Quelle voie après les achats?
Plus attractive, mieux reconnue, bien rémunérée, la fonction achats constitue un tremplin vers d'autres postes, y compris le top management. Si de bonnes performances aux achats sont nécessaires, elles sont rarement suffisantes. La motivation personnelle et la volonté de changer restent indispensables. Success stories d'anciens acheteurs.
Je m'abonneManager achats, et après? La mobilité interfonctionnelle est timide mais réelle dans les achats. Dans la majorité des cas, la carrière des acheteurs d'aujourd'hui et de demain ne sera plus monolithique. Après la professionnalisation, l'évolution. Plusieurs nominations récentes peuvent être citées en exemple. En septembre dernier, Bernard Rey a ainsi pris la présidence de Renault F1 Team. Il avait auparavant occupé plusieurs postes à responsabilité, notamment aux achats dans la firme au losange et chez Nissan. Il siège au Codir de Renault, au côté du p-dg Carlos Ghosn, exemple emblématique de l'ancien acheteur devenu un puissant patron. Son passage aux achats lui vaut d'ailleurs l'un des surnoms que lui donnent encore, mezzo voce, ses équipes: «Monsieur 5%». «Pour sa propension à vouloir abaisser les coûts de 5% sur les projets», ironise un ancien collaborateur.
Autre nomination récente: Yves Lagier, p-dg de Surcoût depuis le 10 octobre dernier. Celui-ci avait notamment tenu les rênes des achats deux ans durant chez Rexel. «Ces success stories ouvrent des portes et elles sont nécessaires pour montrer la voie. Mais elles sont encore trop peu nombreuses pour dessiner une tendance générale», relativise Elda Simonaska, expert spécialisé achats et supply management au sein du cabinet Mercer Management Consulting. Si les observateurs soulignent l'intérêt des faiseurs de carrière pour les profils transversaux issus des achats, la réalité est très contrastée selon le degré de maturité de la fonction. Surtout, la volonté personnelle, la prise d'initiative et le goût pour le changement sont des prérequis indispensables pour franchir le Rubicon. Enfin, l'ancien acheteur devra ôter sa casquette achats pour apprendre à communiquer avec sa direction générale, les actionnaires et les investisseurs de l'entreprise. «Il faut apprendre à parler un langage qui les rassure, souligne Nicolas Kourim, fondateur du cabinet de recrutement Big Fish, spécialisé dans les achats. Les principaux mots-clés sont création de valeur pour l'entreprise, innovation et avantage concurrentiel.»
Les achats, une fonction reconnue
Premier constat: la perception de la fonction par les directions générales évolue. Mais il reste du chemin à parcourir. «Contrairement aux Etats-Unis, où les achats sont présents au comité de direction dans 70% des cas, ils sont sous-représentés en Europe, et notamment en France où le ratio est inférieur à 40%», constate Florent Lebaupain, directeur de la division administration des ventes, achats et logistique chez Michael Page International. Nicolas Kourim avance également un facteur réseau. «Neuf patrons d'entreprise sur dix viennent de la vente ou du marketing, rappelle-t-il. Ils sont naturellement plus sensibles aux parcours identiques aux leurs.»
Témoignage
«Les achats sont une fonction qui ouvre de nombreuses portes»
PHILIPPE LAZARE, directeur général d'Ingenico, ancien responsable achats d'Air France et de La Poste.
