La géopolitique : un nouveau champ de compétences pour l'acheteur
La sécurité des approvisionnements devient un enjeu parfois plus essentiel que le prix pour l'acheteur. Il importe, en vue de garantir cette dernière, d'intégrer les fondements géopolitiques des marchés visés. C'est un des éléments permettant, en effet, de juger de la pertinence du business model des fournisseurs.
A l’heure où le marketing achat se diffuse, sous des formes certes diverses, dans de nombreuses entreprises et où les acheteurs acquièrent une légitimité nouvelle sur des sujets dépassant de loin la simple négociation, l’analyse des marchés fournisseurs demeure réalisée à partir d’outils relativement anciens. La plupart datent des années 1980 et n’ont pas été spécifiquement conçus pour les besoins actuels. C’est en effet le modèle d’analyse des forces concurrentielles de Porter qui reste largement mobilisé. A l’intérieur de ce dernier, les stratégies des fournisseurs sont encore appréhendées en référence aux trois grandes stratégies définies par le même Porter : domination par les coûts, différenciation ou concentration. Force est pourtant de reconnaître l’émergence de stratégies nouvelles fondées notamment sur la coopération ou même la coopétition entre fournisseurs. Le modèle du cycle de vie du marché, utilisé pour situer la maturité du marché fournisseurs n’est ni plus récent, ni mieux adapté aux besoins nouveaux. La fameuse matrice de concentration fait, elle, appel à des notions déjà largement développées au début du siècle dernier concernant la structure des marchés (oligopole, oligopsone…).
Si ces outils ont le grand mérite de fournir une vision relativement bonne et claire des caractéristiques économiques du marché fournisseur, les besoins actuels dépassent la vision purement économique. Sur de nombreux marchés, la préoccupation principale actuelle concerne moins le prix que la sécurité des approvisionnements. A partir du moment où les matières premières achetées le sont à l’étranger, que ce soit pour des raisons de coût ou de disponibilité, l’analyse de la sécurité des approvisionnements, et son développement, ne peuvent se faire que sur la base d’une connaissance des fondements géopolitiques des marchés.
La « géopolitique pour l’acheteur », à laquelle nous avons décidé de former nos étudiants du Mastère Achats à Grenoble Ecole de Management, peut éclairer les choix des acheteurs qui sont appelés à mobiliser deux grands niveaux d’analyse. Le premier, véritablement macro, vise à enrichir la notion de risque-pays et sa prise en compte dans les choix de localisation du portefeuille de fournisseurs. Si certaines régions apparaissent plus ou moins ponctuellement à éviter, le multisourcing et le choix de modalités de transport adaptées permettent de faire face aux principaux dangers. Le second niveau d’analyse, davantage micro, a vocation à permettre d’interpréter les choix stratégiques réalisés par les fournisseurs. Pour les achats d’énergie par exemple, les contrats signés sont souvent des contrats de long terme dès lors que ces achats représentent une part essentielle des coûts. Le risque principal n’est alors pas tant lié à l’augmentation des prix qu’aux menaces de pénurie naturellement ou volontairement provoquées. Le fait qu’un fournisseur comme Poweo modifie aujourd’hui son business model au point de devenir producteur (en investissant dans une centrale au gaz à Pont sur Sambre) et même importateur (via sa participation dans le terminal méthanier d’Antifer) doit permettre à tout bon acheteur de distinguer positivement son offre, même si elle était plus chère, par rapport à des concurrents plus dépendants au niveau de leurs propres approvisionnements. Le statut de producteur permet même d’établir des accords avec EDF et d’échanger des volumes d’électricité (et donc de bénéficier des coûts faibles de l’énergie nucléaire). Il est également intéressant de noter les investissements réalisés actuellement par Direct Energie, notamment dans les outils de production « verts », là aussi choix particulièrement judicieux.
Pour essentielle qu’elle soit, la géopolitique ne saurait donc se suffire à elle-même. Sa connaissance doit être mobilisée par l’acheteur en complément du questionnement de problématiques nouvelles. La pérennité du fournisseur et de son offre sont, à ce titre, de plus en plus essentielles.