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La supply chain face à la fragmentation du monde

Publié par Magdalena Saczawa le

Après la crise du Covid-19, les supply chain doivent faire face à des pénuries, une faible croissance, la multiplication des cyberattaques, une pénurie de main-d'oeuvre et des crises logistiques. Afin de sécuriser les approvisionnements les entreprises internationales passent d'une chaîne d'approvisionnement globale à des modèles plus régionalisés en plus des législations RSE à respecter. Voici les points à ne pas manquer du cinquième baromètre de Kyu, entreprise de services et conseil.

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Une demande à grande variabilité

D'après le cinquième baromètre de l'entreprise Kyu, la volatilité de la demande en Europe, exacerbée par la crise du coût de la vie et la fragilité de la confiance des consommateurs, a conduit à des effets "bull whip" dans divers secteurs post-Covid. Entre fin 2022 et début 2023, la reprise économique a généré d'importants surstock, notamment dans l'électronique et les télécoms, avec des baisses importantes des ventes d'iPhone et des exportations de circuits intégrés.

Aux États-Unis, le déstockage a été important dans l'informatique, tandis que la demande a chuté plus rapidement que la production dans d'autres secteurs. En Europe, le secteur du retail est confronté à l'incertitude avec un pouvoir d'achat impacté par l'inflation et une hausse significative des achats d'occasion.

Les entreprises doivent ajuster leur supply chain pour mieux gérer l'incertitude, intégrer les risques et renforcer leur agilité en raccourcissant les chaînes d'approvisionnement. Cette volatilité transforme la nature des fournisseurs, exigeant robustesse, flexibilité et proximité.

Des pénuries persistantes malgré un retour à la normale

En 2023, malgré le retour à la normale dans de nombreux secteurs, des pénuries de produits et matières restent persistantes. Les événements climatiques fragilisent les récoltes, les crises géopolitiques restreignent les échanges, et certains secteurs luttent pour répondre à une demande volatile.

Dans l'aéronautique, la reprise des commandes et les tensions sur l'approvisionnement en acier dû aux restrictions russes créent des défis importants. L'agroalimentaire est affecté par les tensions en mer Noire et les conséquences des sécheresses extrêmes, ce qui entraîne des pénuries de céréales, d'oléagineux, de riz, de maïs, de soja, de sucre et d'huile d'olive. La résolution de la pénurie de semi-conducteurs est en cours, mais elle persiste dans l'automobile, préfigurant un futur marqué par l'effet "bullwhip".

Les constructeurs s'efforcent de sécuriser leurs approvisionnements en achetant directement aux fabricants. Dans le domaine de l'électrique, les préoccupations concernant les matières premières pour les batteries, notamment les métaux rares dépendants de la Chine, suscitent des inquiétudes. Les tendances de la demande, les relations internationales et les changements climatiques qui ont caractérisé 2023 sont susceptibles de continuer à générer des pénuries en 2024.

La multiplication des tensions géopolitiques

En 2023, le secteur du fret maritime (soit l'acheminement de marchandises d'un port à un autre de marchandises), au coeur des chaînes d'approvisionnement mondiales, a connu des fluctuations majeures. Marquée par une diminution des tensions et des tarifs revenant à des niveaux similaires voire meilleurs qu'en 2019, cette période favorable a été cependant de courte durée.

Des crises géopolitiques, sociales et climatiques ont ébranlé plusieurs routes maritimes clés. Ces perturbations ont engendré des hausses des coûts d'assurance, des détours vers le Cap de Bonne Espérance, et des retards, mettant à rude épreuve la logistique des importateurs européens et désorganisant les ports à quelques semaines du Nouvel An chinois.

Parallèlement, le transport routier fait face à des problèmes persistants de pénurie de main-d'oeuvre, avec une estimation de trois millions de chauffeurs manquants, dont deux millions en Chine, exacerbant les tensions malgré une résorption partielle des besoins en Europe et aux États-Unis. Le vieillissement des employés, le manque d'attrait pour ces emplois et l'augmentation de la demande laissent présager de nouvelles tensions à l'avenir.

Une croissance faible

D'après le baromètre de Kyu, en 2023, les tensions géopolitiques mondiales ont continué de s'intensifier, remettant en question la stabilité à la base de la mondialisation. Cette augmentation des tensions s'est manifestée par des restrictions croissantes du libre-échange, telles que des sanctions, des embargos et une augmentation des droits de douane, entraînant un monde de plus en plus fragmenté en blocs géo-économiques concurrents.

Le conflit entre l'Ukraine et la Russie persiste, bien que l'Europe ait réussi à réduire sa dépendance au gaz russe. Les attaques au Proche et au Moyen-Orient, ont eu des répercussions sur le trafic maritime mondial et perturbé le secteur de la technologie. En Asie, les tensions augmentent avec les voisins de la Chine, notamment le Vietnam, les Philippines, le Japon et l'Inde, tandis que la Corée du Nord reste une menace. Les tensions entre la Chine et Taïwan menacent les approvisionnements mondiaux en composants électroniques, avec la perspective croissante d'une invasion. Les rivalités économiques et les conflits territoriaux se multiplient.

