Spend analysis, des logiciels pour radiographier vos achats
Le manque de visibilité sur les achats de l'entreprise est l'un des problèmes récurrents des directions achats et de leurs acheteurs. Il s'agit pourtant d'un préalable indispensable à la définition de toute stratégie. Des outils de spend analysis permettent de collecter et de consolider les données achats. Décryptage.
Je m'abonnePrès de 87 % des directeurs achats ont fait de la bonne identification des données achats l'une de leurs priorités pour 2007, selon une étude réalisée par Ariba. «Pour sensibiliser et susciter l'adhésion de leurs homologues des autres départements, les directeurs achats ont besoin de données tangibles qui témoigneront d'une amélioration de la rentabilité de l'entreprise», explique Gérard Dahan, directeur marketing Europe d'Ariba. Car aussi surprenant que cela puisse paraître, de nombreuses directions achats ne connaissent pas avec précision le volume d'achats, famille par famille, de leur entreprise. Autrement dit, elles manquent de visibilité. «Lorsque vous demandez à des acheteurs de frais généraux de vous expliquer ce qu'ils achètent, la réponse est toujours la même: «Beaucoup de petites choses...», témoigne Serge Cofrade, ancien directeur achats de branche chez Valeo. Ces petites choses sont en fait des milliers de lignes de commande et de facturation totalement disparates, dont le montant global peut atteindre 20 millions d'euros par an dans les grandes entreprises.»
Et pourtant, connaître le volume d'achats famille par famille apparaît indispensable. «La connaissance de ces données est une base incontournable à la mise en place d'une démarche achats performante», reprend Serge Cofrade. Dès lors, pourquoi tant d'entreprises n'ont pas traité cette problématique en premier? «Parce que ce n'était pas une priorité», répond Alain Alleaume, directeur associé du cabinet Altaris. Jusqu'à présent, les directions achats ont en effet porté leurs efforts sur des familles stratégiques et facilement identifiables, en particulier dans le domaine des achats de production, sans parler de la mise en place des outils d'e-sourcing et d'e-procurement. Aujourd'hui, l'optimisation des achats passe par toutes les catégories de dépenses. Encore faut-il pouvoir les identifier!
Catherine Hélaine, Colombus Consulting
«Les outils de spend analysis contribuent au développement du marketing achats au sein des entreprises.»
Collecter et consolider les données
La collecte et la consolidation automatiques de données achats sont désormais possibles grâce à l'utilisation d'outils de «spend analysis», une expression qui signifie littéralement «analyse de la dépense» mais qui désigne en réalité bien autre chose. En effet, l'objectif de ces solutions est de restituer les données achats de l'entreprise et de les consolider selon des catégories prédéfinies (famille d'achat, fournisseur, entité acheteuse...). L'analyse des données n'est pas le fruit de l'outil en lui-même mais bien des acheteurs qui vont utiliser les informations consolidées.
Plusieurs types d'outils sont à la disposition des directions achats. Il y a tout d'abord les ERP (SAP, Oracle...) dont il est possible d'extraire un certain nombre de données grâce à des modules dédiés. «Mais dans la pratique, ces outils se révèlent rarement efficaces car trop génériques, estime Alain Alleaume. La tâche se complique si plusieurs systèmes d'informations cohabitent au sein d'une même entreprise, par exemple après le rachat d'une filiale. La consolidation des données achats devient alors très difficile.» Certaines entreprises peuvent utiliser un outil de business intelligence (Business Objects, Hyperion, Essbase, SAS Institute...) qui permet d'extraire des données d'environnements différents et de les consolider. «Mais l'utilisation de ce genre de solutions ne se limite pas la problématique achats et s'inscrit dans une stratégie beaucoup plus globale», précise Catherine Hélaine, directrice associée du cabinet Colombus Consulting. Dès lors, les entreprises peuvent se demander si l'acquisition d'un outil de business intelligence est justifiée pour la seule problématique achats.