Architecte de formation, Philippe Lazare avoue être arrivé un peu par hasard dans les achats, en 1983, à la Sogedac, la centrale d'achats de Peugeot. «Dans le secteur automobile, les achats sont une fonction qui ouvre de nombreuses portes, constate-t-il. Ceci s'explique d'abord par leur poids très important: ils représentaient déjà 80 à 85% des coûts de production. La performance de l'entreprise reposait donc en grande partie sur ses achats.» Il a occupé plusieurs fonctions à la direction achats, notamment celle de chef du département Planning Peugeot, en charge de la préparation de la mise en production des véhicules. Toutes ces expériences lui ont permis de découvrir le monde des fournisseurs dans des domaines spécialisés, comme la plasturgie, et de maîtriser toutes les étapes de la conception et de la fabrication d'un produit. «J'allais souvent sur le terrain, ce qui me permettait de comprendre pourquoi la production préférait un fournisseur à un autre.» Cette curiosité l'a suivi tout au long de sa carrière et de ses changements de poste. De même que la logique de rationalisation de la production et des coûts qu'il a retrouvée dans l'aéronautique. D'abord chez Sextant Avionique, où il a été directeur de site, en charge notamment de la mise en sous-traitance de plusieurs tâches, comme le câblage et la tôlerie. Chez Air France ensuite, en 1994, au moment du plan de sauvetage de Christian Blanc. «J'étais chargé de gérer les achats groupe. La baisse des coûts était au centre des préoccupations de l'entreprise», se souvient-il. Plusieurs opportunités de carrière se sont ensuite présentées à des postes de direction générale: le Groupe Lucien Barrière, puis Eurotunnel. «En 2003, j'ai intégré La Poste avec, entre autres, les attributions de directeur des achats, du contrôle des coûts et de l'immobilier. Je suis devenu directeur général délégué en 2005. A partir de cette même date, je siégeais au conseil d'administration d'Ingenico, une entreprise spécialisée dans les solutions de paiement et de transactions sécurisées.» Dans un contexte de forte croissance, Ingenico lui a proposé le poste de directeur général qu'il occupe aujourd'hui. «La société était notamment intéressée par mon expertise en matière d'intégration d'activités, de logistique et de contrôle des coûts», conclut-il.
Philippe Lazare
51 ans, Ecole supérieure d'architecture de Paris-La Défense
1983-1990: Il entre aux achats de Peugeot, où il exerce différentes fonctions
1990-1994: Directeur de site chez Sextant Avionique
1994-1998: Directeur général du groupe Air France, en charge notamment des achats groupe
2003-2006: Directeur des achats, du contrôle des coûts et de l'immobilier de La Poste, puis directeur général délégué de La Poste Grand Public
L'impact vital des achats dans le chiffre d'affaires des entreprises industrielles ou de la grande distribution (70 à 90%) assure néanmoins aux acheteurs issus de ces secteurs une visibilité recherchée par leurs homologues des sociétés de services. «Quand ils sont reconnus, les achats deviennent des fonctions cibles pour les évolutions de carrière vers le top management, résume Elda Simonaska. Les gens du marketing, de la R&D ou de la production viennent aux achats.» La fonction s'ouvre. «Beaucoup de personnes arrivent aux achats par mobilité interne, car les achats manquent encore de reconnaissance en tant que fonction essentielle de l'entreprise», analyse cependant Florent Lebaupain. Les diplômés de MBA ou de troisième cycle achats, souvent issus d'écoles d'ingénieurs ou de commerce, dopent également le phénomène. Philippe Portier, responsable pédagogique du mastère «Acheteur manager international» de l'EM Lyon, a son leitmotiv: «Former les étudiants au management en général et leur apprendre comment il se décline sur une fonction particulière, les achats». Lors des entretiens d'admission, la première question qu'il pose est la suivante: «Est-ce que vous vous voyez acheteur toute votre vie?» Une réponse positive du candidat le gêne. «Un manager achats doit avoir une vision globale de la chaîne de valeur intégrée de l'entreprise. Son efficacité doit lui permettre d'être repéré par la direction générale pour évoluer vers d'autres fonctions qu'il côtoie en transversal, ou vers le top management», estime-t-il.
Témoignage
«Les achats ont été un tremplin»
BRUNO FROMAGER, responsable du développement industriel d'une Business Unit chez Umicore, ancien responsable achats.
