France Logistique : «Transport, logistique et supply chain sont mieux pris en compte»
La logistique répond à des enjeux essentiels mais cette industrie peine souvent à faire valoir ses spécificités dans les politiques publiques. Constance Maréchal Dereu, DG de France Logistique, aborde les enjeux clés de la supply chain, dans lesquels le retail tient une place de choix.
Je m'abonneLa logistique est très sollicitée par le développement de l'e-commerce et du commerce physique. De quelle manière la supply chain s'adapte-t-elle à l'évolution des habitudes d'achat?
Les évolutions du retail n'entraînent pas de changement sur les flux amont, vers les lieux d'éclatement. L'organisation de l'e-commerçant a en revanche des conséquences sur la supply chain, selon que la livraison part d'un magasin physique, d'un entrepôt multicanal ou d'un entrepôt dédié au commerce en ligne. Dans le commerce physique, plus les magasins des enseignes de proximité sont petits, plus il faut optimiser la surface de vente, ce qui accroît la tension sur la chaîne logistique. Dans la distribution traditionnelle, les stocks sont en général gérés à la palette ou à la couche, quand l'e-commerce fonctionne au picking. La préparation de commande nécessite souvent plus d'espace et plus de main d'oeuvre pour faire les courses à la place du client. Les acteurs sont favorables au développement des points de retrait qui apportent de la souplesse dans les tournées, mais les consommateurs sont encore demandeurs de la livraison à domicile dans les meilleurs délais.
Comment optimiser la logistique quand les livraisons doivent justement être toujours plus rapides?
L'optimisation des stocks et des flux est au coeur du métier et de la valeur ajoutée des acteurs de la logistique. Dans ce secteur à faible rentabilité, optimiser apporte un bénéfice aussi bien économique qu'écologique. Les prestataires ne sont pas demandeurs d'accélérer les flux mais ils répondent aux demandes de leurs clients pour livrer dans l'heure, en 24 heures, à moindre coût sans contrainte de délais... Pour aller encore plus loin dans l'optimisation, le donneur d'ordre et le logisticien doivent coconstruire des solutions, par exemple pour redimensionner la capacité de stockage du client et diminuer le nombre de livraisons. On a parfois tendance à déconnecter les flux et les stocks, mais un flux se situe entre deux stocks. Il faut surtout trouver le bon équilibre entre les deux.
Quels sont les enjeux spécifiques à la logistique urbaine, sur laquelle une mission est en cours?
Améliorer l'approvisionnement des villes nécessite une prise de conscience des acteurs publics locaux sur les questions de circulation, de stationnement et de foncier disponible. On a toujours intérêt à rapprocher les flux amont au plus près des centres-villes pour limiter les kilomètres en flux éclatés. Des travaux publics-privés peuvent permettre de s'adapter au contexte particulier d'un coeur de ville historique, à la présence d'un fleuve ou aux possibilités de fret ferroviaire. Faire évoluer la logistique dans un quartier suppose de réunir les clients, les entreprises, les commerçants et les logisticiens. Plusieurs villes proches peuvent aussi harmoniser leurs horaires de circulation pour limiter le nombre de tournées. Davantage de visibilité et une meilleure utilisation du stationnement sur les aires de livraison fluidifient le travail des livreurs... Tout cela demande de se saisir du sujet, d'y mettre du temps et, bien sûr, des moyens humains.
Comment s'adapter à l'interdiction des moyens de transport les plus polluants dans les grandes agglomérations?
Cette préoccupation émane des villes et aussi de certains clients qui souhaitent adopter des transports moins polluants. Les réglementations doivent être bien organisées pour ne pas engendrer d'effets pervers. Si elles amènent à développer les modes massifiés, c'est positif. Si un grand camion bien rempli est remplacé par dix ou quinze camionnettes bien remplies, c'est moins bon sur la congestion et en termes d'émissions à la tonne. Une réglementation seule sur les véhicules n'est pas suffisante pour aller vers des modes massifiés. Il faut s'assurer que l'écosystème est disponible et exploitable.
La crise sanitaire a mis en évidence l'importance des stocks. Est-ce toujours autant d'actualité?
Relocaliser la production implique de repenser la logistique, de coupler la distribution et la gestion des matières premières... Cela fera plutôt plus de logistique française. À ce stade, on est plutôt sur des projets d'entreprise que sur une tendance de filière. Selon ses choix et son modèle économique, un donneur d'ordre peut par exemple décider d'augmenter sa résilience et ses stocks, et d'en assumer le coût, ou de rester en flux tendu comme c'est souvent le cas actuellement. Quels que soient les choix des commerçants ou des industriels, les relations avec les acteurs de la supply chain sont suffisamment fines pour que chacun soit en mesure de s'adapter.