Témoignage
«Grâce à la direction centrale des achats, chaque filiale bénéficie des meilleurs fournisseurs connus du groupe»
Fournisseur de biens d'équipements pour le secteur automobile, Cinetic Industries possède aujourd'hui une dizaine de filiales en Europe, Amérique du Nord et Chine. Les achats représentent 60% du chiffre d'affaires du groupe, soit 210 millions d'euros. Chacune de ces filiales est indépendante et autonome, une organisation décentralisée qui s'applique également aux achats. Le groupe compte ainsi une soixantaine d'acheteurs répartis sur plusieurs continents, avec des cultures achats et des fournisseurs différents. En 2003, Cinetic Industries décide de créer une direction achats centrale chargée d'animer et de coordonner les achats des différentes filiales. «Si nous avons facilement identifié les fournisseurs les plus importants et mis en place des contrats-cadres pour tout le groupe, cela ne concernait que 10% de nos achats», rapporte Philippe Verne, directeur achats de Cinetic Industries. Pour l'équipementier automobile, il était donc nécessaire de trouver un outil capable de collecter l'ensemble des données achats du groupe, de façon à générer des tableaux de bord précis sur chaque famille d'achats et de repérer les fournisseurs les plus performants.
Le choix s'est porté sur la solution Ivalua Buyer et son module «Consolidation et analyse des dépenses». «Nous avons défini 100 familles et 400 sous-familles d'achats, reprend Philippe Verne. L'objectif n'est pas de réduire le panel fournisseurs par principe mais de permettre à chaque filiale de bénéficier des meilleurs fournisseurs connus du groupe. D'ailleurs, 80% des acheteurs qui en ont changé se déclarent satisfaits à l'heure actuelle.» Une stratégie qui n'aurait pas été possible sans la consolidation préalable des données achats.
Des applications métier dédiées
La dernière solution est d'acquérir une application métier dédiée qui permet d'extraire des données des systèmes d'informations et de les traduire en langage achats. Les plus grands éditeurs liés à cet univers (Ariba, Emptoris, VerticalNet, Ivalua...) proposent des modules de spend analysis dans leur suite logicielle. D'autres éditeurs de niche se sont uniquement spécialisés sur ce créneau (Mobile Workers, EasyPics).
En quelques clics, l'entreprise connaît le montant des achats selon la classification qu'elle a définie. Les données sont consolidées dans des tableaux qui pourront être ensuite analysés par les acheteurs. L'apport de ce genre d'outil est quasi immédiat, mais il porte également sur le long terme. «L'automatisation de ce processus, en partie seulement car il reste toujours des retraitements manuels pour disposer de données fiables, permet de gagner du temps, de capitaliser sur le travail déjà fait et de mettre en place un véritable suivi de l'évolution des dépenses de l'entreprise», estime Catherine Hélaine. L'impact sur le métier de l'acheteur proprement dit est également palpable. «Il devient un véritable analyste du marché fournisseur, alors qu'il était auparavant surtout un négociateur, reprend la directrice associée de Colombus Consulting. Les outils de spend analysis contribuent, en effet, au développement du marketing achats au sein des entreprises.»
En outre, les directions achats se retrouvent plus facilement dans ce type d'outil. «La notion de pays à bas coûts existe par exemple dans certains logiciels, ce qui permet d'identifier rapidement les dépenses effectuées auprès des fournisseurs de ces pays, précise Catherine Hélaine. Qui plus est, la mise en place d'une application métier appartient à la direction achats, alors que les ERP sont souvent des projets pilotés par les directions informatiques ou financières.»
Pour l'entreprise, il s'agit d'acquérir un nouvel outil, ce dont elle n'avait pas nécessairement besoin. L'investissement doit donc être justifié. Car les applications métier sont relativement onéreuses. Il y a tout d'abord la licence d'utilisation, dont le prix varie lui-même en fonction de certains critères tels que le nombre d'utilisateurs ou encore le volume de données traitées. Mais ce n'est pas tout. Lors de la phase d'implémentation, il faut compter l'aide d'un cabinet de conseil pour définir un référentiel achats pertinent, adapter l'outil à la culture de l'entreprise, former les acheteurs, etc. Enfin, pour assurer un fonctionnement pérenne et efficace, plusieurs personnes à plein-temps sont nécessaires afin de vérifier les informations traitées par l'outil et de consolider manuellement les données achats qui seraient passées entre les gouttes de l'application. La direction achats d'une banque bien connue du grand public emploie, par exemple, deux personnes à plein-temps pour effectuer ce travail. Selon les consultants interrogés, un projet de taille moyenne coûte environ 100 KEuros par an. Mais ces derniers indiquent que l'investissement peut varier d'un à dix en fonction des entreprises et des solutions retenues.
