Indicateurs achats : bien les choisir pour bien piloter
Impossible de piloter la direction des achats sans indicateurs ! Mais ils doivent être facilement mesurables, ne pas être trop nombreux et correspondre à des objectifs stratégiques. Petits conseils pour ne pas se perdre dans la jungle des indicateurs.
Je m'abonne"Les indicateurs sont des outils de management. Ils servent à manager la fonction, soi-même et ses fournisseurs", déclare François Gautier, directeur achats par intérim et consultant. En effet, comment bien piloter une direction achats sans avoir recours à des indicateurs ? Comment s'assurer que l'on est sur la bonne voie, que l'on sert la stratégie de l'entreprise, que le choix des prestataires est le bon, etc. sans KPI adéquats ? Si toutes les directions achats utilisent des indicateurs, elles ne le font pas toujours de manière judicieuse. Pour Laurent Delarbre, associé chez TNP consultants, 60 % des indicateurs suivis ne sont pas pertinents, et en premier lieu ceux liés aux économies. "Les économies suivies par les achats ne prennent pas en compte la qualité de la prestation, et ne permettent pas de savoir si ces économies portent sur les coûts directs ou sur une réduction de prix due à une autre façon de faire du fournisseur", précise-t-il. Il s'agit donc de suivre des indicateurs, certes, mais à condition de les choisir avec perspicacité et de définir intelligemment leur mode de calcul.
Calculer les économies avec la direction financière
Premier indicateur suivi par les directions achats : sans surprise, les économies réalisées. En effet, les achats sont encore largement évalués à l'aune des économies qu'ils font réaliser à leur entreprise. Mais cet indicateur des économies est aussi le plus controversé. En effet, une économie peut être due à une baisse du coût des matières premières ou à une commande moins volumineuse. Et vice-versa. Par ailleurs, le recours à un prestataire plus performant peut être plus coûteux mais apporter un réel bénéfice à l'entreprise.
Dès lors, comment calculer les économies réalisées par la fonction achats ? Tous les experts interrogés s'accordent sur une chose : il faut travailler sur ce point en collaboration avec la direction financière. "C'est essentiel pour éviter toute suspicion quant aux indicateurs présentés. Et cela est d'autant plus important que les indicateurs servent tout autant à piloter qu'à communiquer auprès des clients internes que de la direction générale", explique Hicham Abbad Andaloussi, associé KLB Group. Dans son livre Toute la fonction achat (éditions Dunod), Philippe Petit, manager des offres de formation achats de la Cegos, recommande d'obtenir l'agrément du contrôle de gestion sur le principe de mesure de chacun des types de gain.
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Cette collaboration avec la finance permettra de dégager la réelle performance financière des achats dans le P & L et d'analyser avec pertinence les écarts d'une période à l'autre. Mais ne rendra pas forcément compte de tout le travail fourni par les achats. François Gautier propose alors d'utiliser deux indicateurs : un pour la direction financière et un pour la direction achats afin de continuer à motiver les équipes. "Des effets collatéraux endiguent parfois les efforts des achats qui ne se répercutent pas dans le P & L", observe-t-il. Laurent Delarbre (TNP) invite à s'intéresser au TCO (Total Cost of Ownership) et à suivre les économies sur le long terme afin de ne pas uniquement se focaliser sur les réductions de prix au moment de la négociation du contrat. Matthieu Pettex-Sabarot propose quant à lui de valoriser d'autres aspects de la négociation que les simples économies : des indicateurs sur la négociation des conditions générales sont selon lui essentiels à suivre pour regarder si les acheteurs arrivent à imposer leurs conditions et non l'inverse. Des conditions qui ne touchent pas qu'au tarif mais aux conditions de paiement, par exemple.
Surtout, Laurent Delarbre conseille fortement de se focaliser sur les objectifs stratégiques de l'entreprise et parle de "coûts objectifs". "Les indicateurs achats doivent être globaux et surveiller la performance de l'entreprise et non seulement celle des achats", souligne-t-il. Pour Aldric Vignon, associé chez Argon & Co, l'idéal est de délaisser la mesure des économies pour adopter un raisonnement en base budgétaire, même s'il reconnaît que c'est plus difficile sur les achats de service, pour lesquels il est difficile de prévoir un budget à l'avance.
Cinq axes de performance achats
Ces difficultés liées à la mesure des économies doivent faire prendre conscience d'une chose : elle ne doit absolument pas être le seul indicateur de performance de la direction achats. Philippe Petit (Cegos) a identifié cinq axes de performance qu'il liste dans le chapitre 13 de Toute la fonction achats (Piloter la performance de la fonction) : l'axe contribution économique immédiate, bien sûr, mais aussi l'axe performance fournisseurs, l'axe qualité du service rendu aux clients internes, l'axe amélioration des processus et pratiques des achats, l'axe développement des ressources humaines achats. "Ces différents axes dépendent de la maturité des fonctions achats : les moins matures s'intéressent uniquement à la performance économique et les plus évoluées aux autres axes et notamment aux ressources humaines", précise Philippe Petit. Pour ce dernier axe de performance, il est possible de s'intéresser à des dimensions comme le niveau de formation des acheteurs. "On peut par exemple suivre le nombre de jours de formation par an", indique Philippe Petit. Aldric Vignon (Argon) pense quant à lui qu'il peut être intéressant de se pencher sur le moral des troupes. "Quand nous réalisons des diagnostics, beaucoup de choses sont liées à un facteur humain et ne sont pas que process et outils : comment les acheteurs sont perçus ou valorisés peut influer sur l'efficacité de la direction des achats", indique-t-il.
