DossierLe rôle des directeurs achats dans la mondialisation
1 - Marchés internationaux : quel(s) rôle(s) pour la direction achats ?
La direction achats joue-t-elle le rôle de défricheur de nouveaux marchés ou bien est-elle simplement associée, en milieu de parcours, lorsque les départements marketing et commerciaux ont jeté les bases d'un nouveau business ? Décryptage.
Tout semble dépendre, d'une part, de la place qu'occupe la fonction dans l'entreprise et, d'autre part, du marché convoité (activité, pays). "L'implication de la direction achats est fonction de sa maturité et de sa capacité à démontrer sa légitimité stratégique ainsi que du secteur d'activité de l'entreprise", estime Olaf de Hemmer Gudme, international business manager, purchasing department chez Lowendalmasaï.
Dans l'aérospatial, par exemple, les fournisseurs sont intégrés en amont des process de vente; l'acheteur est donc mobilisé. "Dans ce secteur, la pression sur les coûts est forte, les achats sont connus et invités à participer aux décisions stratégiques", ajoute Olaf de Hemmer Gudme. En revanche, dans la grande distribution, il semble que ce ne soit pas le cas. D'ailleurs, globalement, peu de patrons des achats siègent au comité de direction de leur entreprise. Lorsqu'ils y sont, leur marge de manoeuvre est plus importante.
Les autres se trouvent dans une position intermédiaire, inconfortable pour se projeter et développer une vision et, en tout cas, qui les rend peu à même de rivaliser avec le directeur supply chain ou le directeur financier. D'ailleurs, la question, posée à de nombreuses entreprises, n'a rencontré que peu d'échos. Les refus que nous avons essuyés confirment nos interrogations quant à la position de la fonction dans l'appareil de direction. Le directeur des achats serait encore relégué à un rôle opérationnel et son job limité à la négociation... "Soyons clairs: malheureusement, la direction achats est souvent sollicitée en fin de processus", regrette Pascal Triolé, directeur industrie et achats de Chronopost International. Une tendance qu'il cherche à inverser...
Dans la peau d'un guetteur éclaireur
Membre, depuis un an, du comité de direction de son entreprise, Pascal Triolé est convaincu qu'il faut placer les acheteurs en tête de pont. Il a récemment recruté une collaboratrice chargée du sourcing à l'international. "A priori, sa mission concerne nos approvisionnements, mais nous nous sommes rendu compte qu'elle était en contact avec des entreprises ayant des besoins de prestation de transport", déclare le directeur des achats. Chronopost développe sa présence dans le monde avec la direction internationale de GeoPost, sa maison mère, et ses collaborateurs et agents répartis dans ses différents bureaux. Ces derniers repèrent sur le terrain les entreprises susceptibles de devenir des partenaires. "Le fait d'arriver avec des besoins d'achats, en tant que client, ouvre les portes à d'autres négociations", indique Pascal Triolé. Les futurs fournisseurs découvrent le savoir-faire de l'expressiste et deviennent des prospects plus que qualifiés. Un projet est en cours. "Je fonde beaucoup d'espoirs sur cette démarche, qui démontre que la direction achats peut contribuer aux résultats de l'entreprise", ajoute Pascal Triolé. La fonction ne se limite plus seulement à la négociation financière et au sourcing, mais embrasse un périmètre de chef de projets.
Mission collaborative
Le patron des achats doit donc travailler avec les autres directions concernées, parfois en mode projet, notamment lorsqu'il s'agit d'implanter un centre de production. "Culturellement, les directions achats et marketing ne sont pas prêtes à collaborer", observe Olaf de Hemmer Gudme. Pourtant, si la direction achats veut imposer ses vues et être force de propositions, elle n'a pas d'autre choix. Il semble donc impératif de développer un supplément de savoir être et de savoir-faire.
"Faire preuve d'adaptabilité ainsi que d'ouverture d'esprit, et disposer de compétences managériales pour placer les bons éléments au bon endroit est également requis", précise Jean-Pierre Bourdin, gérant de Conexha, conseil en expertise achats et manager de transition. Les relations avec la direction commerciale sont, elles, plus naturelles. "Les deux doivent faire en sorte de marcher en ordre serré", glisse Luc Agopian, directeur associé, practice achats de Capgemini Consulting. Prenons l'exemple de Levi's, qui développe actuellement ses parts de marché en Russie. La célèbre marque de jeans dispose d'une direction achats au siège à San Francisco et d'une cellule achats à Bruxelles pour la zone Europe, Russie, Afrique. "Nous travaillons avec les équipes marketing et commerciales basées en Russie pour définir la part de sourcing local et la part de sourcing en Europe; la décision est collégiale", témoigne Alice Collomba, indirect procurement specialist (achats hors production) de Levi Strauss & Co. Des questions opérationnelles se posent, en effet, aux équipes, liées aux douanes et aux conditions géopolitiques.
Un rôle stratégique et opérationnel
Classiquement, la fonction achats est associée à la conquête d'un nouveau marché pour des questions de "lean manufacturing" (production allégée), ou simplement pour les achats généraux. Jean-Pierre Bourdin accompagne, en tant que manager de transition, une entreprise dans sa stratégie de développement au Brésil. "L'acheteur est pleinement dans son rôle s'il s'attache à identifier les risques liés aux fournisseurs et à analyser quels achats seront effectués dans le pays cible et quels achats seront importés", ajoute-t-il. Une fois qu'il est impliqué, le patron des achats doit donc sécuriser le réseau de fournisseurs.
"Il intervient en mode alerte, confirme Jean-Dominique Rey, principal, spécialiste des achats chez Boston Consulting Group, Paris. Ce qui ne veut pas dire qu'il ne peut pas saisir la balle au bond pour encourager un changement de cap. À force de scruter le monde, il connaît les marchés et leur réputation." À ce stade, il est force de propositions: développer un nouveau réseau de fournisseurs, identifier des acteurs locaux et initier un plan de développement, faire venir ses partenaires européens et les aider à s'implanter, etc. - le job traditionnel du directeur des achats. "Oui, à ceci près qu'il peut aussi anticiper en repérant en amont quel fournisseur peut être utile dans quelle région du monde et développer sa propre base de potentiels", ajoute Jean-Dominique Rey.
Une piste pour s'imposer au moment opportun...