En 2024, avec des élections à venir dans différentes parties du monde, aucune détente n'est anticipée, avec des signes potentiels de renforcement des tensions, y compris des élections favorables aux partis nationalistes et des incertitudes liées à la possible réélection de Donald Trump.

Les cyberattaques, plus ciblés et toujours aussi handicapantes

Malgré une légère baisse de l'occurrence des attaques de cybersécurités depuis l'année précédente, celles-ci restent une menace qui a lieu souvent et qui a un fort impact sur la supply chain. Les petites et moyennes entreprises sont particulièrement touchées par cette menace. En effet, parfois moins protégés que les grandes entreprises, les PME sont un point d'entrée privilégié pour ces attaques. Paralyser un seul point peut facilement perturber toute la chaîne d'approvisionnement.

Les différentes crises géopolitiques augmentent les risques et exposent les supply chain déjà touchés par une crise d'approvisionnement. D'après Gartner, conseiller de gestion des affaires, d'ici 2025, 45 % des organisations mondiales vont être victime de cyberattaques qui ciblent leurs chaînes d'approvisionnements.

Les entreprises à la recherche de main-d'oeuvre

La pénurie mondiale de main-d'oeuvre semble devenir une tendance durable, touchant autant les pays développés que les économies émergentes. En Europe, une pénurie structurelle de main-d'oeuvre qualifiée crée des retards de livraison dans des secteurs clés comme l'aéronautique et la défense, en raison des départs à la retraite et de la faible attractivité de l'industrie pour les jeunes.

Aux États-Unis, la "great resignation" post-Covid se transforme en un "great reshuffle", avec des taux élevés de démissions compensés par des embauches importantes, mais le secteur manufacturier continue de peiner à recruter. En Chine, malgré la croissance dynamique du secteur des véhicules électriques, des pénuries de main-d'oeuvre se manifestent en raison d'un déficit de formation et d'un excédent de jeunes diplômés peu enclins au travail en usine.

Dans l'industrie de l'habillement, la volatilité de la demande a entraîné des licenciements massifs et des retards d'investissements, avec une forte baisse d'activité en 2023. La concurrence pour la main-d'oeuvre qualifiée s'intensifie également dans des pays comme le Vietnam, où l'implantation de fournisseurs majeurs attire d'anciens ouvriers du textile. Ce phénomène, combiné aux déplacements de travailleurs et à la perte de compétences, risque de poser des défis persistants pour l'industrie mondiale.

Des défauts de qualité encore trop présents

Dans la période post-Covid, la reprise forcée de l'activité a conduit à une transformation majeure des supply chain dans divers secteurs, incitant à la recherche de nouveaux fournisseurs et à des modifications dans la configuration des produits. Cette course à la capacité a toutefois engendré une hausse des incidents qualité, même dans des industries matures telles que l'aéronautique et l'automobile.

En 2023, le secteur automobile aux États-Unis a connu sa pire année en termes de problèmes rencontrés par les nouvelles voitures, avec 320 rappels affectant 32 millions de véhicules. Des incidents notables, tels que les défaillances de sécurité du système d'autopilotage de Tesla et l'arrachage en plein vol d'une "porte bouchon" sur un 737 Max de Boeing, ont mis en lumière les défis liés à la maîtrise de nouvelles fonctions et à la responsabilité des donneurs d'ordre en cas de défaillance des fournisseurs.

Ces problématiques de qualités sont attribuées à l'innovation, à la difficulté d'identifier toutes les défaillances sur le cycle de vie d'un produit, à la perte de savoir-faire due au turnover post-Covid et aux départs en retraite, ainsi qu'au niveau élevé d'externalisation des opérations. En conséquence, les entreprises sont amenées à réévaluer leurs stratégies "make or buy" et le niveau de contrôle exercé dans leur chaîne de valeur.

Des crises climatiques croissantes

L'année 2023, marquée par les températures les plus élevées jamais enregistrées à l'échelle mondiale selon le programme européen Copernicus, les événements climatiques extrêmes ont persisté, accélérant le dérèglement climatique. Aucune région n'a été épargnée, avec des violents incendies et des tempêtes en Amérique du Nord, des records de chaleur, des incendies et des sécheresses en Europe du Sud, au Maghreb, en Chine, au Japon et en Inde.

Ces conditions ont soumis les supply chain mondiales à de nouvelles épreuves, ralentissant la production et la livraison des biens et services. Des problèmes ont émergé au Vietnam, où les fortes chaleurs ont impacté les infrastructures électriques, obligeant des entreprises comme Foxconn et Samsung à réduire leur consommation. Le transport fluvial et maritime a été fortement exposé, avec une sécheresse sans précédent affectant le Canal de Panama, entraînant des restrictions de trafic, rallongeant les délais et augmentant les coûts.