Ces indicateurs sur les ressources humaines ou la qualité du service rendu prennent de l'ampleur au sein des directions achats, qui gagnent de plus en plus en maturité et ne sont plus uniquement attendues sur les économies réalisées. "Les indicateurs sur la RSE, le Made in France, le nombre de PME parmi les fournisseurs, le pourcentage d'achats en co-développement, etc. sont de plus en plus répandus. Ils doivent être alignés avec la stratégie et les engagements de l'entreprise", conseille François Gautier. Hicham Abbad Andaloussi (KLB) pense primordial de mesurer la contribution des achats à l'innovation, à travers le sourcing de fournisseurs innovants par exemple. En effet, certains acheteurs peuvent acheter toujours aux même entreprises tandis que d'autres passent du temps à trouver de nouveaux prestataires : cette action de sourcing doit être valorisée.
François Gautier estime par ailleurs qu'il faut mesurer la satisfaction des clients internes. "Au moins une fois par an au niveau global, mais aussi après chaque projet afin de dégager des items plus précis", explicite-t-il. Cette mesure de la satisfaction client permet de révéler notamment si les outils proposés par les achats sont performants. Satisfaction des clients internes, certes, mais aussi des fournisseurs. "Aujourd'hui, l'innovation ne vient plus uniquement de l'interne, il s'agit donc de s'assurer de la qualité de sa relation avec ses fournisseurs", prévient Jean Bertoletti, associé principal chez Ayming. Il invite notamment à respecter scrupuleusement les délais de règlement.
Hicham Abbad Andaloussi incite quant à lui à suivre les litiges fournisseurs pour éviter qu'un fournisseur important mécontent rompe la relation et fragilise l'entreprise. "Les acheteurs sont également attendus sur la maîtrise des risques, ajoute Matthieu Pettex-Sabarot, directeur du département achats d'Ayming. Ils doivent suivre la santé financière des fournisseurs, la part des achats en mono source, la dépendance économique de certains fournisseurs, etc." Pour ces indicateurs autour des risques, Aldric Vignon (Argon) propose d'utiliser une classification fournisseurs telles que A/B/C ou vert/rouge/noir, et d'observer qui rentre/ sort, combien de temps il reste en zone rouge, etc. "Ces indicateurs sont difficiles à suivre car polymorphes et multisources. Mais ils deviennent de plus en plus prégnants avec la réduction du nombre de fournisseurs et les délais d'approvisionnement qui s'allongent", avertit-il.
Challenger le QCD
Même si ces nouveaux indicateurs de performance s'installent, les basiques sont toujours présents. Le suivi de la performance fournisseurs à travers le fameux QCD (qualité, coût, délai) a été très fréquemment cité par les experts interrogés. Même s'ils mettent en garde sur l'utilisation qui doit en être faite. Pour les coûts, comme nous l'avons déjà souligné, les prix des matières premières doivent être également suivis de près, pour ne pas fausser les tarifs annoncés. Mais pour la qualité et les délais aussi il faut être prudent et ne pas se laisser aveugler par des calculs basiques. "Il faut mener un travail en amont avec les clients internes et les fournisseurs pour fixer des règles claires. Bien souvent, pour la qualité comme pour les délais, les problèmes sont dus à l'interne et non au prestataire", remarque François Gautier. Le niveau de qualité attendu, par exemple, ne doit pas être équivoque et doit être précisé à travers un cahier des charges. "Pour les achats de service, la qualité est souvent plus difficile à suivre. C'est principalement dû à des SLA inexistants ou mal définis. C'est la première chose à vérifier", met en garde François Gautier.
Quant aux délais, la pénalisation doit être bien expliquée et ne pas être appliquée bêtement et simplement : "Un fournisseur à qui on a demandé de livrer en urgence et qui réussit à livrer en trois jours au lieu des deux prévus doit-il être sanctionné alors qu'il a fait des efforts pour nous rendre service ?", questionne François Gautier. Le risque est de perdre un fournisseur performant.
Des process suivis de près
Cette question de la performance des achats a des répercussions au niveau de l'activité des achats en elle-même. En effet, il s'agit également de suivre des indicateurs d'activité pour s'assurer que les process mis en place sont efficaces et permettent à la direction des achats d'être pleinement performante. C'est ce que Philippe Petit appelle dans son livre "la performance des process". Des indicateurs comme le pourcentage de commandes hors process, le pourcentage d'achats sous contrat-cadre, etc. sont ainsi importants à suivre. "Le taux d'adhésion au contrat-cadre est intéressant, et d'une façon plus générale la part des dépenses qui ne passent pas par la direction achats, abonde Matthieu Pettex-Sabarot.
