En attendant El Niño... l'inflation enfle
A retrouver chaque lundi matin, un point sur les achats de matières premières par Olivier Lechevalier, cofondateur de DeftHedge Software. Une nouveauté sur le site de Décision Achats.
Je m'abonneQu'observe-t-on sur les marchés ?
L'inflation reste toujours le problème numéro un. Il y a quelques bonnes nouvelles. Après avoir atteint les 10 %, l'inflation en Espagne a atteint un taux de 3,1 % annualisé. C'est essentiellement lié au recul fort de la composante énergétique. En revanche, la hausse des prix alimentaires a pris le relais dans la plupart des pays européens. En France, les hausses de prix sont massives sur un an : +31,6 % pour les viandes surgelées, +26,7 % pour le sucre, +24,7 % pour le lait et +24 % pour le beurre, par exemple. C'est un phénomène qui est généralisé. Au Royaume-Uni, l'inflation des prix des produits alimentaires a atteint 17,5 % au cours des quatre semaines précédant le 19 mars 2023 (c'est un record historique). En Allemagne, l'inflation des prix alimentaires a atteint un pic historique à 22,3 % sur un an en mars. C'est en partie lié à des problématiques de récoltes, à des restrictions aux exportations dans certains pays et évidemment à l'impact du changement climatique. Sur les marchés, l'analyse technique confirme aussi la tendance haussière, en particulier pour le soja, le blé et le maïs. Seul le café semble engager dans un mouvement de baisse (qui n'est pas lié aux fondamentaux mais plus à des facteurs techniques comme un repositionnement des fonds). Nous pensons qu'on pourrait renouer avec les points bas du mois de janvier. Mais c'est une exception. La hausse devrait encore s'intensifier au moins dans les trois prochains mois au niveau des matières premières agricoles.
Quelles conséquences pour les entreprises ?
Pour les entreprises, la question qui se pose est de savoir comment répercuter la hausse des matières premières agricoles. Dans la plupart des pays, cette hausse a été en grande partie absorbée par le consommateur. Mais si cela s'intensifie, c'est difficilement tenable. En Suède, les trois principaux distributeurs ont décidé récemment des baisses de prix massives sur les produits de base (dont des produits agricoles) car l'inflation a entraîné une baisse massive des ventes au détail. Ce n'est pas encore le cas dans les autres pays européens. Mais il faut être vigilant. On sait, en outre, qu'historiquement il n'y a pas de solution miracle pour faire réellement diminuer les prix alimentaires. Des hausses de taux directeur n'ont strictement aucun effet. Par le passé, la seule solution tangible était la récession.
Quels sont selon vous les points de vigilance à surveiller ?
Au niveau des matières premières agricoles, on sera attentif au retour d'El Niño. Les précédents épisodes ont entraîné des sécheresses et des canicules (Australie en 2019, par exemple) qui ont des effets néfastes à la fois sur la faune, la flore et la production agricole. Si El Niño réapparaît (ce qui est attendu par les experts), on peut parier que l'année 2023 sera plus chaude que 2022. Et cela pourrait être même pire en 2024. Ce qui est certain, c'est que cela tomberait au pire moment pour la France. L'année 2022 fut la plus chaude jamais mesurée pour notre pays (température moyenne de 14,5 °C sur douze mois). Surtout, nous venons de connaître un épisode inédit en cette période de l'année de 32 jours consécutifs sans averse. Les nappes phréatiques sont au plus bas (mauvaise nouvelle pour l'agriculture) tout comme le niveau des fleuves (mauvaise nouvelle pour la production d'énergie hydraulique). Difficile de ne pas envisager dans ces circonstances une hausse importante du prix des matières premières agricoles à moyen terme (la hausse a été plutôt mesurée depuis le début de l'année).
Et le pétrole se reprend après un point bas de 15 mois
Mercredi (dans la foulée des déboires de Crédit Suisse), le pétrole a chuté à son plus bas niveau depuis décembre 2021. Les inquiétudes à propos des banques (qui sont certainement exagérées car le cas Crédit Suisse est un cas à part - ses déboires résultent de ses propres erreurs stratégiques depuis trois ans) font craindre un ralentissement économique (voire une récession. La baisse s'explique également parce que le rapport de l'Agence internationale de l'énergie a indiqué que les exportations russes sont plus élevées que prévu, ce qui va maintenir le marché en excédent pendant le premier semestre de cette année. Les perspectives de demande à court terme étant de plus en plus remises en question par la crise bancaire actuelle, les fonds spéculatifs ont logiquement débouclé leurs positions acheteuses sur le pétrole, ce qui a accentué la baisse. La direction du marché pétrolier à court terme va fortement dépendre des annonces des banques centrales (Fed la semaine prochaine) et également de l'évolution des valeurs bancaires (accalmie ou maintien du stress de marché). Du point de vue de l'analyse technique, il faudrait que le Brent clôture au-dessus de 75 USD (contre 73-74 USD actuellement) pour espérer une reprise de la hausse. Beaucoup d'incertitude à très court terme.
Le cuivre s'effondre sous 3,95 USD malgré des signaux positifs en provenance de la Chine
Le cuivre a été victime de l'aversion au risque sur les marchés financiers en lien avec les déboires du secteur bancaire. Et pourtant, les signaux sont positifs en provenance de la Chine (l'évolution économique dans le pays est un marqueur important pour les cours du cuivre). Les données d'activité pour les mois de janvier et de février confirment la reprise économique post-politique zéro Covid. Les investissements en immobilisation connaissent une hausse importante et cela devrait s'accentuer puisque le gouvernement va probablement annoncer de nouvelles mesures de soutien à court terme afin d'atteindre son objectif de croissance comprise entre 5 %-5.5 % cette année (ce qui va bénéficier directement au marché de l'immobilier). À court terme, l'évolution du cuivre va dépendre étroitement de l'appétit/aversion au risque sur les marchés financiers mais à moyen terme la dynamique économique positive en Chine devrait être un élément de soutien décisif des cours.
Les métaux précieux sont les grands gagnants de la semaine
L'aversion au risque (déboires bancaires des deux côtés de l'Atlantique) a favorisé les valeurs refuge. C'est notable sur les matières premières. L'argent a augmenté d'environ 8 % et l'or autour de 5 % en variation hebdomadaire. On a pu observer que les fonds spéculatifs ont enclenché une vague d'achats de métaux précieux depuis le début de la semaine (avec une forte progression lors de la séance de mercredi pendant laquelle les inquiétudes se sont concentrées sur Crédit Suisse). Si la semaine prochaine induit une accalmie au niveau des banques, il faut s'attendre à des prises de bénéfice à court terme. Cela dépendra aussi de l'attitude de la Fed mercredi prochain. Elle pourrait annoncer des mesures de soutien à l'attention des banques (en termes de liquidité) ce qui réduirait l'aversion au risque. À long terme, nous sommes positifs sur les métaux précieux. Les fonds spéculatifs ont commencé de se repositionner à l'achat depuis le début du mois de février, ce qui signifie que c'est certainement un mouvement durable. S'ajoutent aussi à cela les achats des banques centrales (en particulier dans les pays émergents) qui restent soutenus (cela vaut surtout pour l'or).
Pour aller plus loin : Spécialiste de la gestion du risque de change et des matières premières, Olivier Lechevalier a cofondé DeftHedge Software, éditeur de solution logicielle d'aide à la décision sur le pilotage de ces risques.