Vous avez probablement des fournisseurs qui travaillent aussi pour des concurrents. Comment parvenez-vous à être un client cible ?
Je crois beaucoup en l'humain. Il faut instaurer une relation de confiance, d'envie, de partage : c'est ce qui incitera un fournisseur à proposer une idée à Sephora. Après, il faut être clair. On doit dire si on prend ou on ne prend pas et, après, on assume. Elle peut en intéresser d'autres... et si l'idée d'un fournisseur peut se développer ailleurs, on peut même l'aider à le faire, ce sera dans notre intérêt. Il est important pour nous que nos fournisseurs aient une santé financière solide.
Comment identifiez-vous la performance achats et comment travaillez-vous avec la finance sur ce sujet ?
Toutes les actions que nous menons doivent avoir des résultats concrets sur le P&L de l'entreprise. Nous devons proposer des solutions, créer de la valeur pour augmenter la top line, tout en optimisant les dépenses. Pour suivre la performance achats, nous avons un contrôleur de gestion opérations. Je passe beaucoup de temps avec la direction financière et la direction marketing, ce sont mes deux clients. Tout ce qui peut être fait sur la marge de nos produits sur les initiatives pour optimiser nos dépenses et plus globalement notre TCO est suivi avec la finance.
Mon écosystème interne est composé de la direction financière, de la direction marketing et des ressources humaines. L'organisation de mon équipe achats est également un vecteur de performance, une équipe qui maîtrise sa catégorie, avec une bonne vision 360 des enjeux. Un bon fonctionnement d'équipe (scope, responsabilité, interfaces internes) est primordial dans notre résultat. La personnalité de nos acheteurs, nos routines de partage sur la vision et les moyens pour y arriver créent notre socle. Une direction achats doit se transformer au même rythme que sa marque. La direction achats doit se structurer pour accompagner la performance de la marque. Et pour ce faire, je dois réfléchir régulièrement à l'évolution des équipes.
Comment êtes-vous structurés ?
Je viens juste de faire évoluer la direction achats ! Nous allons être organisés en catégories, c'est-à-dire un acheteur référent pour chaque catégorie - make up, soin, parfum... L'acheteur animera la performance globale de son lancement et s'assurera de sa parfaite exécution. Il a un objectif prix de marge et de time to market bien défini, il achète dorénavant le pack et la formule (avant c'était deux achats séparés). Par ce biais, chaque acheteur intègre une vision end to end et pilote plus facilement un coût complet. Il devient un vrai partenaire du marketing avec le développement produit.
Où en êtes-vous de la digitalisation des achats ?
Je viens de participer à un livre blanc sur cette thématique et le sujet est très vaste. La digitalisation est pour moi un vecteur d'efficacité : mettre à disposition de la donnée plus rapidement pour l'exploiter plus facilement. Cette digitalisation doit nous aider à donner un cadre et à communiquer avec les autres services, la finance notamment. À date, nos principaux reporting sont déjà automatisés tels que les scorecard fournisseurs ou nos dashboard internes. Nous sommes bien avancés sur notre sourcing fournisseurs et processus d'appel d'offres, et nous travaillons sur un grand projet d'automatisation de la performance achats, avec une solution qui devrait voir le jour d'ici à l'été 2021.
Quels sont vos rapports avec la direction juridique ?
Je passe beaucoup de temps avec nos juristes, et encore plus depuis la pandémie qui a demandé nombre d'actions spécifiques. Ils accompagnent nous draft les protocoles d'accord et nous rappellent les textes de loi. Nous sommes aussi en étroite collaboration sur nos risques d'image et sur nos enjeux éthiques et compliance. Ils donnent également du cadre à nos solutions les plus folles, notamment dans la cadre d'exclusivité ou de partenariat stratégique !
Quels enseignements tirez-vous de cette période très particulière ?
Je n'ai jamais autant partagé avec mes fournisseurs, nous nous sommes entraidés, nous avons vraiment poussé la relation à l'extrême. Il était impératif pour moi que tous nos fournisseurs stratégiques passent ce cap et qu'ils puissent être là demain, pour soutenir notre future croissance. Cette période a cassé les barrières d'une relation client/fournisseur standard, il fallait produire du gel, trouver les pompes, tisser des masques, et tout le monde donnait de son temps et de son savoir-faire : quel partage incroyable ! Second enseignement : la mise en avant de notre tissu industriel européen extrêmement performant. Cette crise nous a permis de mieux nous connaître techniquement, mais aussi humainement, à oser se dire les choses, à être plus simples et transparents.
Aujourd'hui, faire du business, c'est être dans le relationnel. Chacun a essayé de trouver les moyens et les ressources pour s'en sortir. Et quand on est dans une relation où l'on parvient à comprendre l'autre, c'est très satisfaisant. Auparavant, nous parlions de partenaires, mais on ne se connaissait pas. Aujourd'hui, ce n'est plus le cas.
Comment envisagez-vous l'évolution de la fonction ?
Déjà, je suis incroyablement fière du parcours de la fonction achats ces 15 dernières années. Et nous avons tout pour nous construire un avenir radieux ! Il y a un virage qui est en train de s'opérer. C'est pourquoi, demain, les directions achats feront partie des codir. Il est là l'avenir, la fonction achat sera un vecteur de performance globale et de création de valeur pour une entreprise. C'est la direction des achats avec son pool de partenaires externes qui agira toujours sur le P&L, par une meilleure et plus large maîtrise des dépenses, tout en contribuant activement à l'innovation et au développement durable. Une direction achats qui créera des synergies, fera travailler des concurrents ensemble et libérera les bonnes énergies de la croissance. Les futurs acheteurs auront un esprit entrepreneurial, ils seront créatifs, ambitieux et visionnaires. Le pari sera gagné quand nous n'aurons plus besoin d'expliquer à quoi sert une direction achats dans une entreprise, la fonction sera incontournable !
Qu'est-ce qui vous ferait dire : "J'ai réussi ma mission chez Sephora" ?
Quand mes fournisseurs me diront que ce que l'on fait est clair et pertinent, que nos valeurs sont respectées. Quand mes clients internes trouveront que les achats se sont transformés et que mes équipes se sentiront valorisées ! Un vrai bonus sera l'attractivité : une école des achats chez Sephora où les meilleurs acheteurs viendront postuler !
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