Quelle place pour les PME dans la commande publique?
Le gouvernement veut faciliter l'accès des petites et moyennes entreprises à la commande publique. Il négocie pour cela au niveau communautaire pour la mise en place d'un Small Business Act européen. En attendant, les premières mesures commencent à voir le jour au plan national.
Je m'abonneNicolas Sarkozy l'a annoncé à plusieurs reprises. «Il n'y a pas de raison que ce qui est autorisé pour les PME américaines soit refusé pour les PME européennes. Je veux une discrimination positive en faveur des PME», clamait-il, début décembre, lors d'un discours devant des représentants de la CGPME à Lyon. Les petites et moyennes entreprises américaines, au même titre que leurs homologues sud-coréennes, japonaises et canadiennes, bénéficient d'un régime préférentiel pour accéder à la commande publique. Ce qui n'est pas le cas de leurs consoeurs européennes. En effet, l'Union européenne s'est toujours refusée à transgresser l'Accord sur les marchés publics (AMP), ratifié par 28 Etats membres de l'Organisation mondiale du commerce (OMC). Cet accord impose notamment l'absence de discrimination et une concurrence internationale loyale. Le Small Business Act (SBA) américain va à l'encontre de ces principes, en imposant un quota de 23% des marchés publics fédéraux aux PME nationales (lire notre encadré p. 75).
La Commission lâche du lest
A la suite des pressions exercées par la France, la Commission européenne a dernièrement consenti à revoir sa position. Hervé Novelli, secrétaire d'Etat chargé des Entreprises et du Commerce extérieur, a récemment déclaré que la demande française de mettre en place un mécanisme de réciprocité, destiné à permettre à l'Europe de bénéficier d'un dispositif similaire au SBA américain, avait été entendue. «La Commission européenne a reconnu qu'il existait une inégalité entre les PME des pays qui bénéficient de dérogations et les autres», a-t-il rapporté. Dans un premier temps, Bruxelles a présenté à l'OMC une offre révisée pour les négociations de l'AMP en juillet 2007. Elle y propose des mécanismes de rétorsion. Hervé Novelli a également annoncé que la Commission préparait, pour la fin du premier semestre, un projet de SBA à l'européenne, qui reconnaîtrait le rôle central des PME dans le développement économique du Vieux Continent. Cette proposition devrait être exempte des fameux quotas, contrairement au souhait initial de Nicolas Sarkozy, ainsi qu'un certain nombre de candidats à la dernière élection présidentielle. L'Europe est hostile à une telle mesure, qui irait à l'encontre des principes de l'AMP, mais aussi de la Constitution française. Lionel Stoléru, dans son rapport sur l'accès des petites entreprises à la commande publique, a, lui aussi, préconisé l'abandon de cette piste (lire notre interview p. 74). Cette idée devrait donc être définitivement oubliée. La France, qui prendra la présidence de l'Union européenne en juillet, ne va pas abandonner son projet. «Je me battrai pour que la présidence française de l'Union européenne en 2008 soit l'occasion d'un vrai projet européen pour nos PME», n'a pas manqué de souligner Nicolas Sarkozy. Pour l'heure, la Commission européenne a lancé une grande consultation publique qui s'est achevée en mars dernier. Un projet de texte devrait être prêt en juin prochain, juste avant que la France ne prenne la présidence de l'Union. Il s'agissait d'un questionnaire général sur la place des PME dans l'Union européenne, leur accès aux marchés publics ou encore les possibilités de financement. Une large partie était également consacrée à l'innovation et aux bonnes pratiques environnementales.
Nicolas Sarkozy, président de la République
«II n'y a pas de raison que ce qui est autorisé pour les PME américaines soit refusé pour les PME européennes.»