En tant que responsable du développement industriel chez Umicore, Bruno Fromager propose des solutions industrielles pour fabriquer les produits de demain. «Je suis en permanence à l'écoute des acteurs internes et externes: la production, le marketing, les fournisseurs, les clients, etc.», explique-t-il. Une bonne connaissance de l'entreprise et de son business, de la chaîne de création de la valeur, mais aussi des techniques de production, sont également nécessaires. Il relève plusieurs points communs avec les achats, «une fonction transversale basée sur une approche projets. Mon passage aux achats a donc été un tremplin, même si cette fonction n'est pas toujours perçue comme stratégique dans la métallurgie». Bruno Fromager a ainsi participé à la création de la fonction achats et à sa professionnalisation dans une division d'Umicore. «Le défi était important, car tous les responsables de projets avaient l'habitude de faire eux-mêmes leurs achats.» Outre la formalisation de processus, il fallait définir une stratégie achats qui accompagne la stratégie de l'entreprise. «Le mot d'ordre était la «création de valeur», mesurable de manière tangible: elle doit se vérifier dans les livres de comptes. Nous nous sommes positionnés au service des clients internes: bien comprendre leurs besoins pour y répondre tout en apportant une plus-value». En outre, l'augmentation de la qualité était un processus continu. Afin de vérifier l'adéquation de la stratégie globale avec celle de la division, tous les acheteurs des sites de production faisaient remonter leurs données, qui étaient consolidées puis validées par la direction achats et la direction de la division. «Pour diffuser le professionnalisme achats, nous nous sommes appuyés sur des «success stories»», raconte-t-il. Et de conclure: «Nous ne travaillions pas pour justifier de l'intérêt de la fonction achats pour elle-même, mais pour apporter notre contribution à la création de valeur pour l'entreprise. La fonction achats existe parce que l'entreprise existe, et non l'inverse. Elle en est une composante, au même titre que d'autres fonctions.»
Bruno Fromager
46 ans, Cesi Rouen (ingénieur), Desma Grenoble (formation continue 2002)
1990-1993: Responsable du bureau d'études Béton d'Umicore
1993-1994: Directeur travaux de constructions industrielles
1994-1997: Directeur d'une unité de production de produits du bâtiment
1998-2004: Responsable de la division achats au sein du groupe Umicore
Depuis 2004: Responsable du développement industriel d'une Business Unit d'Umicore
Des débouchés naturels
La plupart des observateurs voient un prolongement naturel et tangible de la fonction achats vers le commercial. «La gestion de la relation fournisseur et celle du client peuvent être mises en parallèle», observe Florent Lebaupain. Nicolas Kourim abonde dans ce sens. «Un patron des achats est normalement un bon patron des ventes, parce qu'il vend ses projets à ses équipes, à son management et à ses fournisseurs.» Le constat est encore plus vrai pour les diplômés d'écoles de gestion avec un troisième cycle achats. La grande distribution apparaît aux yeux de tous comme la voie royale pour une évolution vers la vente. «L'acheteur de grande distribution est le négociateur par essence, reprend Florent Lebaupain. Il achète en majorité des produits finis, et doit donc faire preuve de plusieurs qualités propres à la vente: une sensibilité avant-vente, le marketing produits, les débouchés commerciaux du produit fini...»
Michael Grandon-Clouet a connu cette alternance achats/ventes dans le secteur de la distribution. Aujourd'hui responsable des ventes grand public de Harman/ Becker, il a débuté sa carrière comme responsable achats dans une enseigne spécialisée dans le bricolage. «Mes tâches débordaient largement les achats au sens strict, témoigne-t-il. Je ne me contentais pas d'acheter les produits. Je gérais également leur mise en rayon libre-service, avec un souci constant d'optimiser l'espace pour stimuler les ventes.» Une approche très orientée «client final». Et un vocabulaire proche de celui de la vente, avec la négociation des fameuses marges arrière. Après avoir fait ses preuves sur le terrain, il a migré vers des fonctions commerciales. «L'avantage de la vente, c'est que vous êtes davantage associé à la stratégie de l'entreprise, note-t-il. Par exemple, vous êtes au courant des produits qui seront commercialisés dans cinq ans.» Ce qui n'est pas toujours le cas dans les achats, quand les acheteurs ne sont pas suffisamment impliqués en amont.
