Risque pays: assurez vos arrières
Sur fond de contexte géopolitique tendu et de catastrophes naturelles, la maîtrise de la supply chain est devenue un enjeu crucial pour les entreprises. S'il n'existe pas de solutions miracles pour mieux prévenir de tels dangers, les acheteurs peuvent s'appuyer sur un panel de bonnes pratiques afin de gagner en réactivité face à ces événements. Analyse.
Je m'abonne
Révolutions arabes, faillite grecque, séisme au Japon... Depuis plus d'un an, la succession de crises financières et géopolitiques, mais aussi catastrophes naturelles et sanitaires, a confronté les acheteurs à un défi de taille: assurer, coûte que coûte, la sécurité de leurs approvisionnements. « La maîtrise du risque pays est devenue un enjeu capital pour les entreprises, notamment celles qui réalisent la majeure partie de leurs achats à l'étranger, en particulier dans les pays émergents », confirme Hugues Poissonnier, professeur à l'Ecole de Management, à Grenoble.
Selon une étude, réalisée en 2007 par le cabinet Oxéa, si la gestion du risque fournisseurs - défaillance, risques contractuels, légaux ou encore liés à la RSE - constitue une priorité pour 85 % des acheteurs, force est de constater qu'en matière de maîtrise du «risque pays», bon nombre d'entre eux sont encore à la traîne. Un retard qui s'explique par la difficulté pour un service achats d'identifier les contours très flous d'un tel danger. « Le risque pays est une notion très vaste, explique Hugues Poissonnier, même si le dénominateur commun est bien - au final - la rupture de la supply chain. » Au-delà des aléas juridiques et des problèmes inhérents au commerce avec des fournisseurs chinois ou indiens, la notion de risque renvoie plus communément à la vulnérabilité des pays aux crises financières et de leurs entreprises dans le cadre de transactions commerciales. « Cette question doit susciter toute l'attention des acheteurs, puisque les faillites d ' Etats peuvent largement impacter la rentabilité des entreprises, en particulier celles dépendant des subventions publiques », explique Bruno Pillon, directeur général de BravoSolution, éditeur de système d'information (SI) achats. D'autant que si ce risque concernait traditionnellement les «Bric» (Brésil, Russie, Inde et Chine), et ce, malgré leur croissance fulgurante, il n'épargne plus, les pays du Nord, à l'instar de la Grèce et, plus récemment, de l'Espagne et du Portugal, frappés par des crises bancaires sans précédent.
Bruno Pillon, BravoSolution
«Les faillites d'Etats peuvent impacter la rentabilité des entreprises, notamment celles qui dépendent des subventions publiques. »
L'environnement des affaires
C'est en premier lieu à travers cette composante financière que l'acheteur est amené à se pencher sur l'environnement macroéconomique de ses partenaires. « Une ligne risque pays doit donc figurer dans le programme d'évaluation de chaque fournisseur », préconise Michel Philippart, responsable du pôle formation achats de Big Fish. Les directions achats peuvent notamment appuyer leurs analyses sur les indicateurs des agences de notation comme Moody's ou Standard & Poor's. Ces dernières passent au peigne fi n la santé économique d'un organisme gouvernemental ou d'une grande entreprise. Ainsi, en début d'année, Moody's a déprécié la notation de 30 banques espagnoles après l'abaissement de la note souveraine de l'Espagne à Aa2 (sur une échelle de notation de 21 crans, qui va d'un maximum de Aaa à un minimum de C). Elle a également dégradé la note de l'Irlande (de Baa1 à Baa3), du Portugal et de la Grèce (de A3 à Baa1 pour les deux pays).
Autres indicateurs à la disposition des acheteurs: ceux produits par le Beri (Business environment risk intelligence) ou encore Coface, spécialiste de l'assurance-crédit. Contrairement à Moody's, qui est axé sur l'analyse de la dette souveraine des Etats, Coface évalue le niveau moyen de risque de faillite des entreprises d'une nation donnée. Et pour mesurer ce risque d'impayés, il analyse le climat d'affaires pays par pays - disponibilité et fiabilité des données financières, protection juridique des créanciers, qualité de l'environnement institutionnel, etc. « Cela permet aux entreprises clientes de disposer d'une vision globale des risques de défaillances de leurs fournisseurs dans telle ou telle zone », explique-t-on à la Coface, dont le système de notation des pays s'échelonne sur sept niveaux: A1, A2, A3, A4, B, C et D (dans l'ordre croissant du risque). D'ailleurs, l'organisme a procédé en 2011 à dix révisions de notes pays à la baisse dont le Japon et plusieurs pays de la zone Moyen-Orient et Afrique du Nord. Une vague de déclassement qui s'explique bien entendu par « la montée en puissance des bouleversements politiques et des catastrophes naturelles survenues au premier trimestre 2011», comme le rappelle Yves Zlotowski, économiste en chef de Coface.
Autant d'événements qui ont largement impacté le cours des matières premières, selon l'organisme qui a d'ailleurs prévu une hausse du prix du baril de Brent de 25 % par rapport à 2010 à 100 dollars.
