Pourquoi la transition écologique entraîne-t-elle une augmentation de la consommation de métaux rares ? Cela paraît paradoxal...
La transition écologique, mais aussi la transition numérique et l'accroissement démographique ainsi que le développement de pays émergent augmente les besoins de tous les métaux.
L'augmentation de l'utilisation des métaux rares résulte de certains changements de consommation : ainsi, si les ventes de voiture électrique font diminuer l'utilisation de combustibles fossiles, elles font augmenter celle de batteries et de moteurs électriques et créent donc un besoin croissant de métaux rares. L'électricité pour faire avancer ces voitures peut venir de sources renouvelables comme des éoliennes ou des panneaux photovoltaïques, ce qui génère une immobilisation de métaux rares sur leur durée de vie.
"L'effet rebond" explique aussi l'augmentation de la consommation de métaux rares. Il s'agit d'une théorie selon laquelle une partie du gain énergétique réalisé par des progrès est perdue, car il y a une augmentation de la consommation en parallèle. On peut prendre l'exemple de la mise en place de trottinettes électriques partagées. Peu d'études existent sur le sujet et le Business Model de ces entreprises aura le temps de s'améliorer, cependant des premières recherches soulignent l'impact environnemental de la fabrication de ces trottinettes (notamment à cause des métaux), du rechargement (qui nécessite de les collecter avec un camion) et de leur courte durée de vie, sans parler du recyclage. De plus, les trottinettes électriques ont relativement peu remplacé les déplacements en voiture, mais plutôt la marche ou les transports en commun.
La problématique des besoins croissants en métaux rares prend racine dans un problème de société beaucoup plus vaste, nos habitudes de consommation. Il est nécessaire de repenser l'usage des biens de consommation. Pourquoi acheter une voiture électrique pesant plus de deux tonnes pour des déplacements du quotidien quand une Renault Zoé suffirait ?
C'est en soi une catastrophe puisque l'extraction des métaux rares est une plaie pour l'humain et l'environnement...
Les mines, surtout quand elles sont mal gérées, ont des impacts environnementaux terribles. Les différentes étapes nécessitent des produits chimiques qui ravagent les nappes phréatiques et l'extraction déforme durablement le paysage. Il est nécessaire que ces activités soient encadrées avec rigueur.
Dans notre imaginaire, les mines sont associées à la pollution, cela reflète bien la réalité, car l'extraction des métaux est une activité polluante et dévastatrice, tout comme l'utilisation de charbon, de pétrole ou de gaz.
Il faut quand même souligner qu'une voiture électrique, en France, sur l'ensemble de son cycle de vie, rejette beaucoup moins qu'une voiture thermique, essentiellement grâce à notre mix nucléarisé. Même en Allemagne, avec les centrales à charbon, la voiture électrique reste plus intéressante que la thermique, même si la différence est bien plus légère.
Pour aller vers des énergies renouvelables, comme l'éolien et le solaire nous aurons besoin de beaucoup de métaux, de base ou rares et donc de les extraire ou de les recycler quand c'est possible. Et, effectivement, il faudra beaucoup de vigilance et une réglementation stricte pour que cela ne se fasse pas au détriment de l'humain et de l'environnement.
Que préconisez-vous pour sortir de cette dépendance aux métaux rares... et à la Chine?
Je vois mal un retour en arrière, le monde est lancé dans une course au développement et au progrès technique et les métaux rares ont une place centrale.
Alors, comment réduire notre dépendance aux pays producteur ou transformateur de ces métaux ? Avant même de se pencher sur cette question, il convient de se demander qui est ce nous, s'agit-il de l'Europe ou de la France ?
L'idée, la plus classique serait de relancer les mines. Certains pays nordiques l'on fait, voire n'ont jamais arrêté. Ils promeuvent une notion de mine responsable, moins dommageable pour l'environnement. La mine possède un avantage indéniable, c'est un fantastique levier d'emploi et de progrès technique. En ce qui concerne la France, notre code minier n'a pas évolué, malgré de nombreuses promesses des différents gouvernements et tout projet se fait bloquer dès qu'une opposition locale se manifeste.
Le refus de la population locale de voir apparaître des projets miniers peut se comprendre en termes d'impact environnemental. La question sous-jacente est cependant, acceptons-nous de le faire autre part, tant que c'est loin de chez nous et que ça ne nous impact pas ? Pour ensuite consommer des produits fabriqués grâce à ces mines. On fait face à un problème de cohérence morale.
