L'erreur, une opportunité pour l'entreprise ?
Ancien président de la Haute autorité de santé (HAS), le brillant chercheur et médecin hématologue Laurent Degos défend les bienfaits de l'erreur. À condition, en médecine comme en entreprise, de comprendre les causes sans faire de procès.
Je m'abonne À 71 ans, Laurent Degos a un bagage d'envergure. Ex-président de la Haute autorité de santé (HAS) et de l'Agence française de la sécurité sanitaire des produits de santé (Afssaps), il est professeur de l'université Paris-Diderot, généticien et médecin hématologue à l'hôpital Saint-Louis. La recherche contre le cancer lui doit aussi la découverte d'une capacité de rééducation des cellules cancéreuses.
Régulièrement confronté à l'erreur médicale tout au long de sa carrière, il estime que "de 6 à 10 % des hospitalisations en France en sont le résultat. Et ce, malgré les avancées de la médecine". Le facteur humain est à prendre en compte car, aussi précises qu'elles soient, les machines ne repèrent pas toujours les signaux faibles. Une complexité qui induit naturellement des erreurs, qui ont leur intérêt si elles sont identifiées correctement.
Libérer la parole
Pour le médecin, l'erreur ne doit pas être considérée d'un mauvais oeil : "Elle est partout puisqu'elle est inhérente à tout système", déclare-t-il. En témoigne l'existence même de l'Homme, résultat de l'évolution de bactéries et fruit d'erreurs de copiage. "En biologie, tout être nouvellement créé par le biais de l'erreur est soit éliminé par sélection naturelle, soit intégré", ponctue-t-il. L'erreur est ainsi nécessaire à l'évolution. Elle n'est pas non plus une faute puisque, par définition, elle est le résultat de l'inattendu. Les responsables d'une erreur ne peuvent donc pas être traités comme des coupables. "Quand un accident survient, on a tendance à chercher le responsable", assure Laurent Degos.
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Une mauvaise habitude puisqu'en entreprise, pour transformer l'erreur en opportunité, il faut au contraire libérer la parole. Pour gérer et résoudre une erreur, "toutes les parties impliquées dans l'erreur doivent être entendues sans être jugées" , préconise-t-il. Une méthode qui a fait ses preuves aux États-Unis avec le "no blame, no shame" (ne pas blâmer, ne pas humilier). "Il faut féliciter la personne qui a permis de révéler que le système n'est pas sûr", affirme le professeur. "Deux ou trois erreurs commises par an suffisent, si elles sont identifiées et corrigées à temps, à réparer un système défaillant" , poursuit-il.
Autonomie ou protocole ?
Il y a deux écoles pour résoudre un problème : soit en s'appuyant sur le protocole, en cherchant à tout prévoir et maîtriser ; soit en laissant la probabilité agir et en laissant de l'autonomie aux collaborateurs. "En optant pour l'autonomie, on doit rester en état de veille permanent pour être paré à toute éventualité", détaille Laurent Degos. En exemple, il cite le cas de l'entreprise Kodak dont la faillite fut une conséquence directe de sa non-transformation numérique. "Plus l'entreprise est de taille importante, plus elle doit être capable de faire de la veille en permanence pour faire entrer l'innovation. Dans le cas d'une PME, des moyens de contrôle sont à mettre en place".
À l'exception des start-up, lieux par excellence de l'innovation. Laurent Degos défend dans le secteur médical une posture plus autonome des chirurgiens en intervention. Pour lui, "plus il y a de veille, donc d'autonomie, plus les collaborateurs se sentent impliqués". En outre, toute tentative d'exclure complètement l'erreur via des protocoles stricts et en tentant de maîtriser l'intégralité des processus est vouée à l'échec. "Dans l'aviation civile, un décollage sur un million a pour conséquence un accident majeur", constate le médecin. Si toute erreur ne peut être évitée, elle peut toutefois être remontée et corrigée.