauté d'agglomération d'Orléans a fait le choix intermédiaire. Elle propose, depuis 2008, une plateforme de services «à la carte», dont font partie les marchés publics. «La ville-centre et l'agglomération ont mutualisé leurs services fonctionnels, sans aller jusqu'à la fusion. Chacun conserve son autonomie, sa liberté budgétaire et ses effectifs, explique Marie-Louise Coquillaud, directrice générale des services (DGS) de l'agglomération. Simplement, pour chaque dossier concernant les services supports comme les marches publics, nous recherchons quel service sera le plus efficace en fonction des moyens humains, de la somme de travail et des compétences à mobiliser. Nous basculons ensuite la mission vers la ville ou l'agglomération.»
Dans un second temps, le pilote du dossier propose aux autres communes d'Orléans Val-de-Loire (au nombre de 22) de profiter de cette gestion. Les modèles sont donc multiples mais, quel que soit le degré de mutualisation, les acteurs s'accordent sur un certain nombre de retombées positives liées à la mutualisation. «En règle générale, le coordonnateur du groupement de commandes est aussi choisi pour sa capacité à assurer la sécurité juridique de la procédure», remarque Arthur Cramer, senior manager au sein du cabinet Ineum Consulting. Selon Emmanuelle Rivoallan (BMO), «si le premier objectif est de dégager des économies d'échelle, il est également intéressant d'homogénéiser la qualité des prestations sur l'ensemble du territoire. Cela ne peut qu'être bénéfique pour les petites communes.»
Reste que, même dans une démarche de mutualisation, chaque acteur souhaite reprendre les commandes dès que la question paraît sensible politiquement. L'achat de masques anti-grippe en a récemment fourni un exemple à Catherine Todini (Grand Lyon). «Nous avons proposé aux communes de l'agglomération d'acheter en commun des masques, explique-t-elle. Toutes ont refusé. Sur ce sujet, je pense que les élus veulent garder la main, au cas où ils auraient des comptes à rendre à la population.»
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Les achats groupés se multiplient
C'est une première en France dans le domaine des transports publics. Deux structures intercommunales, la communauté urbaine de Brest et la communauté d'agglomération de Dijon, ont acheté en commun des rames de tramway. En juillet dernier, François Cuillandre, maire (PS) de Brest et président de Brest Métropole Océane, et François Rebsamen, sénateur-maire (PS) de Dijon et président du Grand Dijon, ont annoncé ensemble le résultat de leur groupement de commandes pour l'achat de 52 rames de tramway. Après avoir dévoilé le nom du lauréat (Alstom), les deux élus ont fait le point sur cette procédure d'achat groupé, dont le but était de réaliser des économies d'échelle. C'est un succès: le coût global de l'opération est ramené à 106,5 millions d'euros, alors qu'il en aurait coûté au total 120 millions d'euros si les achats avaient été effectués séparément. Dans ce dossier, la concordance des besoins et la taille moyenne des donneurs d'ordres ont décidé les élus à s'allier pour peser sur le marché fournisseurs.
D'autres collectivités ont entamé depuis quelques mois des démarches d'achats groupées à l'ampleur inédite. Dans l'Oise, l'assemblée départementale a lancé en juin la première centrale d'achat public locale, auprès de laquelle pourront s'approvisionner les 15 communes adhérentes, ainsi que les satellites de l'assemblée départementale (Service départemental d'incendie et de secours, etc.). En Alsace, les deux départements ont mis sur pied, en début d'année, des groupements de commandes pour réaliser des achats en commun: sel de déneigement, véhicules, etc. En février dernier, six communautés urbaines (Lille, Nancy, Strasbourg, Le Creusot, Bordeaux et Lyon) ont constitué un groupement de commandes pour lancer un appel d'offres de 600 «véhicules urbains propres» répartis en trois lots: fourgonnettes, petites citadines et petites berlines compactes. Un marché précurseur auquel aucun fournisseur n'a su répondre. Mais les pouvoirs publics ont pris date sur le sujet: en septembre, l'Etat annonçait qu'il pilotera un groupement d'achats réunissant notamment les entreprises publiques ainsi que des collectivités pour acquérir 50000 véhicules électriques.