Selon la dernière ordonnance, dans quelle mesure le juge peut-il intervenir en cas de prix considéré comme déconnecté de la réalité "économique" ?
Hugues Villey-Desmeserets, BCTG Avocats : L'ordonnance sur la lutte contre les prix abusivement bas a modifié en profondeur l'ancien article L.442-9 du code de commerce (devenu L.442-7), en élargissant les possibilités de recours du fournisseur de produits agricoles ou de denrées alimentaires d'engager des poursuites à l'encontre de son acheteur. L'ancienne rédaction de cet article réservait le recours aux seuls abus commis lors "de crise[s] conjoncturelle[s]", le rendant quasiment inapplicable dans les faits. L'ordonnance a supprimé cette condition, en ouvrant de facto le recours à tous les cas où des prix abusivement bas seraient constatés. Une très grande liberté est conférée au juge pour choisir les indices lui permettant d'apprécier le caractère éventuellement abusif d'un prix.
Il sera intéressant d'observer si les fournisseurs vont exercer ce nouveau recours. L'Autorité de la concurrence a en effet relevé sur ce point dans un avis n° 19-A-05 du 6 mars dernier que le risque de représailles de la part des acheteurs pourrait être de nature à limiter le nombre de recours, et donc la portée du contrôle du juge.
Limitation des promotions et seuil de revente à perte : l'assiette retenue de "CA prévisionnel" est-elle explicitée ? Comment appliquer le coefficient majorant pour certains produits ?
Hugues Villey-Desmeserets, BCTG Avocats ; L'ensemble des conventions commerciales conclues après l'entrée en vigueur de l'ordonnance portant sur des produits de grande consommation devront fixer le chiffre d'affaires prévisionnel (nouvel art. L. 441-4). En pratique, un chiffre d'affaires prévisionnel était souvent inclus dans les conventions annuelles. Le caractère désormais obligatoire découle de l'entrée en vigueur de certaines dispositions de la loi Egalim (ordonnance n°2018-1128 du 12 décembre 2018 relative au relèvement du seuil de revente à perte pour certains produits alimentaires et encadrement des promotions).
L'ordonnance du 25 avril dernier n'apporte toutefois aucune précision sur la détermination de ce chiffre d'affaires prévisionnel. Il conviendra donc de se reporter aux Lignes directrices sur l'encadrement des promotions publié par la DGCCRF le 5 février dernier, en attendant d'éventuels éclaircissements que pourrait par exemple apporter la CEPC sur ce point.
L'inclusion obligatoire d'un chiffre d'affaires prévisionnel devra être traité avec attention par les parties, car si l'atterrissage du chiffre d'affaires en fin d'année est éloigné du prévisionnel, il existe un risque soit que le CA prévisionnel convenu apparaisse comme issu d'une négociation déséquilibrée, soit que le distributeur trouve dans l'écart constaté un levier de négociation pour solliciter une compensation du CA non réalisée.
S'agissant du relèvement du SRP, l'ordonnance n'apporte aucune précision quant aux modalités d'application de ce dispositif qui, pour mémoire, ne s'applique qu'aux denrées alimentaires et aux produits destinés à l'alimentation des animaux de compagnie revendus en l'état au consommateur.
Lire aussi:
La loi EGalim à l'épreuve du terrain
Comment évaluer le préjudice économique en cas de rupture brutale d'un contrat de commerce ?
Contrôle par le juge du prix convenu dans les contrats commerciaux: le point avec un avocat
NEWSLETTER | Abonnez-vous pour recevoir nos meilleurs articles