Mettre en place un système «gagnant-gagnant»
Toutefois, le gouvernement ne souhaite pas attendre l'aboutissement du processus européen pour favoriser l'accès des petites entreprises françaises à la commande publique. Nicolas Sarkozy souhaite qu'elles bénéficient sans attendre d'un «système gagnant-gagnant». Cet empressement de la France à aider ses PME s'explique en partie par le retard qu'elles accusent par rapport à leurs consoeurs européennes et américaines. En effet, selon les données de l'Observatoire économique de l'achat public (OEAP), les marchés attribués aux petites structures ont représenté, en 2007, seulement 19% du montant des marchés passés par l'Etat et 39% du montant des commandes des collectivités locales. Au total, les PME ne représentent que 27% du montant des achats publics, une statistique largement en deçà de la moyenne européenne estimée à 42%. «Le niveau de participation des petites et moyennes entreprises dans les marchés publics français est insuffisant», déplore Emmanuel Leprince, délégué général du Comité Richelieu, dont l'activité est de promouvoir les PME innovantes. Toutefois, les petites entreprises françaises ne sont pas exclues de tous les marchés publics. En février dernier, un rapport réalisé par Oséo, l'organisme de financement des PME innovantes, révélait ainsi que les petites structures étaient très bien représentées sur les marchés publics de faible montant: 56% des commandes passées par l'Etat et 66% des marchés conclus par les collectivités territoriales. Les PME sont notamment très majoritaires sur les marchés de travaux et de services. Elles restent, en revanche, minoritaires sur les marchés de fournitures. Pourtant, bien avant que le gouvernement ne se saisisse du dossier, des mesures avaient été adoptées pour favoriser l'accès des PME à la commande publique, notamment dans le code des marchés publics de 2006. Outre la généralisation de l'allotissement, ce dernier stipule que l'absence de références à de précédents marchés de même nature ne peut constituer un critère éliminatoire de candidature. Et il impose aux acheteurs de mesurer et de rendre compte des commandes passées aux petites entreprises. Toutefois, le Conseil d'Etat a annulé une des dispositions, qui prévoyait que le pouvoir adjudicateur «peut fixer un nombre minimum de PME qui seront admises à présenter une offre, sous réserve que le nombre de PME retenues en application des critères de sélection des candidats soit suffisant». La plus haute juridiction administrative a relevé que cette disposition conduisait à faire de la taille de l'entreprise un critère de sélection des candidatures, mesure à caractère discriminatoire allant à l'encontre du principe d'égal accès à la commande publique.
En attendant les propositions de Bruxelles, la France lance donc ses propres mesures. La première concerne les délais de paiement des fournisseurs. De 45 jours, ils passeront à 30 en 2008. Cette décision était préconisée par l'Observatoire des délais de paiement dans son rapport de 2007. «Dans le secteur public, l'Etat et les collectivités locales ont fait des efforts notables pour payer plus vite les factures. Mais ils mettent du temps pour valider la prestation, et les ministères et les collectivités locales payent parfois avec des délais très longs, surtout en fin d'année quand les budgets sont consommés», estime l'Observatoire. «Nous ferons en sorte que les PME bénéficient d'un traitement particulier dans les délais de paiement publics», a annoncé Hervé Novelli.
Favoriser les PME innovantes
D'autres mesures a venir pourraient s inspirer du rapport de Lionel Stoléru. Accueilli favorablement par le président de la République, les organisations professionnelles et les acheteurs publics, il est composé de 15 propositions. Il se trouve actuellement entre les mains des services du ministère de l'Economie. Il prévoit notamment des mesures en faveur des PME innovantes. Pour la plus grande satisfaction d'Emmanuel Leprince, du Comité Richelieu: «Nous sommes d accord sur le contenu, la démarche et l'angle du rapport. Il faudrait modifier le code des marchés publics pour les PME innovantes, notamment en accordant une part de sous-traitance à ces entreprises pour les marchés de R &D.» L'abrogation du délit de favoritisme et la création d'un fonds de garantie pour reconnaître le droit à l'erreur des acheteurs publics ont également recueilli les suffrages, aussi bien ceux des acheteurs que des petites entreprises.
Une des demandes principales reste toutefois la mise en place d'indicateurs. Nicolas Sarkozy a récemment évoqué le sujet. Il a proposé que les ministères publient, chaque année, la part de leurs marchés publics attribués aux PME, à l'image de ce qui existe aux Etats-Unis. Ce manque de traçabilité des achats est une lacune majeure de la commande publique française. Cette démarche a d'ores et déjà été entamée par le Comité Richelieu, via son Pacte PME. Il est demandé à tous les grands comptes signataires de rendre public la part des PME dans leurs achats. Une généralisation de cette pratique est envisagée. Et toutes ces mesures pourraient voir le jour dans les plus brefs délais.
Thomas Chaudron, président national du Centre des jeunes dirigeants d'entreprise (CJD)
Témoignage
«Les marchés publics doivent également servir de levier de croissance aux PME»
«Pourquoi mettre en place un dispositif spécifique tel que le Small Business Act alors que la part des petites entreprises dans la commande publique en France est déjà d'environ 30%?», s'interroge Thomas Chaudron, président national du Centre des Jeunes Dirigeants d'entreprise (CJD). Pour lui, le SBA est un simple outil qui occupe actuellement une trop large place dans le débat. «L'approche américaine est toute autre, estime-t-il. On y parle plus de la Small Business Administration, agence qui s'assure que les petites structures ne sont pas pénalisées.» Le CJD souhaiterait, par ailleurs, que l'approche sectorielle se développe, à l'instar de ce que vient de faire le ministère de la Défense pour aider les PME à accéder à ses marchés publics. «La commande publique doit également servir de levier de croissance aux petites entreprises, affirme Thomas Chaudron. Il ne faut plus réserver les gros marchés aux grands groupes et les petits aux PME.» Celles qui ont à leur actif de grandes réalisations ont une crédibilité renforcée, aussi bien au niveau national qu'international. Des grands projets leur permettent également de se structurer et de grandir.
interview
«Nous devons mettre en place un SBA européen ambitieux»
Décision achats: Vous avez remis votre rapport au président de la République le 6 décembre dernier. Que vous êtes-vous dit à cette occasion?
