[Avis d'expert] La transformation digitale intègre la dimension "bien-être" aux achats
Le trop-plein d'outils digitaux ne risque-t-il pas de générer un stress supplémentaire ? Les solutions digitales peuvent en effet à la fois servir et desservir le bien-être. Une vraie "hygiène" digitale s'impose afin que les équipes ne se sentent pas dépassées...
Je m'abonneDans la recherche permanente de nouvelles pistes d'optimisation, les acteurs économiques ont - enfin - pris conscience du caractère hautement stratégique des ressources humaines. Dans ce contexte, le bien-être au travail est devenu un des principaux enjeux des entreprises, qui cherchent à attirer et à fidéliser les talents différenciateurs. Pourtant, en une décennie, la situation se serait fortement dégradée : selon différentes enquêtes, la proportion de salariés indiquant être stressés a bondi de 40% à plus de 60% et, parallèlement, la part de ceux se déclarant motivés par leurs activités professionnelles a perdu près de 15 points, passant sous la barre des 30%. Avec d'inévitables conséquences.
Dans un environnement économique globalisé où la compétition ne laisse que peu de place pour "prendre rendez-vous avec soi-même", les travaux de recherche ont montré combien le stress était délétère pour la santé, la vie sociale, l'engagement professionnel et in fine, la performance de l'entreprise et ses résultats. À l'opposé, les travaux sur le bien-être en entreprise montrent que, dans le cadre d'une stratégie réelle pour traverser au mieux les différentes situations, il est une pièce majeure de la santé, de l'épanouissement et de l'efficacité professionnelle.
Heureusement, les consciences évoluent à grands pas sur le sujet. Même s'il s'agit parfois d'un affichage, sans objectif concret, des stratégies se mettent en place, en particulier dans les grands groupes dont certains vont jusqu'à se doter d'un Chief hapiness officer. Pourquoi ce sursaut ? Trois raisons principales. D'abord et avant tout, en limitant les désagréments au travail et l'inefficacité qui en découle, pour une optique d'amélioration de la productivité et de la rentabilité. Pour une question de santé et de sécurité ensuite, tant des salariés que des partenaires de l'entreprise.
Enfin, pour un enjeu de recrutement et de conservation des nouveaux talents. Comme vient de le confirmer la 3e édition du Baromètre des décideurs achats, parrainé par le CNA, le confort et le bien-être sont en effet des éléments importants pour les générations Y, Z et bientôt Alpha, les "Millennials". Pour 28 % des 230 décideurs ayant répondu, ces nouvelles populations seraient favorables au décloisonnement entre la vie privée et le domaine professionnel (possibilité de travailler à domicile, flexibilité en termes d'horaires, etc.), et plus sensibles à la qualité de l'environnement de travail (espaces de détente, activités extra-professionnelles, etc.) que les générations précédentes.
Faire gagner du temps aux collaborateurs et rendre leur travail plus agréable
Aux achats, face aux défis croissants accentuant la pression sur les collaborateurs (équipes resserrées, restrictions des recrutements, globalisation des fournisseurs, accumulation des contraintes règlementaires, besoins d'accompagnement des clients internes, accroissement des risques, expansion du périmètre à couvrir, obligation de contribution aux résultats, etc.), les décideurs s'inscrivent dans cette tendance de recherche de nouvelles solutions et organisations pour atteindre les missions définies dans un cadre de travail propice à davantage de sens et de sérénité.
De nombreux groupes ont intégré la prise en compte du bien-être au travail, qui combine l'approche personnelle de chaque manager et la volonté de l'entreprise, à son plan de transformation global. Pour obtenir un travail productif, certains considèrent que la simple présence ne suffit pas, qu'il faut prendre en compte l'humain. Le collaborateur doit être motivé, engagé, et ne pas être perturbé. Pour d'autres, le bien-être s'inscrit dans l'évolution culturelle de l'organisation, dans un souci de santé physique et psychologique, et d'épanouissement des collaborateurs. Il est désormais considéré comme un important vecteur d'amélioration de la performance. C'est aussi une attente qui monte en puissance depuis quelques années chez les collaborateurs, avec des objectifs très variés, propres à chacun.