A un degré moindre, l'acheteur industriel, avec un profil ingénieur achats et une spécialisation produit, peut avoir des perspectives de carrière dans la vente. Un autre élément rapproche commerciaux et acheteurs: une part de variable est de plus en plus souvent introduite dans la rémunération de ces derniers, soumis à des obligations de résultats, comme les commerciaux. Le contrôle de gestion, la qualité et les postes dans la production semblent également accessibles aux acheteurs. «Dans tous les cas de figure, c'est aux acheteurs de créer des ponts avec les autres fonctions, rappelle Elda Simonaska. Leur capacité à être très solide sur le plan opérationnel doit se coupler avec le leadership et une capacité à bien communiquer.» S'ils semblent naturels, ces débouchés sont loin d'être automatiques.
Témoignage
«Dans la grande distribution, l'acheteur est aussi un vendeur»
ETIENNE ALEXANDRE, conseiller pour la stratégie et le développement marketing et commercial chez Aldebaran Robotics, ancien responsable achats de la Fnac.
Etienne Alexandre a débuté sa carrière à la Fnac en 1982, par cinq années en magasin, puis aux achats où il a cumulé plusieurs portefeuilles: calculatrices, téléphonie, puis microinformatique, logiciels, GSM... Les objectifs étaient de plusieurs ordres: augmenter les marges alors que la concurrence des hypermarchés s'installait, accroître les approvisionnements sur les articles les plus vendus, sélectionner les produits, construire les meilleures offres... «Dans un groupe de distribution comme la Fnac, l'acheteur ne se contente jamais de sélectionner des produits, les acheter et développer la marge, fait-il remarquer. Il est aussi un vendeur. Il pense en permanence au merchandising et au besoin des clients finaux.» Rapidement, le périmètre de sa fonction s'est élargi avec une réflexion sur les services, qui étaient introduits pour la première fois dans la grande distribution. «Je voyais nos rayons assaillis par les clients qui avaient besoin de conseils. Nous avons ainsi mis en place la maintenance sur site gratuite pendant un an, une hot Line 7j/7, des stages de formation clients, etc., pour permettre aux équipes de vente de se consacrer à leur tâche principale.» Cette vision offensive des achats et ces nouveaux services étaient selon lui indispensables pour deux raisons: créer des relais de croissance et garder la position de leader. «C'est ainsi que l'on m'a proposé un poste de directeur du développement, successivement pour créer la Fnac Digitale, puis Fnac.com. Le cycle de vie des produits se raccourcissant, cette vision tournée vers l'innovation m'a permis de garder une visibilité au moins à moyen terme sur le business de l'entreprise et des magasins.» Dans cette optique, il s'est également beaucoup appuyé sur les fournisseurs. «Ils sont indispensables pour compléter la vision d'un marché, puisqu'ils apportent de l'information sur les produits et les technologies à venir.» Autre avantage des achats: ils sensibilisent aux aspects de bonne gestion, «essentielle pour financer les innovations de demain». En 2007, il a rejoint Aldebaran Robotics, société spécialisée en conception, réalisation et diffusion de robots humanoïdes. «C'est un projet innovant qui ouvre des perspectives immenses.»
Etienne Alexandre
48 ans, diplômé en gestion et marketing international, ACI-CCI Paris
1987: Responsable, puis directeur achats microinformatique à la centrale d'achats de la Fnac
1998: Successivement directeur du développement micro-informatique, puis Internet (Fnac)
1999: Directeur commercial de Fnac.com, puis de Surcouf
2004: Directeur général de PC City France
Depuis 2007: Conseiller pour la stratégie et le développement marketing et commercial d 'Aldebaran Robotics
Des univers plus hermétiques
Selon Nicolas Kourim, les sociétés tournées vers les nouvelles technologies ou l'international élargissent l'éventail de possibilités pour les acheteurs. Dans le premier cas, les sociétés ont peu de ressources propres et travaillent à 95% avec des sous-traitants. «Le patron achats ou l'acheteur projet peut parfaitement devenir le boss», note Nicolas Kourim. Pour une filiale ou une division à l'étranger, le profil achats, rodé aux équipes et aux négociations multiculturelles et internationales, est très intéressant. «De plus, les acheteurs acceptent plus facilement les jobs peu confortables que, les gens du marketing, par exemple», ajoute-t-il.
