[Tribune] Les risques liés au Devoir de vigilance pour les directions achats et leur entreprise
"La responsabilité des achats est d'exercer leur maîtrise du processus achats, mais également d'être de véritables transmetteurs vis-à-vis des autres directions de l'entreprise. Cela remet en cause la culture de la verticalité qui subsiste encore dans les grands groupes".
Je m'abonneÀ première vue, le devoir de vigilance (loi relative au devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d'ordres (loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016) promulguée le 27 mars 2017) représente une nouvelle somme de contraintes et de nouveaux risques aux organisations, tant en termes de réputation que financiers. Ce fut en tous cas le postulat d'une partie du monde de l'entreprise lors de l'examen de la proposition de loi. Mais un examen attentif, ainsi que la prise en compte des nouveaux outils et technologies disponibles, doit permettre d'anticiper ce risque, et de le transformer en opportunité, avec en ligne de mire l'échéance du 1er janvier 2019, date à laquelle les acteurs concernés devront publier le premier rapport issu de leur plan vigilance.
Les achats, en première ligne, mais toute l'entreprise concernée
On comprend dès lors que si les achats, dans leur pratique métier, sont en première ligne au titre de la relation fournisseurs, ils ne sont pas les seuls à devoir agir : de la direction générale à la direction des ressources humaines, le devoir de vigilance implique toute l'entreprise. La responsabilité des achats est donc d'exercer leur maîtrise du processus achats, mais également d'être de véritables transmetteurs vis-à-vis des autres directions de l'entreprise. Cela remet en cause la culture de la verticalité qui subsiste encore dans les grands groupes.
Le cloisonnement des fonctions et des informations peut sinon représenter un risque indirect, au moins limiter l'efficacité du plan de vigilance. Cette fonction de transmission dont hérite la direction achats vaut également pour l'ensemble de la supply chain : les fournisseurs devront non seulement être en conformité par le plan de vigilance, mais leurs propres fournisseurs devront également l'être.
La plupart des grands groupes, déjà engagés par une somme conséquente de contraintes réglementaires, ont entamé la digitalisation de leur processus achats-factures très tôt. Ils peuvent exercer une action de centralisation et de contrôle, et la prévention du risque fait déjà partie du quotidien et de la stratégie achats. Mais pour des entreprises plus petites, ou pour les fournisseurs et sous-traitants, la mise en conformité et l'anticipation seront beaucoup plus complexes à mettre en oeuvre.
Comment construire un plan de vigilance complet, suivre les actions engagées et produire un rapport conforme aux exigences du législateur ? La digitalisation de la fonction achats est une réponse.
Exercer son devoir de vigilance et gagner en performance : quels outils et méthodes ?
Les multinationales sont confrontées à une complexité de leur structure organisationnelle et à la multiplicité de leurs partenaires commerciaux, répartis sur tous les continents, avec des systèmes législatifs, des cultures relatives aux droits humains et environnementaux pluriels et parfois radicalement opposés les uns aux autres. Derrière le casse-tête apparent se cache pourtant un avantage concurrentiel majeur pour les entreprises soumises au devoir de vigilance : la législation française est actuellement la plus avancée au monde en matière de RSE. Se mettre en conformité peut donc être un vecteur influent en matière d'accélération de l'activité commerciale en France comme à l'international.
Identifier, hiérarchiser et cartographier
Après l'inventaire du risque se pose la question de la collecte de la donnée, de son traitement et de son partage dans l'entreprise. Le digital représente un outil puissant dans cette optique. Disposer d'un SI achat performant est un incontournable, dans la mesure où il permet de collecter des données fournisseurs enrichies, de compléter ces données en s'appuyant sur les fournisseurs eux-mêmes et sur les collaborateurs impliqués dans le processus achats- factures. Il s'agit de ne retenir pour les enchères fournisseurs ou les appels d'offres que de futurs partenaires ayant eux-mêmes mis en place leur plan de vigilance, ou ouverts à évoluer dans le respect de conditions d'achat négociées selon les contraintes induites par la réglementation.
Un système SRM permet aux acheteurs d'engager une démarche de co-construction avec les fournisseurs et les sous-traitants. Dans la mesure où les PME n'ont pas toujours les moyens de prendre en compte toute la réglementation en vigueur, les équipes achats peuvent renforcer leur relation avec leurs interlocuteurs pour faire monter en compétence leurs fournisseurs et sous-traitants dans le respect des exigences RSE. La négociation qui résulte des mises en concurrence pourra intégrer ce nouveau paramètre et rentrer dans les critères de sélection.
Cette phase d'identification, de sélection et de cartographie impose une nouvelle façon de penser l'organisation en amont des achats. Au-delà de son rôle d'initiateur des bonnes pratiques achats, le rôle des achats dans la conformité est renforcé. Là encore, la coopération à travers le SRM doit tenir compte de la contrainte réglementaire et de la nécessité d'observance du cadre juridique. Le décloisonnement s'approfondit, et mettre en place un outil évolutif, simple dans son utilisation, permet de résoudre les problématiques posées.
Une cartographie précise permettra, au-delà du respect des obligations RSE inscrites dans la loi, de favoriser une sélection par anticipation. De même, la loi n'exige pas de ne plus travailler avec un fournisseur sanctionné, mais dans un esprit de prévention, la direction achats pourra s'imposer de changer de fournisseur si elle identifie ce type d'événement. L'accès à des données complètes, fiables et mises à jour, permet de relever le seuil de l'exigence vis-à-vis des fournisseurs et contribue à plus de performance in fine.
Une contrainte sur toute la vie du contrat : de l'importance du suivi et du reporting
L'une des particularités de la loi sur le devoir de vigilance est qu'elle dépasse largement le cadre de l'entreprise. Elle exige de revoir et de compléter le processus achats, et l'ensemble de la chaîne de validation. En outre, l'obligation de produire un rapport annuel et d'établir les preuves de la détention d'une information implique de pouvoir tracer toute la chaîne de valeur. Le SRM est un outil central de cette dynamique. Il doit être adapté et complété pour pouvoir retracer toute commande, montrer que le devoir de vigilance et l'anticipation ont été exercés, et générer des reportings facilement, selon des indicateurs pertinents. Autre bonne pratique attendue des équipes achats : la capacité à pratiquer des contrôles et audits fournisseurs de façon inopinée.
Grâce au digital et à l'utilisation d'un SI Achats, automatiser l'audit régulier de l'ensemble des fournisseurs se révèle simple et implique le fournisseur dans l'effort de mise en conformité. Avec de telles fonctionnalités, la direction achats peut à la fois satisfaire à ses obligations de contrôle, de système et notifications d'alerte, et à la mise en place d'actions correctives le cas échéant.
Ainsi, il ne s'agit ni plus ni moins que d'aller dans le sens de l'économie du XXIe siècle, en misant sur les technologies numériques et la capacité de rapidité, de fiabilité et de flexibilité qu'elles permettent. Dans un futur proche, la Blockchain ou l'Intelligence Artificielle permettront d'aller encore plus loin dans la précision des données, dans la traçabilité des processus et dans l'automatisation des tâches. Une perspective qui laisse entrevoir un rôle toujours plus stratégique de la fonction achats dans la dynamique de performance globale.
Par Sébastien Dumas , vp marketing & business developpement Synertrade France