S'il s'agit pour les équipes de se préoccuper de leur bien-être, la responsabilité de l'entreprise sera de mettre à disposition les moyens de leur épanouissement. Lesquels ? D'abord des adaptations organisationnelles (télétravail, aménagement des horaires, co-voiturage, etc.) et de l'espace de travail (locaux, mobilier, équipements, etc.), pour simplifier et améliorer le quotidien des collaborateurs. Avec un objectif : leur faire gagner du temps et rendre leur présence dans l'entreprise plus agréable, tout en évitant absolument de faire de l'ingérence dans leur sphère privée. Les aspects touchant à la santé, à la carrière et à la formation, encore principalement du ressort de la DRH, mais de plus en plus transversaux et pris en considération par les différentes fonctions de l'entreprise, restent aussi un axe de travail important. Tout comme la rémunération qui, toutefois, ne suffirait plus. Pour motiver les salariés, il est également essentiel de leur offrir les meilleures conditions pour être heureux au travail, par une qualité des relations humaines à travers la communication, des animations internes, des moments de rencontre ou la mise à disposition d'une salle de sports, d'un jardin, etc.
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Les solutions digitales simplifient et "guident" le travail des acheteurs
Parmi les moyens permettant de travailler de manière plus efficiente et finalement plus agréable, un dernier élément joue un rôle crucial : les outils, en particulier les outils informatiques. Comment peuvent-ils améliorer les conditions de vie au travail, notamment aux achats ? De la sélection des fournisseurs à la gestion des approvisionnements et de la facturation-paiement, en passant par le pilotage (analyse des dépenses, relation fournisseurs, pilotage des achats), les solutions digitales ont indiscutablement bouleversé les pratiques au fil des années en facilitant l'accès à l'information et en "guidant" les acheteurs dans des activités de processus complexes. Elles contribuent ainsi directement au bien-être, tout en réalisant les traitements plus rapidement, de façon plus fiable et moins coûteuse.
Les solutions digitales permettent également de valoriser le métier, en supprimant les tâches administratives rébarbatives ou en facilitant les prises de décision, surtout depuis l'arrivée des technologies dites "disruptives". Les systèmes de Robotic process automation (RPA) peuvent en effet prendre en charge certaines opérations répétitives et à faible valeur ajoutée, pour soulager les équipes, et l'Intelligence artificielle (IA) permet de récupérer de l'information, d'anticiper des événements, de détecter des erreurs, de suggérer des actions, etc. Seulement, si elles vont s'imposer et simplifier le quotidien des équipes, ces technologies disruptives sont souvent source de complexité supplémentaire qui suppose de mettre en place de nouvelles approches technologiques et de changer sa manière de travailler. Les start-up digitales développant ces nouvelles technologies apportent elles-mêmes de nouveaux usages sur base desquels des activités et des pratiques totalement différentes sont à (re)concevoir et à (re)construire.
Une "hygiène" digitale s'impose pour éviter les excès et le stress
Du coup, à l'heure de l'automatisation qui va être poussée à l'extrême avec l'intelligence artificielle, et de la course à l'innovation, le trop-plein d'outils digitaux ne risque-t-il pas de générer un stress supplémentaire ? Les solutions digitales peuvent en effet à la fois servir et desservir le bien-être. Comme un marteau, qui peut casser ou construire, tout dépend du contrôle, des règles, de l'utilisation qui en est faite. Aussi, sans forcément freiner cette (ex)croissance technologique, qui devient intrusive et contraint les espaces privés et professionnels à s'imbriquer, une vraie "hygiène" digitale s'impose afin que les équipes ne se sentent pas dépassées par leur environnement de travail. Ce sentiment de perte de maîtrise constitue l'une des principales sources de stress.
Un encadrement est nécessaire, par la mise en oeuvre de bonnes pratiques lorsqu'il n'existe pas de règlementations, en matière de droit à la déconnexion par exemple. Pour que la digitalisation ne devienne pas un facteur de stress, il faut agir sur le long terme et accompagner les utilisateurs. Certes, les nouvelles générations sont naturellement plus impliquées, et même motrices. Mais la digitalisation peut constituer un handicap pour toutes les catégories de collaborateurs, alors que beaucoup redoutent a priori la mise en place d'un outil par crainte d'incapacité à suivre le changement, ou même par appréhension de la perte de leur travail.
