Achats publics : les clés d'une bonne externalisation
Si l'externalisation est une pratique coeur de métier de la commande publique, celle-ci requiert une mise en oeuvre rigoureuse avec une juste définition du besoin en amont. Quelles sont les bonnes pratiques ? Et quels sont les points de vigilance ? Éléments de réponses.
Je m'abonneL'affaire des faux PV de stationnement (appelés désormais " forfaits post-stationnement " ou " FPS " ) réalisés par la société Streeteo, filiale d'Indigo pour le compte de la mairie de Paris, vient de démontrer à quel point l'externalisation d'un service public et/ou d'un achat public peut être délicat. Pour rappel, depuis le 1er janvier 2018, la ville de Paris avait décidé d'externaliser le contrôle du stationnement payant auprès de deux prestataires : Streeteo et Moovia. Afin de parvenir aux objectifs fixés par la mairie, la société Streeteo avait usé d'un stratagème pour réaliser de fausses inspections et gonfler ainsi ses chiffres.
D'après un communiqué de la mairie de Paris, mi-février, celle-ci a rappelé Streeteo à ses obligations, " en raison de soupçons portant sur la réalité des contrôles effectués sur le terrain " . La situation serait rentrée dans l'ordre depuis le 22 février suite à une enquête interne diligentée par Streeteo qui a évoqué " un dysfonctionnement " . Selon les informations du Canard Enchaîné , la société aurait écopé d'une pénalité de 60 000 euros sur un marché qui coûterait 6 millions d'euros par an à la municipalité parisienne.
Externaliser pour se concentrer sur des tâches à plus forte valeur ajoutée
Externaliser une partie de sa fonction achats répond à plusieurs critères et/ou motivations. La première est liée à une opportunité : celle de rechercher en externe des ressources compétentes pour permettre à ses équipes achats et ses agents en interne de se recentrer sur des tâches à plus forte valeur ajoutée. " Il peut y avoir un coût d'opportunité ou de renoncement à investir ses acheteurs sur tous les achats et à toutes les étapes du processus ", explique Arnaud Salomon, directeur associé au sein du cabinet de conseil CKS Public. Ensuite, l'externalisation peut être une réponse en cas d'accroissement de l'activité et d'insuffisance de ressources internes. Enfin, il est aussi possible d'externaliser parce qu'on ne possède pas les compétences achats en interne. " Ainsi, on voit certains acheteurs publics recourir à une assistance à maîtrise d'ouvrage pour passer leurs marchés d'assurances ", illustre Arnaud Salomon. Certaines collectivités font preuve d'audace, à l'image de la ville d'Issy-les-Moulineaux qui avait été une des premières municipalités dès 2006 à tester l'externalisation de la fonction ressources humaines en confiant à une SSII ses tâches administratives (gestion de paie, ...).
Un juste dosage entre risques et opportunités
À peu près toutes les fonctions d'une collectivité peuvent être externalisées, " les questions essentielles sont celles de l'opportunité et du degré d'externalisation ", explique Arnaud Salomon, associé au sein du cabinet de conseil CKS Public. Ainsi, les achats dits de classe C ou génériques (fournitures industrielles, fournitures de bureau...) sont plus facilement externalisables. Ces achats sont souvent très fragmentés sur un nombre important de familles d'achats (produits et services) et coûteux en gestion administrative.
Lire aussi : Compliance et achats responsables - Comment naviguer entre réglementation et création de valeur ?
Selon le cabinet Epsa, spécialisé en externalisation des achats indirects et qui travaille notamment avec le Grand Paris, les autres avantages sont d'ordre comptable, car cela ne rentre pas dans les mêmes comptes de charges ; concurrentiel, car cela permet de se concentrer sur les achats stratégiques, mais cela apporte également plus de flexibilité en permettant une réduction du panel fournisseurs. " Plus la fonction est au coeur des compétences de l'administration, moins l'externalisation semble opportune ". Il s'agit donc d'apprécier les opportunités, mais aussi les risques pour mener à bien un projet d'externalisation. " Ainsi, les services à l'occupant (accueil, restauration, ...) ou d'autres fonctions périphériques sont fréquemment externalisés bien qu'ils puissent avoir un impact sur l'usager ", détaille Arnaud Salomon. Afin de mettre toutes les chances de son côté pour réussir un projet d'externalisation, il convient d'identifier au mieux le besoin. Un état des lieux préalable des besoins qui permet ensuite de bien négocier son contrat avec son prestataire.
Lire la suite en page 2 : des clauses de réversibilité et des indicateurs de performance
Des clauses de réversibilité pour assurer la continuité du service
Il convient de pouvoir mesurer ce que l'externalisation rapporte, ce qu'elle permet d'économiser et ce en quoi elle crée de la valeur pour les usagers. Enfin, plus on externalise, plus on doit être attentif à la " réversibilité " de la chose. " On ne laisse pas les clés du camion, a fortiori si on est susceptible de perdre la main ", insiste Arnaud Salomon. Il faut sécuriser des clauses contractuelles de transférabilité vers un autre prestataire, et de réversibilité vers ses propres services en cas de souhait de ré-internaliser. Il faut muscler le pilotage en interne, voire conserver des capacités opérationnelles. Par exemple, dans le cas d'une prestation de maintenance technique des bâtiments, il peut être judicieux de garder quelques ressources en régie pour " challenger " les choix du prestataire. Le pilotage de l'externalisation est crucial : " Il est essentiel de bien placer le curseur entre ce qui doit rester de la prérogative de l'administration et ce qui peut être confié à un prestataire ".