D'autres fonctions semblent plus hermétiques aux profils achats. «Il existe peu de cas d'acheteurs qui évoluent vers les RH, la communication ou le marketing», constate Florent Lebaupain. Philippe Portier nuance ce constat pour le marketing. «Un bon acheteur achète pour le client final, juge-t-il. Dans le cas des achats de textile, par exemple, il est en même temps un marketeur.» Quant aux exemples d'acheteurs devenus p-dg, vice-président ou dg, ils existent. Mais ils sont souvent davantage liés à l'approche costkilling des managers achats qu'à la réelle reconnaissance de leur plus-value stratégique. «En général, on met les acheteurs là où ça va mal, résume Nicolas Kourim. Par exemple à la tête de la filiale qui connaît des problèmes de coût ou de rentabilité, ou dont on veut mettre la production en sous-traitance.»
Des opportunités dans les grandes entreprises
Plus prosaïquement, l'acheteur est avant tout un salarié qui, comme les autres, doit savoir bondir sur les opportunités de carrière. «Logiquement, une entreprise de taille importante ouvre davantage de possibilités de mobilité interne, grâce à une cellule RH dédiée ou des bourses à l'emploi, observe Florent Lebaupain. D'autre part, l'entretien annuel permet aux RH de repérer les potentiels et les envies.» Il constate cependant que, par culture, les acheteurs sont peu habitués à demander une mobilité vers d'autres fonctions de l'entreprise. Au contraire des populations de la vente ou du marketing qui en sont friandes. «De plus, ces dernières sont quantitativement plus importantes dans l'entreprise, ce qui leur offre plus de visibilité par rapport aux achats», ajoute-t-il.
Conscientes du potentiel des acheteurs, certaines entreprises franchissent le pas en proposant une politique RH sur mesure. C'est le cas de la SNCF, qui se dotera en janvier prochain d'une structure RH propre aux achats. Une fonction riche de 1 200 collaborateurs. «Après avoir travaillé sur les parcours professionnels à l'intérieur de la fonction achats, nous nous penchons désormais avec la DRH sur les évolutions vers d'autres métiers», résume Marc Liard, responsable du pôle méthode et professionnalisation au sein de la direction achats. Les exemples peuvent être aussi nombreux que les individus. Ils révèlent néanmoins quelques points saillants. «Nos acheteurs acquièrent une forte compétence en pilotage économique, travail en réseau et négociation. Dans les postes où ils sont susceptibles de migrer, ils prendront des fonctions avec une dimension projet, ou managériale s'ils ont encadré une équipe.»
En attendant l'institutionnalisation de ces parcours, la mobilité interfonctionnelle est déjà à l'oeuvre à la SNCF. Ancienne acheteuse en mobilier de gare, un poste qu'elle a occupé trois ans, Julie Badaroux est aujourd'hui responsable accessibilité pour les TER en Languedoc-Roussillon. «Mes achats portaient principalement sur les guichets, les abris de gare, les cadres-affiches... La conception du produit final dépendait des directions des gares, mais les achats étaient impliqués et associés très en amont sur la définition des produits pour rédiger le cahier des charges fonctionnels.» C'est cette réflexion sur la conception des produits qui l'a intéressée. Après trois ans et demi aux achats, elle a répondu à une offre interne pour le poste qu'elle occupe actuellement. «La fibre achats me semble importante pour ce poste, où je calcule le ratio coût / intérêt de l'entreprise pour chaque projet d'aménagement.»
Interviews
«Etre soi-même entreprenant»
Pierre Josselin, vice-président de Platinum Equity LLC (capital investissement), ancien responsable achats de Mars et de Danone.
Vous avez quitté les achats pour devenir, en 2006, vice-président opération d'une société de capital investissement. Quelles étaient vos motivations?
