Dans le cadre du rapport Gallois, vous proposiez notamment de créer un mécanisme d'orientation de la commande publique vers des innovations et des prototypes élaborés par des PME avec un objectif de 2% des achats courants de l'Etat...
L'idée reste bonne ! Je crois que la commande publique peut être un moyen de soutenir et de renforcer le tissu industriel français. Je sais bien qu'il y a des règles communautaires qu'il faut respecter qui font que les marchés publics sont ouverts au niveau européen. Mais cela n'empêche pas d'avoir une politique d'achats publics qui vise à avoir un impact sur le tissu industriel français.
Prenons les hôpitaux qui représentent 18 milliards d'euros d'achats par an.... Est-ce qu'il y a une vision de politique industrielle qui permettrait à l'industrie française de répondre sur ces 18 milliards, dans une proportion plus importante que celle que nous connaissons actuellement ? Il faudrait que le tissu industriel français ait une vision claire de ce que veut faire l'Etat dans ces domaines. Cela éclairerait les décisions des entreprises.
La Commande Publique n'est pas un outil facile à manier car l'Etat veut faire des économies et en même temps, il faut respecter les règles de l'Union européenne. C'est à partir de ces contraintes qu'il faut dessiner un chemin vers une politique économique incitative en matière de politique industrielle. Et je crois que c'est possible.
La commande publique éclaire, et dans cette politique, j'avais proposé que les PME trouvent leur place... je pense que cela reste d'actualité.
Faut-il légiférer pour contraindre davantage ?
Ce n'est pas uniquement une question de loi. Je voudrais savoir s'il existe, au sein du ministère de la Santé, par exemple, une cellule industrielle ? Est-ce que ce ministère, qui achète énormément dans des domaines extrêmement sensibles - on l'a vu avec les vaccins - a une politique industrielle ? Est-ce que la volonté - légitime - de diminuer les coûts pour la Sécurité sociale ne l'emporte pas excessivement sur la priorité du renforcement du tissu industriel français ? Quel type de dialogue le ministère de la Santé a-t-il avec les industries du secteur de la santé ?...
En 2012, vous préconisiez que les grands groupes qui bénéficient d'aides de l'État soient obligés d'associer les fournisseurs et les sous-traitants à leurs actions.... Où en est-on aujourd'hui ?
Le Programme d'Investissement d'avenir soutient prioritairement les projets d'innovation associant plusieurs entités : laboratoires, entreprises... Mais ce sujet me paraît toujours d'actualité. Il faut inciter les grands groupes qui reçoivent des aides de l'Etat à en faire bénéficier leur chaîne de fournisseurs. Dans le dossier présenté pour obtenir des aides publiques, l'élément de renforcement de la chaîne des fournisseurs doit être développé et recevoir une vraie priorité.
Dans réindustrialiser, il y a une notion de retour.... or il y a des capacités d'investissement que nous n'avons pas et des savoir-faire que nous n'avons pas... La bataille n'est-elle pas perdue d'avance, dans certains secteurs, du moins ?
Nous avons en Europe des atouts, de vrais savoir-faire. Sur les semi-conducteurs, par exemple, nous avons STMicroelectronics, qui est une entreprise franco-italienne, Infineon, qui est une entreprise allemande, MSL, société hollandaise qui fournit dans le monde entier des machines qui permettent justement d'obtenir les précisions demandées dans la fabrication des semi-conducteurs.
Nous ne sommes pas dépourvus de moyens. Nous n'avons certes pas la capacité de financement exceptionnelle des Taiwanais qui vont mettre 15 milliards d'euros sur la table, pour développer une nouvelle génération de semi-conducteurs, mais nous pouvons attirer ces industriels. Le Président Macron s'y emploie avec TMSC.
Le secteur des semi-conducteurs est un secteur où l'Europe peut regagner une autonomie plus importante et je pense qu'il est essentiel qu'elle le fasse. Les Chinois sont dans la même situation que nous ; ils se battent de la même façon. Si Taïwan et les Coréens sont capables de le faire, nous pouvons aussi le faire. Il n'y a aucun obstacle. Mais cela suppose que l'industrie européenne en fasse un très grand projet. Il y a peu de domaines dans lesquels nous sommes incapables d'aller.
Lorsque Airbus a été lancé, tout le monde pensait que c'était une folie. Mais il y a des hommes qui y ont cru et qui ont mené cette aventure avec persévérance. Airbus n'a rien à envier aujourd'hui en matière technologique à Boeing. Il n'y a pas de bataille perdue.... Dès lors qu'on a envie de les mener.
C'est évidemment difficile de ramener rapidement en Europe de l'Ouest des produits de très grande consommation tels que l'habillement, où la concurrence par les coûts fait rage. Mais il y a aussi de belles réussites dans ce secteur qui prouvent que cela est faisable. Prenez Bleu Forêt qui montre que l'on peut fabriquer en France, dans les Vosges, en l'occurrence. Ils jouent l'image du made in France et du haut de gamme. Ils se battent bien et montrent que cela peut marcher. Le Slip Français est aussi une belle réussite, qui montre que les consommateurs sont capables de payer plus cher pour avoir des produits de qualité fabriqués en France. Sur tous les secteurs il peut y avoir du haut de gamme.
Vous êtes connu pour vos engagements en faveur de l'inclusion, estimez-vous que les entreprises françaises en font assez en la matière? Les valeurs humaines sont-elles assez prises en compte par les acteurs économiques ?
Je suis persuadé qu'il y a une place pour que les entreprises s'investissent dans une politique de lutte contre l'exclusion. Je demande d'ailleurs aux acteurs économiques qui peuvent le faire de soutenir, notamment, l'économie sociale et solidaire, les chantiers d'insertion, les ESAT, le travail adapté, au travers de leur politique RSE. Il y a déjà un certain nombre de choses qui se font. PSA, par exemple, devenu désormais Stellantis, soutient des garages solidaires, a fourni des masques pour les centres d'hébergement. Les entreprises ont su se mobiliser durant la crise de la Covid et c'est un bon exemple de ce qu'il est possible de faire.
Pensez-vous qu'il y a suffisamment d'incitations ?
Je crois que les incitations viennent de l'extérieur et de l'intérieur en même temps. La notation extra financière en est une, venue de l'extérieur ; en interne, les salariés veulent donner du sens à l'action de leur entreprise. Le soutien à la lutte contre l'exclusion donne du sens.
Je me souviens d'une réunion des Banques Alimentaires à laquelle participait le patron de Pomona à qui j'avais demandé ce qui le conduisait à participer à l'action des Banques Alimentaires : il m'a répondu "parce que mes employés me l'ont demandé. Ils me disent que le gaspillage alimentaire est inacceptable. Cela donne un sens à l'activité de mes salariés". Les salariés doivent se retrouver dans l'action de l'entreprise. C'est un enjeu important.
Biographie express:
Diplômé de l'Ecole des hautes études commerciales et de l'Ecole nationale d'administration (promotion Charles de Gaulle), après une carrière dans l'administration publique, Louis Gallois devient successivement p-dg de la Snecma (1989), d'Aérospatiale (1992), président de la SNCF (1996), président exécutif d'EADS N.V. (2007) et président du conseil de surveillance de PSA (2014-2021). Il est co-président de La Fabrique de l'industrie depuis sa création en 2011.
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