Même si les achats ne doivent pas forcément tout piloter, il est important qu'ils soient dans la boucle." Bien sûr, il faut aussi s'intéresser au nombre de contrats gérés, au nombre de fournisseurs, et d'autres facteurs, pour s'assurer que les achats sont maîtrisés. à ce sujet, François Gautier précise : "Certains indicateurs génériques sont mal utilisés. Le nombre de fournisseurs, par exemple, ne veut rien dire s'il est regardé seul. Il vaut mieux regarder ceux qui représentent 100 % des dépenses, 99 %, 95 % puis 80 %. Cela permet de comprendre si l'entreprise maîtrise la gestion de ses fournisseurs". Au niveau des process, François Gautier propose de recourir à l'auto-évaluation débouchant sur le calcul d'un score de maturité : "Il s'agit de lister l'ensemble des process, de les découper en sous-processus et de demander aux équipes d'acheteurs de s'évaluer de 1 à 5 sur leur connaissance du métier par rapport à ce référentiel, décrit-il. Cela permet aux acheteurs de voir où se situe leur équipe par rapport à l'année précédente mais aussi par rapport aux autres, c'est très motivant. Et cela leur permet aussi de comprendre les attentes du management, leur apporte une véritable visibilité sur leur plan de développement, et enfin, leur donne la possibilité de demander conseil aux meilleurs".
Des données de qualité
Mesure des économies, performance des fournisseurs, process et même RSE et ressources humaines... les indicateurs que peuvent suivre les directions achats sont très nombreux. Dans son livre La boîte à outils de l'acheteur (éditions Dunod), co-écrit avec Stéphane Canonne, Philippe Petit (Cegos) établit même une check-list des leviers achats (outil 37) qui correspondent à de nombreux indicateurs : co-développement, sourcing de nouveaux fournisseurs, audit, management de la qualité fournisseur, analyse des coûts, enquête interne, temps de cycle d'approvisionnement, délais de paiement fournisseurs, réutilisation des investissements, etc. Les idées d'indicateurs ne manquent donc pas ! Mais en suivre des centaines serait contre-productif. Philippe Petit pense qu'il faut se limiter à 15 indicateurs maximum : "Sinon, c'est illisible et le pilotage n'est pas efficace". Car pour chaque indicateur, il pense qu'il ne faut pas se limiter à suivre uniquement le niveau de performance mais aussi les objectifs et les actions mises en place pour les atteindre. Ce sont bien les objectifs de la direction achats qui doivent permettre de définir les indicateurs à suivre. Hicham Abbad Andaloussi (KLB) recommande de partir des objectifs de l'entreprise pour voir en quoi les achats peuvent y contribuer.
Il faut aussi et surtout s'assurer que les indicateurs que l'on souhaite suivre peuvent être mesurés de manière efficace et fiable. "Un indicateur n'est bon que si la donnée est de qualité", assène Aldric Vignon (Argon). Hicham Abbad Andaloussi regrette que l'information à disposition ne soit pas assez fiable. "Or si l'information d'entrée est mauvaise, les indicateurs n'ont plus aucun sens. Même le plus beau des tableaux de bord, si les données sont déclaratives, ne vaudra rien", alerte-t-il. Il donne l'exemple des économies : "Personne n'est capable de donner une méthode de calcul homogène pour tous les projets, ni mathématiquement démontrable. Ce qui éveille des soupçons du côté de la direction générale et de la direction financière, d'autant plus qu'ils ne retrouvent pas les chiffres annoncés dans les comptes". Il invite donc à revenir à la base et à adopter des indicateurs SMART : spécifiques, mesurables, atteignables, réalistes et temporels.
Efficience vs efficacité
Et si pour mesurer la performance des achats, on ne s'intéressait pas qu'à leur efficacité mais aussi à leur efficience ? C'est ce que recommande Olivier Wajnsztok, directeur associé d'AgileBuyer : "Les indicateurs d'efficience ne se contentent pas de comparer les résultats aux objectifs à atteindre, ils comparent également aux moyens engagés : ils sont plus difficiles à mettre en oeuvre, plus polémiques également, mais aussi plus intéressants", juge-t-il. Par exemple, pour les gains, on ne se focaliserait pas uniquement sur les objectifs mais on les comparerait également au coût des acheteurs, c'est-à-dire à leur salaire mais aussi à leur équipement informatique.
Top 10 des indicateurs achats
- économies réalisées
- respect du budget fixé
- pourcentage des dépenses passées par la direction des achats
- santé financière des fournisseaurs
- respect des SLA
- pourcentage de nouveaux fournisseurs
- satisfaction des clients internes
- satisfaction des fournisseurs
- satisfaction des acheteurs
- pourcentage des achats responsables