La préférence régionale ou l'arlésienne des achats publics
La clause Molière: une fausse bonne idée ?
Parmi les mesures favorisant le recours aux entreprises locales dans la commande publique figure la clause Molière. Soit le fait d'imposer le français sur les chantiers dont la collectivité est maître d'ouvrage ou au moins d'avoir un interprète. Cette obligation qui figure dans le cahier des clauses administratives particulières de ses marchés locaux a été proposée par Vincent You est adjoint au maire d'Angoulême, en charge des finances, des politiques publiques et des fonds européens pour éviter le recours aux travailleurs détachés.
Une mesure déjà adoptée notamment dans les marchés des Hauts-de-Seine. "La clause Molière comme condition d'exécution du marché n'est pas révolutionnaire. Déjà en 2012, le STIF avait illustré la polémique en attribuant un marché public de call center à une entreprise basée au Maroc, suscitant la colère d'Arnaud Montebourg. Ce type de difficultés aurait pu être facilement évitée en exigeant des candidats de disposer des capacités en maîtrise de langue francophone avec un niveau baccalauréat ou équivalent", relate Me Raphaël Apelbaum, avocat associé, département droit public & commande publique chez LexCase. "Quand une personne publique choisit de passer un marché pour la réalisation de travaux par définition elle ne les réalise pas elle-même. C'est l'entreprise et/ou l'entrepreneur en charge du marché qui est responsable de la sécurité. C'est bien que la personne publique s'en soucie mais elle n'engage pas sa responsabilité juridique à elle", explique de son côté Me Céline Rojano, spécialiste de la commande publique au sein de Cornet Vincent Ségurel. "Affirmer la préférence régionale et nationale dans les marchés publics n'est pas légal. Mais au-delà du discours politique, l'argumentaire juridique peut être sérieux s'il est présenté autrement: on vise alors à justifier une telle clause en lien avec la bonne exécution du marché. Par exemple : dans le BTP, pour une meilleure communication sur le chantier et ainsi éviter les accidents et garantir la sécurité, la clause Molière peut être justifiée et donc légale." Pour avancer cet argument, Me Apelbaum conseille, par exemple, de prendre contact avec les inspecteurs du travail de la région (DIRECCTE) et de leur demander la communication des chiffres des accidents sur les chantiers survenus les 12 ou 24 derniers mois. Enfin, "le seul recours utile contre la clause Molière serait le recours au fond contre le contrat car, finalement, elle ne fausse pas la procédure de passation. Soit une procédure qui prendrait plus d'un an devant un tribunal", conclut Me Céline Rojano.
Mise à jour 01/06/2017: Début mai, une instruction interministérielle adressée aux préfets fait état de l'illégalité de la disposition au regard du droit européen. Les 4 ministres signataires appellent les préfets à la "traiter comme telle", en engageant éventuellement des recours devant le tribunal administratif.
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