Pour faciliter les déploiements des solutions digitales et en faire un avantage, au-delà de leurs seules capacités fonctionnelles, un aspect est devenu déterminant : l'ergonomie. Les éditeurs, qui ont compris qu'elle conditionnait l'appropriation par les utilisateurs et leur confort, se sont d'ailleurs emparés du sujet depuis plusieurs années à travers la notion d' "expérience utilisateur", ou plus couramment d'UX pour User eXperience. Même s'il reste beaucoup à faire, afin de faciliter les déploiements et la conduite du changement, les solutions sont devenues plus intuitives et esthétiques, mais aussi plus performantes. En complément de ces progrès technologiques, un dernier enjeu reste à relever, celui des relations humaines. Cet enjeu est d'autant plus important que, sur le plan fonctionnel, les solutions aujourd'hui disponibles ne simplifient pas forcément le travail des acheteurs dans les proportions attendues, en particulier dans le pilotage de la relation avec les autres parties prenantes.
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De l'importance des compétences émotionnelles et relationnelles
Dans ce contexte, l'acquisition de compétences émotionnelles et relationnelles serait devenue stratégique. On achète mieux dans le cadre de relations de meilleure qualité, avec les clients internes et les partenaires, à commencer par les fournisseurs. Souvent tendues et conflictuelles, les relations client-fournisseurs constituent fréquemment une cause importante de désengagement des collaborateurs achats, amenés à mettre en place des pratiques de court-terme pour répondre aux enjeux d'économies ou de baisse des coûts, ou à se montrer intransigeants avec les fournisseurs pour mieux répondre à leurs objectifs chiffrés. Un retour à des relations équilibrées et pacifiées s'impose aujourd'hui, pour rendre au travail une part de son sens perdu. Si les appels d'offres et les mises en concurrence seront encore nécessaires, il faut aller vers le co-développement, la co-innovation, pour construire et optimiser ensemble dans un esprit de partenariat.
En apaisant les relations avec leur écosystème, les équipes achats ont la possibilité de faire plus que simplement contribuer aux résultats à court terme de leur entreprise, mission importante mais de plus en plus insuffisante dans une vision stratégique des achats. Ainsi, au-delà des adaptations organisationnelles et des moyens mis à leur disposition, outre aussi la rémunération, la vie "sociale" au travail et le simple fait de se sentir utiles à leur entreprise, ils pourront redonner du sens à leur travail.
Sans changer le métier de l'entreprise ni remettre en question son modèle économique, il est important d'aller au-delà des objectifs et donc d'accompagner les collaborateurs sur de nouvelles voies. Il s'agit de faire en sorte qu'ils prennent plaisir dans l'entreprise, soient pleinement valorisés et ainsi réussissent à aimer leur travail. Pour redonner du sens, l'écologie serait l'un des sujets les plus attendus actuellement. De plus en plus de jeunes ne souhaitent plus travailler pour les entreprises qui ne correspondent pas à leurs valeurs. Finalement, le salut ne viendra-t-il pas de la génération des Millennials qui se caractérise par une relation différente au monde professionnel et une vraie quête de sens. Par rapport aux générations précédentes, les candidats rechercheraient en tout cas des missions qui apportent une contribution positive à la société. Avec des impacts non négligeables sur tous les métiers de l'entreprise, les achats occupant une position privilégiée dans cette perspective.
Par Bertrand Gabriel, directeur Acxias, et Thierry Parisot, analyste marchés & solutions achats
Acxias, l'agence digital achats, est spécialiste exclusif de l'optimisation et de la transformation digitale des achats, des approvisionnements et de la comptabilité fournisseurs. Le cabinet accompagne ses clients sur l'ensemble du cycle de vie du système d'information achats, de l'étude d'opportunité et rentabilité, jusqu'à la mise en oeuvre clé en main des solutions et la tierce maintenance applicative (TMA). Acxias est l'auteur de l'ouvrage de référence "La Digitalisation des Achats - Enjeux, bonnes pratiques et référentiel des solutions".