Lionel Stoléru: Nous avons discuté des différentes propositions, notamment de celle préconisant l'abandon d'un Small Business Act américain en faveur d'un SBA européen. Comme il se rendait le lendemain à l'assemblée des entrepreneurs CGPME, il s'est intéressé de près au sujet. Il s'est aussi déclaré favorable aux autres propositions. Par ailleurs, je lui ai proposé mes services pour mettre en place ces différentes mesures.
Nicolas Sarkozy milite pour l'instauration d'une part de marchés publics réservée aux PME. Vous proposez l'abandon de cette piste. Quelle a été sa réaction?
Il a été surpris! Je lui ai dit qu'il était mal informé sur la question. La difficulté n'est pas de négocier avec l'Organisation mondiale du commerce (OMC) la révision de l'accord sur les marchés publics, et d'instaurer un quota de marchés publics pour les PME. Les Américains seraient d'accord sur ce point car ils se moquent de savoir si nos petites entreprises ont un accès favorisé aux marchés publics. Mais, si un accord est trouvé à l'OMC, cela ne servira à rien car la Constitution française interdit la mise en place de mesures discriminantes. Il existe d'ores et déjà une jurisprudence du Conseil d'Etat et du Conseil constitutionnel sur le sujet, qui interdit les quotas au nom des principes fondateurs de la République française que sont «liberté, égalité, fraternité». De toute façon, la commission européenne n'est pas favorable à la mise en place d'un SBA américain. C'est pourquoi il vaut mieux abandonner les quotas et mettre en place un SBA européen ambitieux.
Vous proposez, malgré tout, une discrimination positive en faveur des PME innovantes...
Le Conseil d'Etat a censuré certaines mesures en faveur des PME figurant dans le code des marchés publics de 2006. Il faut donc éviter un quota général pour toutes les petites entreprises. La discrimination doit se faire sur des cibles beaucoup plus restreintes et légitimes, comme les PME innovantes (environ 5 000 en France). Une telle mesure pourrait être acceptable pour le Conseil d'Etat. La place de ces sociétés innovantes est un axe très fort de ce rapport. Il est urgent d'amener celles à fort potentiel sur le marché mondial. Nous sommes actuellement très faibles sur ce point. Il faut faire émerger les plus méritantes. Les marchés publics ne sont pas que du chiffre d'affaires, c'est aussi une référence lorsque l'on souhaite s'exporter. Vendre au ministère de la Défense ou à l'AP-HP est une bonne carte de visite.
Et vous appelez au bon sens des acheteurs publics...
Concernant les acheteurs publics, il ne s'agit pas d'un problème de texte - le code de 2006 est bon - mais plutôt d'un problème de comportement. Je suis allé à la rencontre des «grands» acheteurs publics, j'y ai trouvé une très grande volonté d'aller de l'avant, à condition qu'on les encourage. D'où l'idée du coaching, qui voudrait que chaque année un acheteur public accompagne une PME innovante vers le marché international. Les acheteurs sont prêts à le faire.
Vous préconisez également la sortie des hôpitaux du code des marchés publics. Cela ne risque-t-il pas d'être délicat à mettre en place?
Tout ce qui est en concurrence avec le secteur privé doit sortir du code et entrer dans le giron de la directive européenne ad hoc. C'est le cas des hôpitaux. C'est une mesure facile à mettre en place, à l'image des 15 propositions qui sont faites dans ce rapport. J'ai volontairement rédigé ce dernier de manière à ce qu'il soit facilement applicable. Les propositions qui figurent dans le rapport ont été sélectionnées en fonction de leur efficacité et du consensus qui pouvait être trouvé entre les acheteurs et les fournisseurs. J'ai envoyé ce rapport à toutes les personnes que j'ai rencontré pour sa rédaction, les retours ont été positifs, y compris de la part de la CGPME. J'avais déjà eu l'occasion de produire en mars 2007 un rapport sur les PME innovantes pour la Ville de Paris en tant que président du Codev (Conseil de développement économique durable de Paris). Bertrand Delanoë a d'ailleurs accepté notre proposition de signer le Pacte PME. J'avais donc déjà quelques idées sur le sujet.