L'industrie agroalimentaire a également subi des conséquences directes, avec des baisses de rendements agricoles liées à la sécheresse ou aux précipitations extrêmes, entraînant des pénuries et une augmentation des coûts pour des matières premières telles que le maïs, le soja, la tomate, l'huile d'olive, l'huile de palme et le sucre dans diverses régions du monde.

Des risques de crises logistiques encore présents

En 2023, le secteur du fret maritime, au départ caractérisé par une baisse des tensions et des niveaux de prix et de délais favorables, a rapidement connu un revirement. Des crises géopolitiques, sociales et climatiques ont émergé, impactant les principales voies de navigation. Des événements tels qu'un missile tiré par la Corée du Nord, la menace russe sur les ports ukrainiens, des grèves dans les ports canadiens et américains, la sécheresse au canal de Panama, et les attaques des rebelles houthis dans le détroit de Bab el-Mandeb ont perturbé le trafic maritime mondial.

Ces incidents ont entraîné une augmentation des coûts d'assurance, des détours vers le Cap de Bonne Espérance, et des retards, accentuant la pression sur les capacités de transport. La situation a fragilisé la logistique des importateurs européens et désorganisé les ports, générant des défis supplémentaires à quelques semaines du nouvel an chinois.

Parallèlement, le transport routier a également fait face à des problèmes persistants, avec une pénurie de main-d'oeuvre estimée à environ trois millions de chauffeurs dans 36 pays, dont deux millions en Chine.

L'accélération des mises en conformité RSE

En réponse à la multiplication des réglementations en 2022, les entreprises ont ajusté leurs stratégies d'approvisionnement pour favoriser des supply chain durables et responsables en 2023. La surveillance accrue des consommateurs et de la justice a persisté, illustrée par des enquêtes contre Nike Canada et Dynasty Gold au Canada en juin, des accusations de travail forcé d'Ouïghours.

En novembre, Carrefour a été mis en demeure par l'ONG Bloom pour défaut de vigilance sur la commercialisation de produits à base de thon tropical, et en décembre, La Poste a été condamnée à Paris en vertu de la loi sur le Devoir de Vigilance. Les réglementations adoptées ou en cours (Devoir de diligence sur la provenance des minerais en Suisse, Due Diligence Law en Allemagne, CSDDD européenne) ont accéléré la mise en conformité des entreprises.

Entre les controverses récentes et l'intensification du cadre réglementaire, les risques légaux, financiers, réputationnels et opérationnels pour les entreprises tardant à intégrer les enjeux RSE dans leurs chaînes d'approvisionnement sont devenus plus tangibles. L'entrée en vigueur de la Corporate Sustainability Reporting Directive au 1er janvier 2024 renforce les exigences d'évaluation des impacts environnementaux et sociaux, soulignant l'importance cruciale de la traçabilité dans un contexte où la remontée détaillée des chaînes d'approvisionnement devient un défi complexe, sous peine de sanctions allant d'amendes importantes à des exclusions de marchés régionaux.

Quelles sont les solutions ?

Selon l'étude menée par Kyu, 65 % des répondants considèrent leur système de gestion des risques de la supply chain insuffisant. En effet, dans le domaine de l'automobile et de l'aéronautique, 89 % des répondants prévoient de cartographier leur supply chain et localiser précisément les sites. Les autres industries c'est 89 % qui envisagent l'analyse des risques dans l'élaboration des stratégies achats. Dans toutes industries confondues, 83 % des répondants prévoient un suivi renforcé des KPI et capacitaires fournisseurs. Cela prouve l'envie des entreprises de déployer des outils de veille et de traçabilité.

Concernent l'investissement dans la continuité d'activité, 91 % des répondants des industries autre que l'automobile, l'aéronautique, le luxe et la distribution, prévoient de déployer des back-up fournisseurs. 65 % des répondants de tous secteurs indiquent prévoir l'intégration de nouveaux scénarios dans les PCAs. Concernant une supply chain multilocale et dérisquée, 76 % de tous les répondants considèrent l'augmentation du double sourcing. Dans les industries autres c'est 90 % des répondants qui se projettent dans ce choix.

La supply chain en pleine évolution

Un des leviers majeurs de la supply chain est la relocalisation à proximité de la production. Laurent Giordani, associé fondateur chez Kyu et Thibaud Moulin, associé chez Kyu, précisent qu'il est important d'anticiper le modèle de sa supply chain afin de faire progresser sa stratégie achats. En effet, une tendance observer est l'évolution d'une supply chain globale vers une supply chain locale avec plus d'agilité.

Après une période d'une trentaine d'années de désindustrialisation la France à pour objectif de se réindustrialiser. Les entreprises vont chercher des pays avec des avantages compétitifs afin de réduire leur dépendance à la Chine. Cela en respectant les critères RSE imposés et éviter des zones fortement exposées aux risques climatiques.

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