Le private equity est une expérience extraordinaire. Elle permet de comprendre le fonctionnement de nombreuses entreprises dans un laps de temps très court. Il faut les décortiquer sous tous leurs aspects, les acheter, les transformer et enfin les revendre. C'est une véritable école de direction générale pour toute personne qui bénéficie auparavant d'une réelle expérience opérationnelle. Par exemple, aux achats. Le choix de travailler dans une société de capital investissement m'a conforté dans l'idée qu'il faut savoir se détacher de la fonction achats, qui est passionnante mais qui ne peut, à elle seule, offrir une carrière à long terme. Je ne crois pas aux carrières «silos» comme dans les grands groupes, où l'on «naît» acheteur et reste acheteur toute sa carrière. Les chasseurs de têtes, et sans doute leurs commanditaires, ont une lourde responsabilité dans cette «consanguinité». Il est impératif d'introduire plus de passerelles afin de développer les potentiels. Ceci dit, les achats sont une fonction-clé et un tremplin dans une carrière. Je recommande donc d'y faire un passage de six ans, en s'assurant de pouvoir prendre ou reprendre d'autres fonctions.
Quels enseignements tirez-vous de votre passage aux achats?
La fonction achats est la charnière entre le «monde extérieur» et l'entreprise. Elle réclame un effort de communication et de leadership important, pour que l'ensemble des acteurs de votre entreprise comprennent et soient en ligne avec vos décisions. Une fois les basiques de la fonction mises en place (gestion du risque, qualité, coûts, délais), tous les leviers de productivité et/ou de valeur dépendent de votre capacité à fédérer les fonctions de l'entreprise: production, finances, marketing, etc. La fonction achats est un magnifique poste d'observation de l'interne, permettant de collaborer avec l'ensemble des acteurs de l'entreprise. Cette fonction amène également à rencontrer des patrons de PME, voire de multinationales dans de très nombreux secteurs. Chez Danone, j'avais la chance de manager une équipe internationale et à fort potentiel de 90 acheteurs/ingénieurs. Mais je ne crois pas que cette richesse soit une caractéristique spécifique des achats. Ce qui m'a le plus marqué dans cette fonction, c'est la liberté et l'espace pour entreprendre. A condition d'être soi-même entreprenant!
Qu'est-ce qui vous a poussé à changer de fonction?
J'avais atteint le maximum dans ma fonction chez Danone, à la direction mondiale des achats d'une des divisions. Une fois la fonction achats professionnalisée, j'y avais intégré la dimension «value in/ innovation«en prenant les commandes du développement des matières premières, puis du packaging et, enfin, la responsabilité des partnerships R&D et techniques. Aussi intéressants ou formateurs soient-ils, les achats ne sont qu'une fonction et vous ne pouvez prétendre posséder une réelle expérience de vente ou de production. Il faut savoir enrichir son profil et acquérir d'autres compétences légitimantes pour un poste de direction générale. C'est pourquoi, j'ai pu rejoindre une société d'investissement du type»private equity».
Existe-t-il, selon vous, des passerelles»naturelles«entre les achats et d'autres fonctions?
Dans la majorité des sociétés industrielles, la fonction achats est stratégique. Cela dit, elle ne suffit pas pour devenir directeur général. Pas plus que le marketing ou les ventes. Il n'y a pas de restriction sur les fonctions ouvertes aux acheteurs. J'ai envoyé mes équipes d'acheteurs vers le marketing, la vente, la production, les RH ou la finance! Une chose est sûre: un acheteur avec un fort potentiel est visible. Il aura des propositions pour intégrer les équipes avec lesquelles il collabore. Aux achats, mon credo a été de recruter des jeunes à haut potentiel, de leur faire connaître trois postes en six ans, puis de les envoyer vers d'autres fonctions pour acquérir un profil complet. J'ai probablement «semé» cinq ou six futurs dg en faisant de la sorte!
A contrario, existe-t-il des freins à révolution des acheteurs vers d'autres fonctions?
Les freins résident évidemment dans la non-compréhension du métier et dans la vision assez restreinte que certains dirigeants ont de la fonction. On a les achats qu'on mérite: il est possible d'influencer le positionnement de la fonction. J'ai toujours réussi à trouver des alliés dans les directions générales en faisant la preuve par l'exemple.