Où en est la réflexion sur la place des PME au niveau européen?
Nous disposons aujourd'hui de deux éléments importants. Le premier est que la Commission européenne a fait circuler un questionnaire sur les bonnes pratiques auprès des Etats membres. Comme indiqué dans le rapport, il en ressort que les pays facilitant l'accès des PME aux marchés publics le font de manière très structurée. Les résultats de cette enquête sont une mine d'informations. Le second élément est que Bruxelles a commandé un rapport sur l'accès des PME aux marchés publics. Là encore, cela nous donne des pistes de travail.
Concernant votre proposition d'un réseau France-PME, quel accueil lui ont réservé les réseaux existants?
Certains sont partants, d'autres estiment qu'ils pourraient le faire seuls. La mise en place de ce réseau est la priorité numéro un. Il est nécessaire de quadriller le territoire, bien en amont des appels d'offres. Hervé Novelli est tout à fait d'accord pour qu'il soit instauré. Il faut que nos petites entreprises puissent accéder au marché international, car la Chine et l'Inde sont en train de détruire l'emploi européen. Si nous ne faisons rien, que restera- t-il de l'emploi européen et français dans cinq ans?
Vous terminez votre rapport sur la question des délais de paiement. Cette proposition a été reprise très rapidement. Etes-vous satisfait?
Oui, mais il ne suffit pas de dire que l'on ramène les délais de 45 à 30 jours. Si tous les acheteurs respectaient ces délais, ce serait déjà bien, mais ils ont toujours des astuces pour les repousser. C'est pourquoi je propose la mise en place du «reverse factoring». Ce procédé repose sur un paiement accéléré du fournisseur (en 48 heures) via un établissement financier. Cette solution serait simple à mettre en place.
zoom
Les principales dispositions du Small Business Act américain
Le Small Business Act, voté le 30 juillet 1953 parle Congrès, affirme la nécessité d'orienter en priorité l'action des pouvoirs publics vers la petite entreprise. La section 202 stipule que «le gouvernement doit aider, conseiller et protéger dans toute la mesure du possible les intérêts de la petite entreprise, afin de préserver l'esprit de libre concurrence, de s'assurer qu'une proportion équitable des marchés publics soit passée avec de petites entreprises, et de maintenir en la renforçant l'économie de la Nation dans son ensemble«. En pratique, les administrations fédérales ont l'obligation de réserver 23% de leurs marchés aux PME. Pour atteindre cet objectif, tous les marchés de fournitures et de services inférieurs à 100000 dollars leur sont réservés. Lorsque les grandes entreprises sont les seules en mesure de postuler, les PME se voient attribuer une partie du marché. Les sociétés ayant remporté un marché supérieur à un million de dollars doivent en sous-traiter une partie. Une fraction déterminée revient à des PME, sous peine de sanctions. Cette part est actuellement d'environ 40%.
Expérience
Le ministère de la Défense met en place une structure d'accueil pour les PME
Le ministère de la Défense, premier acheteur public de France avec 11,5 milliards d'euros en 2005, a annoncé, début décembre, ses propres initiatives pour favoriser l'accès des PME à ses commandes. La première d'entre elles est l'ouverture d'une structure d'accueil pour accompagner, conseiller et orienter les petites et moyennes entreprises souhaitant entrer en relation avec la délégation générale pour l'armement (DGA). Dans le même esprit, le ministère compte ouvrir un espace dédié aux PME sur le site internet de la délégation générale pour l'armement (DGA) et organiser des conférences de lancement pour chaque nouveau programme. Outre le souci de rendre l'information plus accessible, le ministère souhaite faciliter l'accès direct des PME aux marchés d'armement. Un bureau achats consacré aux petits contrats sera ainsi créé, afin d'optimiser les procédures et accroître la réactivité pour les PME. Le recours à l'allotissement devrait aussi être plus fréquent. Le ministère envisage, par ailleurs, l'adoption de clauses contractuelles limitant le risque financier des entreprises dans le cadre des petits contrats à haut risque technologique. Il songe enfin à un système de qualification qui permettrait de faire connaître ces sociétés et de les présélectionner pour les mises en concurrence sur certains marchés. L'amélioration de l'accès indirect à la commande publique fait aussi partie des objectifs du ministère. Diverses mesures améliorant les conditions de la sous-traitance sont envisagées, notamment la signature d'une charte entre la DGA et les grands maîtres d'oeuvre pour permettre plus de transparence et d'implication des PME dans les opérations de la DGA. Le dernier grand chapitre du programme lancé par le ministère consiste enfin à faciliter l'accès des PME au marché de l'export, entre autres via un soutien à la participation des petites entreprises aux salons internationaux.