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Les achats, acteurs dans les écosystèmes d'innovation ?

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Les achats, acteurs dans les écosystèmes d'innovation ?

La finalité des écosystèmes d'innovation est de faire travailler ensemble les acteurs de la recherche publique et privée pour un meilleur développement du savoir. Quelle place et quel rôle peut y trouver la fonction achats au sein des entreprises à forte composante technologique comme Safran?

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Aujourd'hui, pour l'ensemble des pays de l'OCDE, la capacité à accélérer les processus de transfert de technologies est devenue majeure, identifiée comme seul moyen de développement du savoir, source d'innovations, de création de valeurs, de croissance et d'emplois. Derrière cette finalité, le succès de la démarche repose aussi sur des femmes et des hommes. Elle fait appel au concept du "capital social" issu de la sociologie. Appliqué à l'entreprise, il pose l'hypothèse que la qualité des relations entre les acteurs d'une même entreprise, et leur capacité à se connecter entre eux et à l'environnement extérieur, est source de développement de son "capital économique". Ce concept constitue un des piliers de la démarche dite d'"open innovation".

Qu'est-ce que le "capital social"?

La notion de "capital social" est issue des sciences sociales. Les sociologues s'y intéressent tout particulièrement pour analyser et comprendre les relations entre des individus, dans le processus de création de groupes sociaux ou encore de réseaux. P. Bourdieu, J. Coleman, R. Putman, N. Lin, M. Granovetter ou encore R.S. Burt sont reconnus comme les auteurs de référence. Initialement focalisé sur les principes d'appartenance à un groupe, utile à des individus, le concept a été associé dans les années quatre-vingt à celui de la mise en réseau et à la notion de "noeuds" et de "liens" forts ou faibles. Les fondements du capital social sont la confiance et la réciprocité. Avec l'émergence de l'innovation et des réseaux sociaux, sont apparus les liens entre capital social et capital économique d'un individu...

Construire sa stratégie d'accès aux écosystèmes

C'est le cas notamment chez Safran, qui développe des produits à très fort contenu technologique. Un centre dédié à la recherche et technologie (R&T) amont du groupe, situé sur le plateau de Paris-Saclay a été inauguré début 2015. Il contribue fortement à la multiplication des collaborations et partenariats avec le monde académique ou privé, par exemple avec le CEA, les instituts Carnot, les IRT ou encore avec Valeo ou PSA... Pour autant, dans la continuité de la transformation du Système national d'innovation (SNI) français et de transfert de l'innovation vers les entreprises, il y a une logique à construire une approche structurée des écosystèmes. En lien avec le concept du capital social, détecter des fournisseurs ou start-up innovants, parfois "peu visibles" est un enjeu. Se pose ainsi la question de la capacité des grands groupes à détecter, puis intégrer des ETI, PME ou des start-up. La fonction achats doit pouvoir y trouver une place. Cette connexion de "petits mondes" constitue le quotidien de l'acheteur au sein de son entreprise. La fonction achats a donc toute sa légitimité dans cet écosystème d'innovation. Elle est une fonction légitime pour développer le concept de "capital social" qui, demain, sera source de "capital économique" pour l'entreprise. Soit une fonction de mise en réseau afin d'écrire de belles histoires collectives.

Lire la suite en page 2: Émergence d'une nouvelle fonction achats

Émergence d'une nouvelle fonction achats

En effet, à l'exemple des pôles de compétitivité, certains écosystèmes sont donc des relais importants et lieux d'échanges, de brainstorming ou de montage de projets collaboratifs ouverts à des entreprises de toute taille. Ces instances sont encore fortement réservées aux représentants des R&D, R&T et marketing produits ou stratégiques. Pour autant, la place des acheteurs y est tout à fait légitime, mais pose aussi quelques conditions, voire un changement de paradigmes.

Première chose, il est nécessaire de connaître le SNI, les écosystèmes et les principes des projets collaboratifs (ex : Fonds unique interministériel). Cela passe par la compréhension de la dynamique de création des spin-off et des start-up, de la démarche entrepreneuriale, qui fait évoluer les types d'échanges. Mais aussi la nécessité de développer plus de proximité et d'adopter des approches plus collaboratives et adaptées avec des fournisseurs de petites tailles. Il faut également une intégration plus en amont de ces acheteurs, dans les domaines stratégiques ou technologiques de l'entreprise. Les premiers clients d'un acheteur sont internes : ils définissent le besoin. Cet axe ne change pas. Il est primordial que chaque métier puisse faire un pas vers l'autre et accepter de travailler ensemble autrement. Ce point pose l'acceptation de l'évolution du positionnement de la fonction achats dans la chaîne de la valeur des métiers en charge de la R&T ou de l'innovation.

Enfin, il faut une évolution des pratiques de l'acheteur et l'acceptation d'un nouveau principe de réciprocité avec les fournisseurs, sur des dimensions telles que le partage d'informations confidentielles, la confiance, l'engagement et la prise de risque potentielle. Voire celui de rentrer dans un processus de dépendance par le choix d'un fournisseur unique. Mais aussi d'accompagnement dans le processus de référencement et de contractualisation. C'est ce dernier point qui est essentiel et justifie que cette mission puisse être portée par les achats. Avec son intégration dans les équipes R&T, l'acheteur apporte une dimension économique, business et contractuelle à la relation, nécessaire, même en phase amont de travaux R&T. L'acheteur peut aussi évaluer, de façon complémentaire, la pertinence de l'offre par la connaissance de son propre écosystème des fournisseurs...

