La préférence régionale ou l'arlésienne des achats publics
[Témoignage] "L'approvisionnement local est une condition intrinsèque de l'objet du marché"
Faire de l'achat direct auprès des producteurs locaux sans en faire la finalité du marché. C'est le défi relevé par la ville de Rennes. Autrement dit, l'approvisionnement local ne pouvant être un critère de sélection du marché, la solution qui a été imaginée a été d'en faire une condition intrinsèque de l'objet du marché. Explication : "Il s'agit d'un marché public dont l'objet est la production de denrées alimentaires destinée aux cantines de la Ville de Rennes mais qui participe à la protection de la ressource en eau du bassin Rennais", explique Wilfrid Clément, chef du service mutualisé de la commande publique de la ville de Rennes et de Rennes métropole. À l'origine du marché, la Collectivité Eau du Bassin Rennais (CEBR), syndicat de production et de distribution d'eau potable sur le bassin rennais qui a sollicité la ville de Rennes afin de faire évoluer les modes de production des exploitations agricoles situées sur les zones de captage d'eau potable du bassin versant rennais. La question était : "Comment, en échange de pratiques écologiquement vertueuses qui protègent la ressource en eau, peut-on garantir aux agriculteurs un débouché de leur production ?" détaille Wilfrid Clément. En effet, la qualité de l'eau est un sujet majeur en Bretagne en raison des nitrates issus de l'agriculture. "En résumé: si vous êtes vertueux, vous aurez des débouchés pour vos produits dans nos cantines publiques", précise le responsable de la commande publique.
Une démarche de progrès avec bonus à la clé
Un lot sur la viande et un sur le lait ont été lancés pour un total de 50.000 euros sur trois ans. Cette réflexion a commencé en 2013 pour aboutir à ce marché expérimental en juillet 2015 en pleine crise agricole. Le groupement de commande est passé entre la ville de Rennes et le CEBR. Dans l'accord-cadre, le producteur s'engage à respecter des pratiques évaluées selon la méthode Idéa (Indicateurs de durabilité des exploitations agricoles) développée par le ministère de l'Agriculture. Le candidat s'engage à faire des progrès pendant la durée du marché. Et si les engagements sont tenus voire dépassés, il peut bénéficier d'une prime.
L'approvisionnement local, une condition intrinsèque de l'objet du marché
"C'est un marché d'approvisionnement local au final, car l'objet n'est pas la fourniture de denrées mais la protection de la ressource en eau. Or, les zones de captage sont éminemment locales, on ne peut pas les déplacer. Aussi, d'un point de vue juridique, si tous les producteurs peuvent répondre à l'appel d'offres, les denrées doivent impérativement être produites sur le territoire du bassin versant. A priori, seuls les producteurs qui cultivent sur nos zones de captage sont donc en capacité de répondre à notre marché", détaille Wilfrid Clément. Au final, il faut retenir qu'il ne s'agit pas d'un marché de fournitures, mais d'un marché de prestations de services avec tout ce que cela implique. "Le producteur passe du statut de fournisseur à celui de prestataire de services. C'est donc un contrat d'entreprise et non un contrat de vente qui est conclu avec l'agriculteur, ce qui lui permet notamment de sous-traiter. Il revient ainsi au coeur de la prestation ce que nous traduisons par le retour de la valeur ajoutée au producteur. En effet, c'est lui qui pourra choisir ses distributeurs et ses intermédiaires. C'est lui qui va, en quelque sorte, structurer sa filière. En partant de là, on crée les conditions pour faire émerger une filière/structure d'achat local. On en revient à la notion de circuit court tout en se gardant d'en faire un critère. Dans ce marché expérimental, tout est en fait inversé par rapport à ce que l'on connaît habituellement en matière d'approvisionnement d'où l'originalité de la démarche", conclut le responsable de la commande publique de la ville de Rennes.
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