Mesurer son «risque famille»
Dès qu'elles sont à la disposition des entreprises, ces données s'avèrent généralement utiles tout au long du process achats. En premier lieu, lors du sourcing. « Pour mieux se prémunir du risque pays, celui-ci doit être intégré en amont dès la sélection des fournisseurs », précise Michel Philippart (Big Fish). Comment? « En analysant son impact sur l'entreprise et son occurrence, ce qui implique d'avoir une connaissance fine de ses dépenses par catégorie, volume, etc. », répond Bruno Pillon (BravoSolution). L'intérêt d'une telle démarche consiste à répertorier ces risques par famille d'achats, et ce, pour sécuriser au maximum celles qui sont stratégiques pour l'entreprise. Exemple probant: « Après le séisme au Japon, nous avons effectué un état des lieux auprès de nos fournisseurs implantés dans l'archipel. Un travail qui s'est avéré indispensable puisque nos seules sources d'approvisionnement pour la fabrication d'un produit indispensable à notre activité, étaient concentrées au Japon. Notre exposition au risque était donc très élevée même si le montant de dépenses engagées dans le pays n'était pas significatif », se souvient Michel Bailly, CPO d'Eads Astrium. Pour éviter un tel danger, les acheteurs doivent favoriser, dans la mesure du possible, le multisourcing. « On se prémunit du risque pays en le répartissant au maximum sur plusieurs zones géographiques, fournisseurs, etc. Autrement dit, en ne mettant pas tous ses oeufs dans le même panier », conseille Jean-Philippe Collin, directeur achats de Sanofi-Aventis.
Hugues Poissonnier, Ecole de Management, à Grenoble
« Les systèmes de management des risques restent l'apanage des directions achats les plus matures. »
Cartographie des risques
Au-delà du multisourcing, l'autre objectif consiste à cartographier ses risques par pays. Une démarche facilitée par le recours à un système d'information de gestion des risques. Si ce type d'outils n'a pas pour vocation d'anticiper les risques pays imprévisibles, il apporte des bénéfices non négligeables. « En intégrant toutes les données achats sensibles de l'entreprise, ainsi que les dernières notations de Moody's, Coface, etc., cette solution fournit à l'entreprise son taux moyen d'exposition au risque, une fois ce dernier survenu: nombre de fournisseurs potentiellement impactés par l'événement, les familles d'achats concernées, le montant de dépenses engagé, etc. », explique Bruno Pillon (BravoSolution) qui propose aux directions achats un module de gestion des risques directement intégré à son offre de SRM (Supplier relationship management). « Via un système d'alerte, l'outil indique au client les familles d'achats classées en rouge, en orange et en vert. Cela permet d'être le plus réactif en activant un plan B adéquat sur toutes les catégories les plus impactées», complète Bruno Pillon. Si les systèmes de management des risques offrent des atouts évidents, « ils restent l'apanage des directions achats les plus matures, notamment celles disposant d'une véritable visibilité sur leurs dépenses à l'échelle mondiale », nuance Hugues Poissonnier. Un constat confirmé par l'étude du cabinet Oxéa. En 2007, seulement 21 % des directions achats avaient réalisé une cartographie de leurs risques achats et 15 % utilisaient un système de gestion des risques. « Des chiffres qui n'ont pas tellement évolué depuis », juge Hugues Poissonnier en rappelant que les stratégies de gestion des risques, s'inscrivant sur le long terme, restent difficilement compatibles avec les programmes drastiques d'économies adoptés par nombre d'entreprises. C'est là que le bât blesse: comment démontrer les bénéfices immédiats d'un plan de gestion des risques qui, par nature, s'apparente au principe de souscription à une assurance? Une question qui illustre bien le défi auquel devront faire face les acheteurs à l'avenir: savoir prouver par A + B que la pérennité de la supply chain est plus payante que les traditionnelles démarches de réduction des coûts.
Lionel Willaert, Imerys
Témoignage
« Notre objectif: sécuriser nos approvisionnements dans les pays émergents »
« La sécurité de nos approvisionnements dépend du risque pays puisque notre entreprise s'implante partout où des minerais peuvent nous intéresser, même dans les zones sensibles », explique Lionel Willaert, directeur achats et supply chain d'Imerys, spécialiste des minéraux industriels. Sans oublier que la recherche d'économies oblige le groupe à s'implanter dans des pays émergents où le risque pays est pluriel: hausse brutale des quotas d'exportation, hausse du cours des matières premières...
Pour bien évaluer son taux «d'exposition» au risque, le groupe veille à analyser ses fournisseurs locaux par famille d'achats et à travers une approche «macroenvironnement«.
« Nous prenons en compte la gravité du risque, autrement dit le temps nécessaire pour le résoudre, ainsi que son occurrence », précise Lionel Willaert, en rappelant que la sécurisation du sourcing est le meilleur rempart contre le risque, notamment géo politique. « Si nos fournisseurs étaient essentiellement basés en Tunisie, nous aurions eu des difficultés en termes de business à la suite du renversement du régime», souligne Lionel Willaert, tout en rappelant que depuis le printemps arabe, le groupe a largement réduit ses sources d'approvisionnement dans le pays. « Nous veillons à diversifier notre base de partenaires en référençant des entreprises chinoises, indiennes, etc.» Pour mieux réagir face au risque pays, le groupe recourt à un outil conçu par BravoSolution. «Ce module d'analyse des risques, intégré à notre SI achats, est doté d'un système d'alertes. Il nous permet de bénéficier d'une véritable cartographie de nos risques. Ce qui est primordial, car l'impératif d'optimisation des coûts laisse peu de temps aux acheteurs pour effectuer un tel travail.»
Imerys
ACTIVITE
Méaux industriels
CHIFFRE D'AFFAIRES 2010
3 347 M d'euros
EFFECTIF TOTAL
environ 15 000 collaborateurs.
VOLUME DACHATS 2010
près de 2 Mds d'euros
EFFECTIF ACHATS
environ 150 collaborateurs