La relocalisation fait-elle partie intégrante de vos axes de travail ?
La relocalisation est le premier levier de notre stratégie achats. J'ai initié le mouvement il y a environ trois ans. Il faut raisonner Europe pour y relocaliser un maximum d'activités. L'objectif est de relocaliser une part importante de notre portefeuille achats en Europe d'ici à trois ans. La Covid ne fait que renforcer notre volonté de revenir à plus de proximité pour gagner en flexibilité, en délais et en termes de développement industriel. Il est plus facile de travailler en proximité : nombre de problématiques disparaissent de fait.
Nous avons accompli un très gros travail sur le packaging. Toutes nos pièces de collection, médailles, bijoux, objets d'art et tous les produits de mass market (nous développons des produits en licence) sont présentés dans des packagings. Jusqu'à récemment, ils étaient élaborés dans des pays low cost, mais il y a deux ans, nous avons rapatrié une partie de la production de packaging en France. Nous avons prospecté les fournisseurs français, qui sont essentiellement d'importants imprimeurs travaillant dans le monde du luxe et des cosmétiques.
Nous avons tout intérêt à relocaliser pour assurer des approvisionnements de proximité et travailler main dans la main avec nos industriels pour remettre la machine en route dans nos pays. Je veux, avant de quitter ce métier, faire en sorte qu'un maximum de choses repasse dans la main des Européens, en favorisant la France autant que possible. Et je crois que, pour nous tous, la Covid a constitué un élément clé dans le changement des attitudes.
Comment avez-vous organisé votre équipe achats ?
La direction des achats de la Monnaie de Paris c'est, avant tout, une équipe aguerrie au service des prescripteurs internes. Nos cinq acheteurs sont respectivement des professionnels de chaque domaine de compétence : matières premières, packaging marketing et communication, frais généraux, transport et prestations intellectuelles, travaux et investissements. Ils sillonnent le monde à la recherche de nouveaux fournisseurs, d'innovations et de partenariats pour accompagner le développement de la Monnaie de Paris.
De quels leviers de négociation, d'optimisation, disposez-vous, puisque le plus gros de vos achats porte sur les métaux, dont le prix n'est pas négociable ?
Concernant les métaux, le prix est effectivement le même dans le monde entier. La négociation ne porte pas sur les matières premières, mais sur le taux de commissionnement du trader, puis sur les coûts de transformation et de logistique. C'est sur cela que se fait la différence avec la concurrence. La relation partenariale patiemment entretenue avec les fournisseurs reste essentielle.
Comment gérez-vous les risques RSE liés au marché des métaux ? L'extraction, dans certains pays, est réputée peu éthique, voire catastrophique pour l'environnement...
Nous sommes certifiés ISO 14001. Nous ne pouvons pas travailler avec n'importe qui. Tous nos fournisseurs sont audités : ils doivent respecter les normes internationales.
Quels sont les axes de travail privilégiés par votre politique achats responsables ?
Nous travaillons beaucoup sur ces thèmes, mais je n'avais jusqu'alors pas formalisé de politique achats écoresponsable. À la demande du président, nous avons entrepris ce travail. Nous avons identifié trois leviers. La relocalisation des achats, dont nous avons parlé, en France et en Europe. Le deuxième levier est de favoriser tout ce qui est recyclable. Et le troisième levier consiste à modifier la structure d'approvisionnement au niveau du transport pour abaisser notre empreinte carbone.
Challengé par le marketing, nous développons aussi une activité de négoce d'or issu de petites mines écoresponsables, l'or "fair mined". C'est de l'or pur. Il est suivi et tracé jusqu'à la moindre poussière. Nous l'achetons et le revendons en bijoux ou en pièces pour des collections particulières. Mais il est beaucoup plus rare et plus cher de 30 %. Il faut un public pour cela... Mais les gens y viennent progressivement. Je crois que les consommateurs achètent moins, mais mieux.
Qu'achetez-vous qui doit être recyclable ? Êtes-vous engagés sur l'économie circulaire ?
Toutes les matières que nous achetons pour nos packagings sont recyclables, mais nous ne pouvons pas utiliser de produits recyclés qui peuvent déclencher des réactions avec les métaux qu'ils emballent. Pour les cartelettes, par exemple, je ne peux pas utiliser de carton recyclé, car celui-ci peut comprendre du noir et, dans le noir, il y a un composant qui provoque l'oxydation de nos pièces et médailles.
Notre objectif est de réduire l'utilisation du plastique pour quasiment le supprimer et le peu qui restera devra être normé et recyclable
Comment allez-vous modifier le transport de vos marchandises ?
L'objectif est de faire évoluer nos flux sur des modèles plus raisonnés. Nous utilisons le transport aérien, routier et fuvial, mais pas encore le train. Nous allons développer ce mode de transport et augmenter le fret maritime, pour réduire le transport routier. En parallèle, nous souhaitons limiter au maximum le recours à l'avion, mais nous ne pourrons jamais totalement le supprimer.
Comment les achats contribuent-ils à la lutte contre la contrefaçon ?
Le centre d'étude sur la contrefaçon est situé à Pessac. Une équipe analyse toutes les pièces qui reviennent pour lancer des processus d'enquête internationale. Nous travaillons, nous, achats, sur les spécificités produits de nos clients. Et ce, dans le plus grand secret. Tous les documents transmis sont codés. Pour trouver des innovations, nous sommes en veille permanente. J'assiste à tous les salons professionnels, notamment de l'aéronautique ou du secteur militaire, de la bijouterie et de l'horlogerie qui ont des problématiques similaires aux nôtres. J'y découvre des innovations et rencontre des sous-traitants qui peuvent nous apporter des solutions intéressantes. Je mène aussi une veille concurrentielle. J'observe mes concurrents et je participe au salon international de la numismatique et du monétaire (Berlin).
Chacun essaie de préserver ses secrets de fabrication pour ne pas donner sa part aux autres. Malgré cela, nous échangeons aussi beaucoup entre concurrents lorsque nous nous retrouvons dans les congrès. C'est un univers très fermé. Il n'existe que 120 établissements monétaires dans le monde.
Lire la suite en page 3 : La Monnaie de Paris, quai de Conti, a fait l'objet d'une très vaste restauration. Comment les achats ont-ils travaillé sur ce projet d'envergure ? / Le Code des marchés publics... allié ou adversaire ? ... et autres sujets
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