Pierre Josselin
41 ans, diplômé de l'Institut national agronomique ParisGrignon, MBA Cesma (EM Lyon)
Il a commencé sa carrière dans le développement de solutions clés en main de projet de diversification industrielle pour une filiale de deux grands groupes agroalimentaires pendant six ans, puis responsable de programme de développement
1994-2000: Mars: acheteur senior, puis directeur achats pour le Sud de l'Europe. Principale mission: changement de la politique de sourcing du groupe vers les pays à bas coûts
2000-2006: Danone: responsable des programmes de réduction des coûts et d'analyse de la valeur pour la division Biscuits de Danone, puis directeur achats monde d'une division de Danone avant de fusionner les équipes de sourcing avec le développement.
2006: vice-président de Platinum Equity LCC
Le salaire, un frein à l'évolution
La mobilité interfonctionnelle reste dans une large partie tributaire d'une combinaison de facteurs: fonction achats reconnue, opportunité de postes, stratégie personnelle... La motivation salariale est à exclure du lot. Les salaires dans les achats sont de plus en plus attractifs et peuvent constituer un frein à la volonté de changer d'horizon. Selon la dernière enquête Maesina International Search, la rémunération annuelle des directeurs achats (89,6 kEuros) les place au niveau des responsables marketing (89,8 kEuros) et devant le directeur des ventes (84,6 kEuros). Le cabinet Mercer dresse le même constat dans son étude menée en collaboration avec l'hebdomadaire Réussir. A la pénurie de profils achats s'ajoute aussi le fait que les acheteurs deviennent stratégiques dans un contexte de rationnement des coûts. De plus, la diversité du métier offre une palette riche d'évolutions en son sein: acheteur métier, acheteur projet, responsable achats, responsable de la performance achats, diversité des portefeuilles, etc. Autant de signaux positifs pour une fonction en plein essor. Qui attire plus qu'elle ne suscite de velléités de départ.
Témoignage
«Beaucoup de similitudes entre le commercial et les achats»
STANISLAS CHEVALET, directeur du réseau Cardif et partenaires externes à BNP Paribas, ancien responsable des achats groupe.
Selon Stanislas Chevalet, «l'évolution de carrière hors de la fonction achats repose encore trop sur la capacité à être à l'aise dans les comités de direction ou avec les fonctions très spécialisées, même si de plus en plus les entreprises y voient un vivier de cadres, aptes à conduire des projets complexes et souvent internationaux». Stanislas Chevalet n'avait pas prévu de travailler dans le domaine des achats. «C'est parce que j'avais alterné les postes fonctionnels et opérationnels que la direction générale de Paribas m'a proposé de créer la fonction en 1997, qui était une de ses priorités à l'époque.» Il retient trois éléments fondamentaux de ses sept années passées aux achats. «D'abord, cela m'a permis de mesurer la difficulté à mettre en place le changement dans une organisation aussi vaste et internationale que BNP Paribas et comprendre que la clé de la réussite réside dans la capacité à déployer le projet, à faire exécuter la décision.» Il remarque ensuite que, pour que le dispositif mis en place dure et soit véritablement efficace, il faut réussir à impliquer formellement l'ensemble des collaborateurs concernés de l'entreprise et savoir gérer les exceptions. «Enfin, lorsqu'on est une fonction transversale, non régalienne, il faut être capable de démontrer sinon en permanence du moins régulièrement la valeur créée. C'est-à-dire disposer d'outils objectifs de mesure de la performance.» Ces acquis sont importants dans son nouveau poste. Selon lui, la fonction commerciale présente de nombreuses similitudes avec les achats. «Cardif a deux activités: l'épargne et la prévoyance. Mais, en l'occurrence, mon passage aux achats compte probablement moins que ma connaissance financière et la sensibilité aux produits d'assurances que j'avais acquises dans mes postes précédents...»
Stanislas Chevalet
45 ans, diplômé de l'EM Lyon (spécialité finances).
1986: Il entre à BNP Paribas
1994: Responsable de la division distribution-loisirs de Paribas Affaires Industrielles
1997: Responsable des achats chez BNP Paribas
2005: Responsable de la fonction «efficacité opérationnelle» groupe.
Depuis le 1er octobre 2007: Directeur du réseau Cardif et partenaires externes (compagnie d'assurance vie de BNP Paribas)