Des indicateurs de performance
Autre clef de succès d'un tel projet : la mise en oeuvre d'un véritable suivi d'exécution du marché. Le contrat doit prévoir une mesure régulière d'indicateurs de niveau de service. On distingue les I2C (indices de conformité contractuelle) et les I2P (indices de progrès permanent). Les I2C sont souvent accompagnés de bonus et /ou de pénalités. Les I2P participent d'une volonté d'amélioration continue du service fourni, nonobstant les obligations contractuelles. " À titre d'exemple, pour des marchés de restauration de quatre ans et plus, on peut mesurer de façon régulière jusqu'à 100 indicateurs différents en back-office et front-office ", souligne Arnaud Salomon. Pour certains marchés de restauration, le cabinet CKS mandate son prestataire OCM qui réalise des " visites mystères " et mesure tous ces points de contrôles. Même si au final, l'externalisation des achats peut apparaître comme témoignant de la maturité de l'achat public et de la professionnalisation du métier, on est en droit de se poser la question de savoir si externaliser les achats auprès d'un opérateur peut donner l'impression à certains acteurs publics d'être dépossédés d'une partie de leur liberté d'action et de leur pouvoir de décision.
La ville de Blagnac, proche de Toulouse, a opté pour une DSP ou délégation de service public par affermage pour la gestion et l'exploitation d'une de ses crèches municipales en septembre 2015. L'exploitation de cette crèche de 66 berceaux a été confiée à l'entreprise " Les Petits Chaperons Rouges Collectivités " pour une durée de 4,5 ans, à compter du 1er janvier 2016. " Ce choix est lié à une décision politique de diversification des modes de gestion, mais également en raison d'une problématique de personnel, cette nouvelle crèche représentant 25 emplois supplémentaires ", explique Quentin Dor, directeur de la commande publique de la ville de Blagnac [photo ci-contre].
Ce choix d'un DSP fut une première. Le reste des 6 crèches et haltes-garderies municipales de cette ville de près de 24 000 habitants étant directement gérées par la ville elle-même. " La tradition veut que nous gardions en régie l'ensemble de nos équipements. Ainsi, nous avons notre propre patinoire, notre propre salle de spectacle, notre propre cinéma, etc.", souligne le directeur de la commande publique. Les élus ont pris le temps d'expliquer les raisons de ce changement pour rassurer les usagers. De leur côté, les fonctionnaires travaillant pour la municipalité n'ont pas vu de grand changement étant donné qu'il s'agissait d'un nouveau service ne nécessitant pas de transfert ou de reprise de personnel. " Notre préoccupation était de démontrer qu'il n'y avait pas de différence de qualité de service entre nos crèches municipales et cette crèche gérée par les petits chaperons rouges. De plus, il s'agit d'une décision politique et non pas d'un choix dicté par une volonté de faire des économies. Il ne s'agit pas de prêter le flanc à la critique qui pourrait nous accuser de détricoter le service public sur un sujet aussi sensible que la petite enfance ", détaille Quentin Dor.
Lire aussi : [Marchés publics] : Comment les collectivités locales font face à l'urgence d'agir durablement ?
Des visites régulières sur site
Parmi les nombreux indicateurs du plan de suivi du prestataire figurent notamment ceux du taux d'occupation de l'établissement et du taux de facturation. Des indicateurs obligatoires demandés par la caisse d'allocations familiales. " Mais nous rentrons aussi dans nos critères l'absentésime, le turn-over des salariés de la crèche ou encore les partenariats établis par celle-ci avec d'autres lieux de vie comme la ludothèque ou la médiathèque. C'est une façon de savoir si la crèche est bien implantée dans la ville.Nous suivons également de très près le respect du projet pédagogique, et les achats qu'il induit ", résume le directeur de la commande publique.
En plus de ces critères de suivi, un rapport annuel de près de 150 pages est rédigé et des visites régulières sur site sont réalisées par la responsable petite enfance. Enfin, comme dans tout contrat, des pénalités peuvent être administrées en cas de certains manquements ou obligations graves comme par exemple, sur la continuité, ou la qualité du service, ou encore le taux d'encadrement des enfants. " On ne peut pas imaginer qu'il n'y ait pas suffisamment de professionnels pour accueillir les enfants ", conclut Quentin Dor.
"Externaliser, c'est notre travail"
Sur un autre sujet, celui de l'entretien des sols de sa piscine et de sa patinoire, la ville de Blagnac a également choisi l'externalisation depuis de nombreuses années déjà. La raison ? " Nous n'avions pas les compétences professionnelles spécifiques ni les effectifs suffisants en interne pour faire face à la surcharge ponctuelle de occasionnée par la pleine saison d'exploitation de ces équipements ", souligne le directeur de la commande publique. Sur la question de la réversibilité et/ou transférabilité, le directeur de la commande publique estime que cela n'a d'intérêt que s'il y besoin de transmettre des informations pour reprendre la main ou en cas de reprise de personnel et ainsi s'assurer qu'il n' y a pas d'interruption de service. " C'est pourquoi nous avons essentiellement ce type de clause pour des contrats avec nos prestataires IT". A titre d'exemple, dans le contrat de DSP avec la crèche les petits chaperons rouges, les clauses de réversibilité concernent les informations relatives aux familles, ainsi que la question des biens de reprise et retour. " Au final, la contribution des acheteurs publics est de donner de la visibilité aux élus sur ce qu'il est mieux de faire : garder la prestation en régie ou aller vers de l'externalisation. Mais en fin de compte, externaliser c'est notre travail ".