De plus, en France, il faudrait refaire la cartographie, car nous ne connaissons pas les sous-sols profonds. Entre le temps de les cartographier, de réaliser les études conceptuelles, de viabilité, de préfaisabilité et de faisabilité, de mettre en place le financement, d'obtenir les autorisations et enfin de produire et d'extraire les premières ressources, une vingtaine d'années peuvent passer. Et, in fine pour n'obtenir que certains métaux rares.
Dans notre cas, la réduction de cette dépendance aux métaux rares et à la Chine avec des ressources minières propres risque de ne jamais voir le jour.
Côté européen des projets importants de métaux rares existent en Suède ou au Groenland entre autres et des étapes clés doivent encore être franchies. Mais le spectre chinois est présent, avec des investissements dans les sociétés gérant ces projets. Parfois, on peut regretter notre manque de souveraineté.
Dans un environnement mondial tendu, en rupture avec de nouveaux acteurs prenant des positions dominantes, il faudrait que l'Europe se recentre autour d'une souveraineté régionale et fasse preuve de protectionnisme.
Vous préconisez le recyclage : pourquoi n'est-il pas exploité aujourd'hui? Et s'il l'était, suffirait-il à alimenter la demande qui ne cesse d'augmenter ?
Je ne préconise pas le recyclage en soi comme une action isolée, mais comme un des axes d'une stratégie globale. En effet, le recyclage pose selon moi plusieurs problèmes. Tout d'abord, recycler a toujours un coût. Théoriquement, tout est recyclable, mais ce coût, qu'il soit économique ou environnemental est parfois prohibitif. Dans ces conditions, il vaut mieux prévenir que guérir, en l'occurrence, il faut d'abord utiliser le moins de ces métaux rares. Pour cela il existe :
- Le Life Cycle Assesment, qui permet de comptabiliser l'ensemble des impacts d'un produit sur la totalité de sa durée de vie, "from cradle to grave", du berceau à la tombe pour les anglais.
- L'écoconception (éco-design), qui consiste à développer un produit réduisant l'ensemble de ses impacts environnementaux et en définissant déjà la manière de le valoriser en fin de vie. (Réutilisation, réemploi, recyclage). En pensant le produit dès sa conception, il est alors possible de récupérer bien plus de matière qu'avec "seulement" un recyclage en fin de vie. Apple a présenté il y a quelques années un robot nommé Daisy, lui permettant de recycler ses smartphones et d'en retirer tous types de métaux et matériaux. En plus, la firme de Cupertino a annoncé pour son iPhone 12 que l'ensemble des aimants permanents étaient recyclés. Coup de génie ou de communication, je ne sais pas, mais la mise en place d'un système d'écoconception favorisant le recyclage est un travail compliqué, qui prendra des décennies avant d'être étendu à la majorité des produits.
Autre problème posé par le recyclage : il est très difficile d'organiser la filière de métaux rares à cause de l'inélasticité de leur offre. Les métaux que l'on recycle actuellement sont ceux présents en grande quantité comme le cuivre ou le nickel qui sont des métaux de base, ou ceux ayant une valeur économique importante, comme le platine, l'argent ou l'or. Les autres sont trop compliqués à recycler ou/et ne rapportent pas suffisamment.
Parmi les métaux laissés de côté, on retrouve beaucoup de métaux rares. Si demain nous recyclons la majorité de notre cuivre, de notre zinc et de notre nickel, le nombre de mines diminuera. Les métaux rares qui se trouvent dans le zinc, le nickel, et le cuivre ne seront pas recyclés et ne seront plus produits. Leur valeur augmentera. Mais comme des métaux rares comme l'indium représentent une faible teneur des gisements de zinc, une augmentation des prix ne suffira pas à remettre en production les mines de zinc.
Une autre limite est l'usage dispersif des métaux lorsqu'ils sont incorporés dans des produits chimiques et dans des biens du quotidien (on peut aussi s'interroger sur l'échelle nano dans la micro-électronique). L'utilisation de ces métaux représente une perte sèche, car il est impossible de le récupérer une fois les produits utilisés.
Enfin, le recyclage des alliages peut se révéler d'une extrême complexité.
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