Quel avenir pour les classes affaires?
Dans la perspective d'optimiser le budget déplacements de leur entreprise, de nombreuses directions achats ont progressivement limité la possibilité accordée aux collaborateurs d'effectuer leurs réservations en classe affaires. Ces dernières vont-elles disparaître des politiques voyages? Pas si sûr...
Je m'abonneComme son nom l'indique, la classe affaires est plus particulièrement des tinée à une clientèle professionnelle. Mais depuis quelques années, cette der nière se retrouve plutôt assise en classe... économique! De plus en plus d'entrepri ses cherchent, en effet, à réduire leur bud get voyages. Et la suppression des classes affaires au profit des classes «éco» repré sente un levier évident pour toute direction achats. «La classe affaires est deux fois plus chère que la classe économique, reconnaît Jérôme Salemi, chef de marché affaires à la direction commerciale d'Air France. Par exemple, un aller-retour Paris/ New York est de 7213euros TTC en affaires, contre 3062 euros TTC en «éco».» Dans ces conditions, la classe «éco» est devenue la règle dans de nombreuses entre prises, la classe affai res l'exception. En outre, le développe ment des outils de réservation en ligne («self booking tools») a permis aux travel managers de renfor cer les contrôles. «Depuis l'arrivée de l'informatique, les directions achats sont beaucoup plus vigilantes», relève ainsi Béatrice de Rotalier, directrice commer ciale France chez Delta Air Lines.
LAURENT PATERNAULT, responsable des achats généraux, Somfy
Témoignage
«Nous privilégions le confort de nos collaborateurs»
En France, le budget voyages du groupe Somfy est d'environ 2 millions d'euros par an. Environ 400 collaborateurs se déplacent régulièrement dans le cadre de leur activité profes sionnelle. Lorsqu'il prend la responsabilité des achats généraux de l'entreprise en 2005, Laurent Paternault constate qu'il n'existe pas de politique voyages clairement définie. «L'organisation des déplacements restait à la discrétion des managers», indique le responsable des achats généraux. Laurent Paternault décide donc de réaliser un audit des dépenses de voyages, avec l'aide du cabinet de conseil Epsa Groupe. Résultat, sur les vols long courrier, 65% des réservations sont effectuées en classes affaires. Pour I'entreprise, le surcoût représente 150000 euros par an, sur la base a un ratio ae z,o entre la classe affaires et la classe économique. Une politique voyages est alors définie. L'utilisation des miles pour «surclasser» les voyageurs est, pendant un temps, évoquée. Au final, la direction générale décide de maintenir la classe affaires, mais uniquement sur les vols de plus de six heures et avec l'accord du responsable du budget voyages. «Le groupe Somfy a décidé de continuer de privilégier le confort de ses salariés,pour une meilleure efficacité sur leur lieu de séjour», conclut avec une certaine satisfaction Laurent Paternault.
Somfy
ACTIVITE: Automatismes et motorisations pour volets roulants.
CHIFFRE D'AFFAIRES MONDE: 655,2 millions d'euros (2006).
EFFECTIFS MONDE: 4300 collaborateurs.
Marc Rochet, L'Avion
«Les réservations en classes affaires vont continuer de se développer sur le long courrier, mais pas à n'importe quel prix.»
Une demande soutenue sur les vols long courrier
Le phénomène n'est pas nouveau mais suscite toujours autant de polémiques. «Il y a trois, quatre ans, nous avons senti une réelle volonté d'imposer la classe économique, affirme Jérôme Salemi (Air France). Toutefois, nous avons pu constater depuis qu'il existait une pression assez forte en interne pour maintenir les classes affaires.» En effet, certains colla borateurs ne souhaitent pas être privés de ce qu'ils considèrent comme un avantage lié à leur fonction. Les politiques de réduction des coûts en ont décidé autrement. Aujourd'hui, la plupart des entreprises prescrivent la classe «éco» pour les vols inférieurs à quatre heures en général. Les directions achats ont également souhaité s'attaquer aux vols long courrier. Parmi les solutions proposées, les voyageurs peuvent «se surclasser» en utilisant les points de fidélité acquis dans le cadre de leurs déplacements professionnels (cf. Décision Achats n°105). D'autres entreprises autorisent les réservations en classe affaires mais, pour limiter le coût total du voyage, les nuitées sur place ne doivent pas excéder, par exemple, 48 heures.
Dès lors, les classes affaires sont-elles vouées à disparaître des politiques voyages des entreprises? Pas vraiment, selon les compagnies aériennes. «Il existe encore une forte demande et le taux de remplissage de nos classes affaires est excellent, indique Jérôme Salemi (Air France). S'il est vrai que la plupart des collaborateurs se déplacent désormais en classe «éco»,les entreprises autorisent leurs grands voyageurs à opter pour la classe affaires.» Même son de cloche chez Delta Air Lines: «Notre clientèle, sur ce segment, est en augmentation, renchérit Béatrice de Rotalier. La classe affaires reste privilégiée pour les vols long courrier.» Les transatlantiques sont principalement concernés, ainsi que les déplacements en Asie (Chine, Japon, etc.). A titre d'exemple, un aller Paris/ Hong Kong dure onze heures, le retour plus de douze. «Sur ce genre de vols, les entreprises ne cherchent pas à réaliser des économies, intervient Nick Pendred, directeur commercial et marketing de Cathay Pacific France. Elles veulent des résultats et sont prêtes à payer le prix pour que leurs collaborateurs soient dans les meilleures dispositions, et ce malgré les heures de vol et le décalage horaire. Nous avons même maintenu la première classe !»