France Logistique porte une vision globale de la filière auprès des pouvoirs publics. Quelles sont les avancées depuis sa création début 2020?
La chaîne logistique marche parfois tellement bien qu'on oublie que ce n'est pas magique. Puisque rien ne se téléporte, tout se stocke et se transporte! Or, en tant qu'activités intrinsèquement privées, le transport et la logistique sont souvent un angle mort des politiques publiques. On commence à sentir une vraie prise de conscience. Aujourd'hui, le caractère essentiel et stratégique du transport, de la logistique et de la supply chain est mieux pris en compte. Cela s'est traduit par la création d'un Comité interministériel de la logistique (Cilog). À la rentrée, le deuxième Cilog concrétisera l'envie de travailler entre public et privé pour une logistique compétitive et la plus verte possible. Un travail transverse est mené au quotidien pour prendre en compte les enjeux d'aménagement du territoire, d'urbanisme, de prévention des risques... La douane a joué un rôle majeur pour que les échanges restent fluides après le Brexit. Des travaux ont aussi été lancés avec l'aviation civile sur la logistique aérienne. Il y a aussi un enjeu pour décliner la prise de conscience sur la logistique auprès des territoires.
De quelle manière?
Nous avons publié sept propositions en amont des élections régionales pour sensibiliser les candidats à l'attractivité économique, environnementale et sociale de la filière. Le transport et la logistique sont partout, avec à la fois des enjeux similaires et des spécificités locales. Les régions dotées de grands ports et les zones frontalières sont sans doute plus sensibilisées que celles où les questions logistiques sont plus locales. La logistique au sens large compte 1,8 million d'emplois, soit 10% des salariés en France, ce qui se sait peu. Il est important de faire savoir à quel point le secteur est utile, mais aussi pourvoyeur d'emplois nombreux et pour tous, notamment pour les régions désindustrialisées.
Le multimodal est-il une solution?
France Logistique soutient les propositions sur les modes massifiés et l'objectif de doubler d'ici 2030 la part du fret ferroviaire (actuellement à 9% des flux) et fluvial (2 à 3%). Le routier, qui concentre 89% des flux, garde une souplesse et une flexibilité que n'auront jamais les autres modes car il arrive de tout point à tout point. Changer d'organisation logistique reste complexe et technique. Cela suppose une volonté forte du chargeur et du client pour identifier les segments de pertinence, le maillon sur lequel mettre l'accent pour améliorer l'ensemble de la chaîne, la combiner avec le transport du dernier kilomètre... Il y a encore des leviers de progrès, notamment sur les flux de containers qui arrivent ou partent des ports. J'espère par exemple que l'on pourra utiliser les modes massifiés sur les trajets partant des ports, a minima jusqu'aux premiers entrepôts de stockage.
Comment se place la France dans l'usage de la technologie pour moderniser la filière?
La technologie se développe dans tous les types d'entrepôts -et bien avant l'arrivée de l'e-commerce- car une meilleure connaissance des stocks et des flux permet de les optimiser encore davantage. La logistique est un secteur très moderne et très dynamique, qui innove beaucoup pour optimiser les flux, les remplissages, les tournées, la robotique sur la partie entrepôts, la gestion de données... La France est d'ailleurs tout à fait bien placée dans ces innovations avec des start-up particulièrement dynamiques, indépendantes ou incubées au sein des grands groupes comme La Poste, Geodis, Cdiscount... Les logiciels de gestion des stocks et des flux intègrent l'intelligence artificielle. Il y a aussi un intérêt fort à bien utiliser la data pour la traçabilité des marchandises, notamment quand beaucoup d'acteurs interviennent dans la chaîne.
Quels sont les points de vigilance à plus long terme?
La motorisation est un sujet compliqué, avec des contraintes importantes. À la demande des acteurs privés, le gouvernement a mis en place un groupe de travail réunissant les constructeurs, les énergéticiens, les transporteurs et les pouvoirs publics pour réfléchir sur le camion de demain et la manière d'articuler la disponibilité des véhicules, des énergies, les bornes de ravitaillement afin que l'ensemble réponde aux besoins de transport. On s'oriente vers une variété de solutions sur les carburants, avec du biogaz, de l'électrique, de l'hydrogène un jour... Le tout dans un contexte où la R&D est menée au niveau européen.
Son parcours
Polytechnicienne, ingénieure en chef des Ponts, des Eaux et des Forêts, inspectrice des Finances
2009 : Différentes fonctions dans des administrations centrales, à la Direction générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des fraudes (DGCCRF), à la Direction générale des entreprises, à la Direction générale de la Compétitivité, de l'Industrie et des Services, ainsi qu'au ministère de l'Agriculture
2018 : Co-rapporteure du rapport Daher-Hémar "Pour une chaîne logistique plus compétitive au service des entreprises et du développement durable"
2020 : Directrice générale de France Logistique