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Outre-mer, les achats doivent s'adapter

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En matière de commande publique, les départements et régions d'outre-mer sont soumis au code des marchés publics. Mais leur tissu économique spécifique ou l'éloignement imposent une approche d'achat différente de celle de la métropole. Témoignages.

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Dans le jargon des acheteurs d'outre-mer, on l'a baptisée la «clause cyclone». Inconnue en métropole, elle figure dans nombre de marchés publics de travaux des départements et régions d'outre-mer (Drom). Quand les intempéries menacent, cette clause prévoit la suspension intégrale des chantiers, et ce pour une durée nécessaire à la sécurité des hommes et des biens. «Elle s'applique pour les travaux en alerte rouge durant la période cyclonique, à partir du mois de décembre et jusqu'en avril», précise Jean-Louis Dubois, directeur des services techniques de la mairie d'Entre- Deux (Réunion). Une clause précieuse dans ces confettis de territoire français. La Martinique, la Guadeloupe ou la Réunion figurent en effet parmi les zones du monde les plus affectées par la puissance dévastatrice des cyclones tropicaux.

A l'image de ces contraintes climatiques, l'éloignement géographique, l'allongement des délais ou encore le manque de concurrence dans certains secteurs compliquent également la tâche des acheteurs publics. Leur approche métier est ainsi souvent différente de leurs collègues de métropole.

Obstacles structurels

Outre le cas très particulier des collectivités d'outre-mer (lire encadré ci-contre), le droit fait peu de distinction pour les quatre Drom (Martinique, Guadeloupe, Réunion et Guyane). Comme leurs collègues de métropole, ces acheteurs sont soumis au code des marchés publics. «La principale difficulté vient de l'insularité. C'est ce qui rend l'exercice du métier plus compliqué», décrypte Gérard Morel, directeur général de Factea Sourcing Océan Indien, un cabinet de conseil spécialisé en stratégie achats et marchés publics. «Notre économie a longtemps été dominée par l'agriculture, analyse, de son côté, Mathias Bini, en charge des questions économiques à la CCI de Pointe-à-Pitre (Guadeloupe). Depuis une dizaine d'années, la croissance économique a remodelé l'activité, qui s'est réorientée vers le service et le commerce. L'économie reste dominée par des micro-sociétés d'une dizaine de salariés. Et beaucoup d'entre elles se sont spécialisées dans le service aux entreprises comme le conseil, la formation ou encore le nettoyage.»

Ce dynamisme général des Drom se heurte néanmoins à l'obstacle structurel des débouchés locaux. Le faible nombre d'habitants (448 000 en Guadeloupe, 395 000 pour la Martinique) limite la taille des entreprises. Hormis les représentations locales des grands groupes, dans le BTP par exemple, les sociétés locales sont en majorité des petites structures. Ce qui restreint le nombre potentiel de soumissionnaires aux marchés publics. Pour les acheteurs, le faible nombre de prestataires capables de répondre aux appels d'offres représente un sérieux casse-tête au niveau du respect de la concurrence. «Dans beaucoup de secteurs, nous sommes vite confrontés à un choix qui n'en est pas un car les concurrents manquent, résume Philippe Rivière, responsable du service de la commande publique du CCAS de Saint-Louis (Réunion). Parfois, la loi nous semble mal adaptée. Quand nous sommes au-dessus des seuils, nous sommes obligés d'effectuer des procédures formalisées alors que nous savons bien qu'un seul prestataire est en mesure d'y répondre.» A la Réunion, EDF est, par exemple, le seul fournisseur en matière d'électricité et d'équipements électriques. Ce reliquat des anciens monopoles se retrouve également dans les télécommunications, où France Télécom est l'unique prestataire téléphonique implanté dans l'île. «Il faut être conscient que l'on dénombre seulement 24 communes sur notre territoire, relativise Philippe Rivière. Cela ne suffi t pas à faire vivre de nombreux fournisseurs.» Autre handicap relevé par les praticiens, la publicité au-delà des seuils, imposée au BOAMP (payant) et au JOUE (gratuit), semble inadaptée. «Ces surcoûts sont inutiles, tranche Philippe Rivière (CCAS de Saint-Louis, La Réunion). Jamais une entreprise métropolitaine ou européenne n'a candidaté à nos marchés.» Olivier Eliezer, de la direction des marchés publics du Guadeloupe, dresse le même constat. «Cette démarche nous coûte en moyenne 3 000 euros, alors que nous ne recevons quasiment aucune off re d'entreprises métropolitaines.»

«Gérard Morel, Factea Sourcing Océan Indien»

« L'insularité rend le métier d'acheteur plus compliqué à exercer.»

