Quand l'achat de sécurité devient hors la loi
Alors que le marché de la sécurité lutte depuis des années contre le recours à des travailleurs étrangers en situation irrégulière, l'affaire des maîtres-chiens sans papier de la SNCF est venue rappeler, cet été, que le secteur restait vulnérable. Une famille d'achats toujours aussi sensible.
Je m'abonneLe 16 juillet dernier, la SNCF a décidé de résilier unilatéralement l'ensemble des contrats de gardiennage conclus avec l'un de ses prestataires, la société Vigimark. En cause: l'emploi de travailleurs en situation irrégulière. L'affaire faisait les choux gras de la presse depuis plusieurs mois. Et alors que la polémique atteignait son paroxysme cet été après plusieurs manifestations de sans-papiers et la saisine du ministère de l'Immigration, la régie ferroviaire a choisi de mettre de l'ordre dans ce dossier épineux: audit interne sur les conditions dans lesquelles les entreprises de sécurité privée emploient leurs salariés, vérification des habilitations officielles pour tous les agents de sécurité, etc. Le 13 juillet, la direction achats de la SNCF a ainsi adressé un courrier à l'ensemble des prestataires de sécurité de l'entreprise publique, leur rappelant «leurs obligations légales à l'égard du code du travail» et, bien entendu, celle d'employer des travailleurs en situation régulière. Trois jours plus tard et après une enquête de la SNCF, le couperet est tombé pour la société Vigimark.
Une profession face à ses vieux démons
Cette affaire, qui devrait se poursuivre sur le terrain judiciaire puisque Vigimark estime la SNCF responsable de la situation, rappelle à toute une profession les vieux démons contre lesquels elle lutte depuis plusieurs années. Claude Tarlet, président de l'Union nationale des entreprises de sécurité privée (USP), en a même fait l'un de ses chevaux de bataille. «Le travail illégal perturbe gravement l'équilibre économique et social du secteur de la sécurité privée», rappelle-t-il. A travers la voix de son président, l'USP souligne ainsi que le non-respect des réglementations et obligations sociales et fiscales provoque une distorsion grave des conditions de concurrence.
«Cela a également de lourdes conséquences sur la qualité des prestations fournies et sur les conditions de travail des salariés, reprend Claude Tarlet. Ces pratiques frauduleuses font subir un grave préjudice aux entreprises respectueuses du droit et compromettent leur existence.»
L'emploi, direct ou indirect, de travailleurs étrangers dépourvus d'autorisation de travail est illégal. Les sanctions prévues par le code du travail sont lourdes (articles L.364-1 et suivants). En tant que personne physique, l'employeur s'expose à des peines allant jusqu'à cinq ans d'emprisonnement et 15 000 euros d'amende par salarié en situation irrégulière. En tant que personne morale, l'entreprise de sécurité privée encourt, pour sa part, jusqu'à 75 000 euros d'amende et toute une série de peines complémentaires (dissolution, exclusion des marchés publics, affichage et diffusion du jugement, etc.). Mais surtout, la coresponsabilité pénale et financière du donneur d'ordres peut être engagée s'il est prouvé que ce dernier impose des conditions telles à son sous-traitant que celui-ci est obligé de recourir au travail illégal. Une situation plus fréquente qu'il n'y paraît selon Michel Ferrero, le président du Syndicat national des entreprises de sécurité privée (Snes): «Nous avons toujours dénoncé les pratiques illégales, douteuses ou frauduleuses de certaines entreprises du secteur. Mais nous nous sommes toujours opposés également aux politiques d'achats de certains donneurs d'ordres privés ou publics, en contradiction avec toutes les règles déontologiques et les bonnes pratiques.»
17 à 19 euros HT de l'heure
Dans la ligne de mire des organisations professionnelles: une pression exacerbée sur les coûts pour des besoins toujours plus importants. Dès lors, pour certains prestataires de sécurité, la tentation de recourir à des travailleurs en situation irrégulière n'en est que plus grande. Pour lutter contre ce phénomène, le Snes comme l'USP ont édité des guides de bonnes pratiques, téléchargeables sur leurs sites respectifs. Avec, en filigrane, un conseil plein de bon sens: se méfier d'une offre anormalement basse. Aujourd'hui, le coût horaire d'un agent de sécurité est estimé entre 17 et 19 euros HT. Dans une enquête réalisée par SerdaLab pour le compte de l'USP et du Snes
Claude Tarlet, USP
Le travail illégal perturbe gravement l'équilibre économique et social du secteur de la sécurité privée.»