Compréhension mutuelle des enjeux
Heureusement, ces freins ne sont pas insurmontables. Premier levier sur lequel travailler : l'acculturation des achats au marketing et du marketing aux achats. Afin de permettre aux deux directions de mieux se comprendre, de mieux entendre les enjeux de chacun et donc de collaborer efficacement. Des formations peuvent être mises en place mais le plus efficace est encore de recruter aux achats des personnes qui ont une bonne connaissance du marketing. "Il est indispensable que l'acheteur ait au moins un peu d'expérience en marketing. Cela permet de parler le même langage, de comprendre les problématiques du service marketing-communication, notamment leur besoin de réactivité et de confidentialité", estime Marie-Claire Pascal.
Pour Raphaël Belliere-Lottier, l'idéal est que l'acheteur ou l'acheteuse qui est en charge des achats marketing ait suivi un double cursus : un master en marketing-communication suivi d'un master spécialisé en achat, par exemple. "Mais d'autres chemins sont possibles, complète-t-il. Ce peut-être une personne du marketing qui bascule sur les achats". Le plus important étant que la personne soit consciente des enjeux actuels et à venir de la fonction marketing-communication mais comprenne également bien son éco-système. "On va vers une forte digitalisation du marketing et de la communication ; les profils d'acheteurs et d'acheteuses doivent disposer de compétences et expertises aux achats IT et des achats de prestations intellectuelle", ajoute Raphaël Belliere-Lottier.
Si les achats doivent comprendre le marketing, le marketing doit comprendre les achats : Sylvie Deschâtres recommande d'assurer des micro-formations aux acheteurs, notamment aux nouveaux arrivants, sur différents sujets comme l'expression des besoins ou la demande d'un acompte. "La direction achats peut élaborer des modèles de briefs, mais il est important que des rencontres physiques aient lieu", ajoute la co-fondatrice de Synesens. Raphaël Belliere-Lottier recommande lui aussi à la directions achats d'acculturer les équipes marketing et communication aux processus achats mais aussi aux risques ainsi qu'aux leviers de performance. "Le budget est un point important pour la direction marketing et communication : il faut leur assurer que les gains obtenus permettront de dégager du budget pour faire des opérations supplémentaires et de faire face à des hausses de prix", met-il en garde.
Il faut donc non seulement comprendre le marketing mais aussi faire preuve d'empathie vis à vis des enjeux de la direction. "L'achat marketing nécessite une bonne combinaison de savoir-faire et de savoir-être. Il faut notamment savoir être diplomate afin de se faire accepter petit à petit", relève Marie-Claire Pascal. Elle déconseille de confier ce poste à un junior.
Rencontres régulières
Chez Raja, une solution a été trouvée pour faciliter la collaboration achats/marketing : la centrale d'achat du groupe est constituée d'acheteurs qui sont également chefs de produits. "Nous sommes convaincus que la réunion des deux fonctions est créatrice de valeur pour l'entreprise. Nos acheteurs raisonnent en commerçants et contribuent activement à la croissance du groupe. Ils ne se focalisent pas uniquement sur la réduction des coûts mais aussi sur la qualité des produits, l'excellence du service, l'amélioration continue de l'offre et la recherche d'innovation", explique Ulrick Parfum, directeur achats et marketing produits du groupe.
Malgré cette organisation, la centrale d'achat collabore avec une direction marketing : la direction marketing clients, sur l'expression médiatique de l'offre. "Les acheteurs-chefs de produits transmettent aux équipes marketing client toutes les informations produits leur permettant de construire les argumentaires de vente les mieux adaptés, contextualisés à nos différents supports commerciaux (catalogues papier, sites web, newsletters...)", décrit Ulrick Parfum. Les acheteurs présentent et expliquent également chaque nouveauté produit aux équipes marketing, média et commerciales. De manière à fluidifier les échanges, des rituels ont été mis en place, comme des réunions hebdomadaires destinées à faire le point sur l'avancée des campagnes catalogue. L'utilisation d'outils collaboratifs type JIRA ou Teams ont aussi facilité le travail entre les deux équipes. "Nous organisons des réunions REX, "retours d'expérience", afin d'analyser ce qui a marché, ce qui a dysfonctionné et mettre en place les actions correctives nécessaires. Nous nous inscrivons dans une démarche d'amélioration continue", ajoute Ulrick Parfum.
Organiser des moments de rencontre réguliers est en effet une bonne pratique à mettre en place pour favoriser la collaboration achats/marketing : "Les deux directions doivent se parler régulièrement afin de partager sur les projets, le marché fournisseurs, le budget, etc..." détaille-t-il. Il notifie par ailleurs l'importance des délais et de la réactivité dans les métiers du marketing et de la communication, ce qui justifie d'autant plus cette nécessité d'échanger fréquemment. "Il est important que les achats soient intégrés à la direction marketing-communication, soient au plus près d'elle", assène-t-il.
Vers du co-management
Catherine Pardo parle quant à elle de co-management : "Le co-management permet de respecter les différences tout en trouvant des moyens d'alignement. Chaque direction mène ses projets individuellement mais elles se rencontrent sur certains points, lors de réunions. Ces points doivent aboutir à des prises de décisions communes et pas juste se limiter à de l'échange d'informations". Elle avance d'autres pistes : faire partager aux deux directions des lieux physiques afin de favoriser la sérendipité, c'est-à-dire le fait de trouver des idées par hasard ; mettre en place des incentives sur des projets montés en commun...
Sylvie Deschâtres conseille quant à elle un accompagnement des équipes marketing sur le sourcing via des business review avec des fournisseurs stratégiques ou de nouveaux prestataires, histoire d'aider la direction marketing à s'ouvrir à de nouveaux partenaires et leur permettre de davantage innover. De nombreuses solutions peuvent donc être mises en place pour permettre une meilleure collaboration achats/marketing : le plus important est de se lancer afin de rendre plus performants les achats marketing.
Virginie Favray, directrice des achats des laboratoires Urgo : "Donner envie de travailler ensemble"
Au sein des laboratoires Urgo, les achats hors production représentent quasiment autant que les achats de production ; et dans ces achats hors production, une grosse part des dépenses se fait au profit du marketing. "L'enjeu est donc fort en termes financiers, mais aussi en terme de management des risques et de la qualité du produit/service", rapporte Virginie Favray, directrice des achats des laboratoires Urgo. Dans ce contexte, la collaboration achats/marketing est primordiale : les achats accompagnent les directions marketing dans la définition du besoin, le sourcing, la négociation, et le processus de sélection fournisseur ou encore dans l'évaluation financière d'un fournisseur. Pour un bon partenariat, la direction achats intervient dès l'intégration des nouveaux arrivants à la direction marketing. "Cela permet d'échanger sur la valeur ajoutée des achats, de quelle façon nous allons être amenés à travailler en commun... Nous cherchons à donner envie de travailler ensemble, cela fonctionne mieux que de mettre simplement en place une procédure écrite", décrit Virginie Favray. Elle invite à l'humilité : "Nous ne sommes pas des experts marketing et eux ne sont pas des experts achats ; l'objectif est de démontrer ce que notre collaboration peut apporter".
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