Témoignage
«Capturer une information achats intelligente»
Imerys, leader mondial de la valorisation des minéraux, a choisi les solutions Referential Management et Corporate Purchasing Portai de Mobile Workers pour collecter, consolider et analyser la quasi-totalité de ses dépenses. Avec quatre secteurs a activité et une centaine d'acheteurs répartis sur 250 sites industriels dans 43 pays, la consolidation des dépenses est un enjeu majeur pour la société.
Avant de choisir les solutions Mobile Workers, les acheteurs remontaient manuellement les données concernant les dépenses de l'ensemble des sites du groupe et les compilaient sous format Excel. Cette manipulation, longue et fastidieuse, ne permettait pas de disposer d'une information fiable et exhaustive. «Nous souhaitions pouvoir capturer une information achats intelligente, quels que soient le système ERP et les classifications propres à chaque entité du groupe», explique Ralph Calmés, senior purchasing manager. A l'aide du cabinet Kyu Associés, Imerys cherche alors un éditeur capable de répondre à son besoin et porte son choix sur Mobile Workers. «D'autres solutions existaient, précise Ralph Calmés. Mais Mobile Workers a été le seul à nous proposer de vérifier l'efficacité de ses logiciels chez l'un de ses clients qui possédait la même problématique que nous.» Démarré en juillet 2006, le projet pilote a été lancé avec une trentaine d'utilisateurs sur 50 sites répartis sur six pays, couvrant 40 % des dépenses totales du groupe, soit près de 600 millions d'euros. Pour déployer les outils Mobile Workers, chaque entité locale du groupe a constitué une équipe de trois collaborateurs issus des services achats, finance et informatique. «Ce projet pilote, d'une durée de trois mois, s'est révélé extrêmement rapide», estime Ralph Calmés. Depuis septembre 2006, la phase de préproduction s'est achevée et les résultats sont apparemment positifs. «Auparavant, pour constituer un dossier achats et compiler toutes les données, il nous fallait presque quatre semaines. Aujourd'hui, trois clics de souris suffisent pour disposer d'une information complète et fiable!», s'enthousiasme le senior purchasing manager. Fort de ce premier bilan, les solutions Mobile Workers seront déployées progressivement d'ici 2008 dans l'ensemble des services achats du groupe, représentant 1,6 milliard d'euros (soit 90 % des dépenses totales du groupe). A terme, 80 personnes pourront utiliser les outils Mobile Workers. Par ailleurs, les solutions seront intégrées courant 2008 au portail du groupe qui centralisera toutes les applications e-achats de l'entreprise sur un intranet (décisionnel, e-sourcing et extranet fournisseurs et e-procurement).
Des outils avec certaines limites
Cela dit, les outils de spend analysis possèdent encore quelques limites. Tout d'abord, les données collectées dans les systèmes d'informations le sont à partir des factures fournisseurs. Comme le rappelait récemment le cabinet de conseil achats ABBD, le taux de surfacturation dans les entreprises françaises est de 1,8 %, ce qui représente tout de même près de 675 000 euros facturés en plus pour une entreprise réalisant 15 millions d'euros d'achats par an. Or, les outils de spend analysis ne sont pas capables de détecter ces surfacturations et laissent une marge d'erreurs conséquente, en particulier dans le domaine du hors production où sévissent de nombreuses petites factures erronées.
Ensuite, ils ne peuvent consolider que les données dont les références sont identiques. Or, dans la pratique, une même facture est souvent référencée différemment selon les services, y compris au sein des entreprises qui disposent d'un seul système d'information. Par exemple, une facture d'électricité sera libellée EDF, E.D.F., voire EDF / GDF. L'adoption d'un référentiel achats dans son système d'information est donc une étape indispensable. Les grands éditeurs proposent ce type de solution dans leur suite logicielle. Les entreprises peuvent également se tourner vers des éditeurs indépendants (Zycus, Creactive Consulting...). «Ces logiciels font de l'analyse sémantique des libellés pour classer les fournisseurs», explique Catherine Hélaine. Un nettoyage des données est donc souvent nécessaire. «Un travail très fastidieux», selon Alain Alleaume qui conseille de «définir un référentiel commun, basé sur une nomenclature achats et une codification unique de ses fournisseurs». Lorsque le nettoyage a été réalisé, les outils de spend analysis donnent alors leur pleine mesure.
Gérard Dahan, Ariba.
«Les directeurs achats ont besoin de données tangibles qui témoigneront d'une amélioration de la rentabilité de l'entreprise.»