En contrepartie, les directions achats attendent un maximum de servi ces pour leurs collaborateurs. Les com pagnies aériennes se livrent une guerre sans merci pour fidéliser les entreprises. «Les horaires et les fréquences des vols sont des critères fondamentaux», précise Jérôme Salemi (Air France). Par ailleurs, les voyageurs veulent passer le moins de temps possible à l'aéroport. «C'est pourquoi nous leur proposons, entre autres, des comptoirs dédiés pour éviter les files d'attentes. Leurs bagages sont également restitués en priorité. Enfin, ils ont accès à des espaces privatifs qui leur per mettent de travailler en attendant leur vol.»
Dans les cabines, le critère numéro un est le confort des passagers. «Les voyageurs d'affaires ne travaillent pas énormément durant les vols long courrier, atteste Nick Pendred (Cathay Pacific). Ils essayent sur tout de lutter contre le décalage horaire et d'être en forme pour le lendemain.» Siège inclinable à 180°, écran individuel, divertissements, menu gastronomique, etc. Rien n'est laissé au hasard. «Les services à bord s'améliorent, même si on n'en est pas encore au massage et au pyjama dans l'avion!», plaisante Béatrice de Rotelier (Delta Air Lines).
Témoignage
«Les vols en classe affaires ne représentent que 7% de notre budget aérien»
ARNAUD LAMBERT, acheteur en charge des frais de déplacements, Altran Technologies
Alors que le groupe Altran réfléchit actuellement à la définition de nouvelles règles de déplacements pour les 8000 collaborateurs de son entité française, la question du maintien ou non des classes affaires dans la politique voyages de l'entreprise est revenue sur le devant de la scène. Aujourd'hui, les réservations en classes affaires sont autorisées, mais à deux conditions: la durée du vol doit être supérieure à 4 heures et le séjour ne doit pas excéder 48 heures. Dans le cas contraire, le déplacement s'effectue en classe économique. « Cette politique, relativement contraignante mais soutenue par la direction générale de l'entreprise, est rentrée dans les moeurs, affirme Arnaud Lambert, acheteur en charge des frais de déplacements. Nous n'avons donc pas l'intention de supprimer ces règles, d'autant que les classes éco sont de plus en plus confortables et que les compagnies proposent davantage de services.» Ainsi, les réservations en classes affaires ne représentent que 7% du budget aérien de l'entreprise, soit 210 000 euros par an. Dans la pratique, les collaborateurs peuvent néanmoins réserver un vol en business s'il trouve un billet équivalent au tarif éco.«Les compagnies proposent des gammes tarifaires extrêmement larges et, sur certaines destinations, via des correspondances, le prix du billet en classe affaires est moins cher qu'une réservation en classe éco sur un vol direct»,explique Arnaud Lambert. A noter que ces règles de déplacements ne s'appliquent pas au rail. En effet, une disposition de la convention collective permet aux salariés de l'entreprise de réserver leur billet de train en première classe, quelle que soit la destination.
Altran Technologies
ACTIVITE: Société de conseil.
CHIFFRE D'AFFAIRES: 1,49 milliard d'euros (2006)
EFFECTIFS: 17 000 collaborateurs.
L'arrivée de compagnies lowcost
En outre, l'apparition de compagnies à bas coût («low cost»), proposant uni quement des classes affaires, pourrait favoriser le retour en force des business class dans les politiques voyages des entreprises. Ce marché («ail premium long hall» en anglais) se développe principale ment dans les pays anglo-saxons où trois compagnies (Midjet, Eos Airlines et Silver Jet, NDLR) proposent des vols à des prix défiants toute concurrence entre les Etats- Unis et l'Angleterre. En France, l'arrivée de l'Avion, qui relie Paris à New York, n'est pas passée inaperçue. L'aller-retour y est deux fois moins cher que sur les com pagnies traditionnelles (1 275 euros TTC cet été). Et le succès semble au rendez- vous. «Notre taux de remplissage est de 75%, dont 55%appartiennent à la clientèle affaires, se réjouit Marc Rochet, président du directoire de L'Avion. Nous avons réussi a décrocher des clients grands comptes dès la première année. Notre message est très clair: «Voyager 40% moins cher». Même si ce dernier ne s'attendait pas à un pareil décollage, ce suc cès ne doit rien au hasard. «Nous avions constaté que le contrôle des coûts était de plus en plus strict dans les entreprises. C'est normal, les directions achats font leur boulot», commente-t-il avant de prédire: «Les réservations en classe affaires vont continuer de se développer sur le long courrier car la notion de confort reste importante... Mais pas à n'importe quel prix!» Les travel managers ne le démentiront pas.
Jérôme Salemi, Air France
«Si les collaborateurs voyagent plutôt en classe «éco», les grands voyageurs restent autorisés à se déplacer en classe affaires,»