"Non, il n'y a pas de pénurie de blé"
Selon Jean-François Loiseau, président de l'interprofession Intercéréales, il n'y a pas de pénurie de blé. Cette affirmation erronée serait le résultat de mauvaises interprétations, et d'une trop forte "rapidité de circulation de l'information."
Je m'abonneDepuis quelques semaines, les alertes se multiplient sur une pénurie de blé annonçant une potentielle augmentation des prix des produits transformés en rayon. Elle s'ajouterait ainsi à la longue liste des pénuries de matières premières auxquelles sont confrontés les différents acteurs économiques. Mais, en réalité, cette pénurie n'existe pas, selon Jean-François Loiseau, président de l'interprofession Intercéréales. Le blé traverse bien une crise et une augmentation des prix est à prévoir, mais les causes ne sont pas celles qui sont évoquées la plupart du temps.
Vous assurez donc qu'il n'y a pas de pénurie de blé... ?
Non, il n'y a pas de pénurie. La récolte de blé tendre, qui sert à faire de la farine, est dans une moyenne respectable par rapport aux huit dernières années. Elle n'est pas du tout catastrophique. Par exemple, cette année nous allons récolter cinq à six millions de tonnes de blé de plus qu'en 2016. En 2020, la récolte était très mauvaise, mais cette année nous avons trois à quatre millions de tonnes de plus que l'année dernière. Au sens propre du terme, il n'y a pas de pénurie.
Dans ce cas, comment expliquez-vous ces alertes sur une pénurie ?
Le blé tendre est une plante qui est cultivée dans énormément de pays dans le monde, et qui est consommée par une population très importante. Les grandes zones de production sont la Russie, l'Ukraine, les États-Unis et l'Europe. Pour des raisons climatiques, cette année la récolte est moins bonne que certaines années, ce qui entraîne une hausse des prix. En France, la récolte a été très hétérogène à cause des pluies qui furent importantes en juillet et en août. Il y aura donc un grand travail de triage des blés, afin de séparer le bon qui ira dans la production de farine, de celui qui ne pourra être utilisé que pour les animaux ou pour faire de l'amidon, notamment pour les cartons.
Cette situation est-elle comparable à celle qu'a traversé le secteur du blé en 2016 ?
En 2016, il y a eu un niveau très bas de production, autour de 30 millions de tonnes. Pourtant, le marché et les consommateurs français ont été normalement approvisionnés. Ceux qui en ont souffert ont été les clients à l'international. L'exportation a très fortement diminué l'année qui a suivie. Cette année, la production est moyenne, les ventes se feront donc autant en France comme à l'internationale.
Quelle part du blé produit en France est consommé sur le territoire ?
En France, il se cultive du blé sur à peu près 5,5 millions d'hectares, avec un rendement moyen d'à peu près sept tonnes à l'hectare. Cela donne une production nationale annuelle de 37 millions de tonnes. Il y a des années exceptionnelles où la production monte à 40 millions de tonnes annuelle, et d'autres catastrophiques ou la récolte ne s'élève qu'à 30 millions, comme en 2016. Dans cette récolte, plus ou moins la moitié reste sur le territoire français et sert l'alimentation, la nutrition animale, ou encore à l'amidon. L'autre moitié part à l'exportation. En somme, près de 15 millions de tonnes de blé sont consommées chaque année en France. Pour l'autre moitié de la récolte, plus ou moins 50% est exportée vers l'Europe, et les autres 50% vers le reste du monde.
S'il n'y a pas de pénurie, comment expliquer les annonces de potentielles augmentations de prix cette année ? Est-ce pour préparer les négociations commerciales et... l'opinion publique à une hausse des produits industriels?
Le blé tendre est adossé au marché mondial avec des indicateurs de prix basés sur le marché des instruments financiers. Il y a une cotation. Le prix du blé varie en fonction de la demande et de sa qualité, mais il y a des fonds d'investissement qui, par leurs achats, amplifient les prix à la hausse ou à la baisse. Les fluctuations de prix ne signifient pas pour autant qu'il y a une pénurie. Les chiffres français nous montrent qu'il n'y en a pas, il y aura peut-être un petit peu moins d'exportation vers l'étranger, mais cela n'est même pas certain.
Le prix du blé tient compte de la qualité, notamment de sa qualité sanitaire, qui est absolument primordiale, joue sur la variation du prix. Or, s'il y a du blé actuellement, la qualité est moindre. Quand les meuniers, les semouliers et les "maltiers" achètent du blé et doivent réaliser les opérations de tri dont j'ai parlé, ils voient automatiquement leurs coûts augmenter. Il y aura donc des orientations différentes.... A cela s'ajoute le sujet du blé dur (qui sert notamment à faire les pâtes ou la semoule) au Canada, dont la production va être amputée de 30 à 40%, ce qui va pénaliser les acheteurs de blé dur au Maghreb. Mais si les industriels font bien leur travail et s'ils ne sont pas trop écrasés par la grande distribution - mais ils le seront - le marché du blé dur sera supportable pour eux.
Quel est l'impact du dérèglement climatique sur les filières agricoles de matières premières ?
L'évolution climatique a bel et bien un impact sur les productions végétales, par exemple, en 25 ans, les vendanges ont avancé d'au moins 15 jours. Les risques pour les récoltes se situent dans les excès d'eau, comme cette année, ou de sécheresse, comme nous l'avons aussi déjà vécu. Évidemment que le dérèglement climatique a un impact, mais ce n'est pas quelque chose de nouveau. Je me souviens qu'en 1977, la récolte des blés en France n'a commencé que le 6 août. Cela fait déjà près de 50 ans que nous vivons des perturbations climatiques, mais aujourd'hui elles sont en plus grand nombre.
Comment les céréaliers s'engagent-ils dans une démarche RSE ?
A la sortie de la guerre, la population française était sous-alimentée, des décisions majeures de production agricole ont donc été prises. A l'aide de techniques et matériel qui venaient des Etats-Unis, on a développé la production agricole pour alimenter plus de monde. Pour lce faire, nous avons eu recours à la chimie, notamment avec l'utilisation du pétrole comme carburant pour les tracteurs et des engrais chimiques comme fertilisant pour le sol. Il se trouve que nous sommes peut-être allées trop loin, donc aujourd'hui, nous devons mettre en place une production qui utilise de moins en moins de chimie et qui fait appel à des techniques génétiques, des techniques décarbonées.
Les démarches RSE se traduisent, par exemple, par une simplification du travail du sol, l'utilisation de solutions de biocontrôle, qui sont des solutions biologiques pour lutter contre les maladies qui peuvent toucher les récoltes. Nous consommons l'eau beaucoup mieux et beaucoup moins, nous réduisons le nombre de camion et de transport etc.
Quelles sont les stratégies agricoles alternatives ?
Les pratiques alternatives devraient se développer dans les années à venir. Mais il faut bien comprendre que les céréales sont consommées dans le monde entier, et qu'il faut donc leur dédier des espaces immenses. Aujourd'hui, il est difficile d'envisager des modes de culture différents, mais peut-être que cela sera possible sera demain. Grâce à la science et la génétique nous pourrons probablement cultiver plus de blé sur des terrains plus petits, ce qui n'est pas faisable avec la permaculture, par exemple.
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