L'humain et le savoir-être deviennent plus que jamais des composantes majeures pour ce type de métier. Paradoxalement, la clé de cette fonction, non encore clairement définie, sera de pouvoir autant influencer les clients internes que de développer des nouvelles relations avec des fournisseurs. Un autre point déterminant sera aussi sa capacité à faire évoluer et porter un nouveau modèle d'achats au sein même de sa direction, plus habituée à la mesure de la performance des fournisseurs. (Ex : on time delivery, qualité ou productivité), ou la réduction du nombre de fournisseurs...

Lire la suite en page 3: Détecter et accompagner l'innovation

Détecter et accompagner l'innovation

Les entreprises doivent donc se structurer pour construire leur propre écosystème d'innovation. D'une part, pour aller chercher et capter les meilleurs chercheurs et universités ; mais aussi les entreprises innovantes qui se rendent visibles à travers les écosystèmes d'innovation mis à leur disposition.

La première action est celle de la détection. Un exemple de réalisation en 2016 pour Safran a été l'organisation d'une journée open innovation avec le pôle de compétitivité Minalogic basé à Grenoble, sur la thématique des "systèmes électroniques embarqués". Reconnue comme un succès pour les participants et adhérents de Minalogic, elle a été le résultat de deux mois de préparation entre les managers R&T de Safran Electronics & Defense et les directeurs techniques de Minalogic. C'est ce qui a fait la force de cet événement. Une expression des besoins analysée et claire de la part de Safran qui a permis des prises de contact pertinentes, complétée par la diversité des représentants Safran. Sur 30 entreprises, 12 ont pu être sélectionnées, et six collaborations sont engagées, ce qui présente un ratio particulièrement satisfaisant.

Une autre mission est l'accompagnement du fournisseur dans le processus de référencement. Une autre illustration est celle de l'intégration de la start-up Krono-Safe (société d'informatique spécialisée dans les logiciels critiques embarqués, créée en 2012 par des chercheurs du CEA et hébergée chez Incub'Alliance, l'incubateur de Saclay). Safran Electronics & Defense travaille et finance la montée en maturité de la technologie depuis 2013, avec l'aide d'une équipe dédiée et agile pour développer les PoCs (Proof of concept). Le coeur de la relation s'est construit autour de la technologie, avec un objectif affirmé de créer de la proximité, de la confiance entre les équipes des deux entreprises. Le processus achats s'est adapté au rythme de la montée en maturité technologique. Plusieurs mois ont été nécessaires pour déterminer et valider le business model de Krono-Safe. Le processus de référencement et de contractualisation n'a été, par exemple enclenché que depuis mi-2016 pour introduire et accompagner une gestion documentaire et contractuelle qui aurait été inadaptée au lancement de la relation avec une start-up.

Quel enjeu et avenir pour cette fonction?

Il ne fait aucun doute que l'économie de la connaissance est devenue un enjeu majeur. Les objectifs des systèmes nationaux d'innovation sont à la fois de favoriser l'accroissement des connaissances, la valorisation des résultats de la recherche et leur diffusion vers les entreprises. Le foisonnement des écosystèmes, des dispositifs et des institutions rend l'action de détection complexe mais nécessaire.

Pour autant, l'enjeu pour un grand groupe reste sa capacité à pouvoir intégrer le savoir-faire, une nouvelle technologie issue d'une start-up, voire d'influencer ses roadmaps qui peuvent s'inscrire sur des temps de cycle particulièrement longs. La pertinence de la détection est un élément-clé, faute de devoir multiplier des demandes d'évaluation sans succès, et de tarir l'envie du réseau R&T à le faire. L'étape de sélection franchie, c'est l'identification de PoC, de démonstrateurs ou de cas d'emploi qui peut se révéler difficile. La question de la contractualisation, des enjeux de la propriété intellectuelle sont autant de difficultés supplémentaires.

L'exercice d'intégration de nouveaux fournisseurs n'est jamais facile. Appliqué au domaine de la R&T, il est particulièrement complexe. Pour autant, être au coeur des écosystèmes d'innovation et avoir une capacité de détection des start-up innovantes est une nécessité. À l'image de la transformation du Système national d'innovation français, et du développement des SNI mondiaux. C'est aussi nos pratiques d'introduction de l'innovation dans les entreprises qui évoluent, par l'émergence de l'open innovation. Et avec elle, les pratiques de la fonction achats, par la prise en compte de ces nouvelles composantes.

L'auteur

Marc Saulnier, directeur des achats de Safran Electronics, a fait le choix de créer la fonction achats R&T et innovation chez Safran Electronics & Defense, en 2014. Il s'intéresse depuis aux processus d'innovation associés aux écosystèmes. Il est l'auteur d'un mémoire professionnel intitulé "La valeur ajoutée des achats dans l'écosystème d'innovation de Safran " et se spécialise sur l'intégration des start-up dans les grands groupes. Il est intervenant et formateur sur ces thèmes.

 
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