Publicité inutile

Comme l'indique le code des marchés publics, le respect de la concurrence est obligatoire. «Lors du contrôle de légalité de la sous-préfecture, les observations les plus fréquentes portent sur les défauts de mise en concurrence dans les marchés, relève Jean-Louis Dubois (Entre-Deux, Réunion). Mais le plus souvent, nous arrivons à maintenir l'équilibre et à stimuler la concurrence. La situation n'est pas si catastrophique que cela.» Par précaution, Olivier Eliezer (conseil régional de Guadeloupe) sollicite parfois l'avis de la DDCRF, le gendarme de la concurrence. De son côté, Philippe Rivière (CCAS Réunion) étaye au maximum ses dossiers en prévenant à l'avance sa direction que, sur un marché donné, le risque de se retrouver face à une seule entreprise existe.

Outre son influence sur le tissu économique et la concurrence, l'insularité plombe les prix finaux des produits et matériaux. En effet, la plupart sont importés et intègrent les coûts de transport. La flambée du prix du pétrole (+ 116% en un an) aggrave la situation. Dans le cas de la Réunion, située à 10 000 km de la métropole, Jean-Louis Dubois regrette «un manque de visibilité sur l'évolution des prix». Il avait pourtant adopté une démarche volontariste en plaidant, au côté d'autres acteurs des Drom, pour la création d'un Observatoire des prix locaux. Il a vu le jour en 2007, «mais ne fonctionne pas encore efficacement», déplore-t-il.

Les importations sont, de plus, soumises à une fiscalité dérogatoire. La TVA affiche un taux réduit (8,5 %) mais une taxe spécifique, «l'octroi de mer», frappe les importations (lire encadré ci-dessus). «En général, les surcoûts varient entre 20 et 40 % par rapport à la métropole, estime Mathias Bini (CCI Guadeloupe). Pour les travaux publics, nous sommes tributaires des importations de matériel. Et les collectivités locales importent la majeure partie de leurs commandes, notamment les denrées alimentaires.» La CCI encourage donc les regroupements de commerçants et la mise en place de plateformes d'approvisionnement locales, en liaison avec les grossistes importateurs. «Cela permet de minorer les surcoûts, notamment dans le domaine alimentaire», reprend Mathias Bini.

L'éloignement géographique impose également une contrainte de délais. «A la différence de la métropole, les délais de livraison sont très longs, explique Julie Boyer, des Acheteurs Coordinateurs régionaux (ACR) à l'ANPE pour la Réunion et Mayotte. Par exemple, pour le matériel informatique, le marché est national et le délai de livraison est d'environ quatre à six mois.» Selon Gérard Morel (Factea Sourcing Océan Indien), «il faut compter trois semaines pour des livraisons aériennes et environ deux mois et demi par voie maritime, qui est le principal mode de livraison.» A la mairie d'Entre-Deux, Jean-Louis Dubois donne l'exemple du marché de fournitures scolaires. «Je passe mon marché très en amont afin d'être certain d'être livré au mois d'août pour l'année scolaire suivante.»

Julie Boyer, ANPE

« A la différence de la métropole, les délais de livraison sont très longs.»

Le délai de livraison, un critère-clé de sélection d'un prestataire

La gestion des retards se pose donc avec acuité. Les acheteurs n'envisagent pas tous cette problématique de la même manière. Au ministère de la Défense, Karine Forterre-Pacaud, chef de la division soutien logistique des commissariats d'outre-mer aux Antilles (Martinique et Guadeloupe), a fait des délais de livraison un critère de choix prépondérant, au même titre que le prix, pour ses marchés de fournitures. «En moyenne, nous exigeons deux mois maximum», explique-t-elle. Mais, dans les faits, les retards sont monnaie courante. «Nous traitons de nombreux dossiers de pénalités de retard et, en parallèle, nous recevons des demandes d'exonérations, confie-t- elle. Le marché a été attribué sur la base du respect des délais. Et si nous ne soumettons pas les entreprises aux pénalités de retard, cela constituerait une entorse à la concurrence.» Ces retards sont principalement dus au fait que le matériel vient de loin, comme le mobilier de bureau, importé du Brésil ou d'Asie. Olivier Eliezer (conseil régional de Guadeloupe) avance une autre piste: «Souvent, nous ne fixons pas de délais et laissons les entreprises nous faire des propositions. À elles de s'engager.»

Les contraintes de ces achats publics ont des conséquences sur les usagers. Pour la mairie d'Entre-Deux (Réunion), qui prépare 1 000 repas scolaires par jour, le choix du surgelé s'est définitivement imposé. «Les produits frais ont tendance à disparaître car la production locale ne suit pas, explique Jean-Louis Dubois. Nous commandons donc de plus en plus souvent des produits surgelés auprès de deux ou trois gros importateurs. La particularité de l'Île de la Réunion, c'est que l'immense majorité de ces denrées vient de la métropole.» Voire d'Asie pour le riz et d'Inde pour l'oignon et l'ail. Néanmoins, les acheteurs publics peuvent compter sur la compréhension des usagers. Soumis aux mêmes aléas dans leur vie quotidienne, pour leur consommation personnelle, les particuliers ont bien conscience de ces difficultés et leurs plaintes restent rares.

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Des dérogations propres au droit de la commande publique

Dans les départements, régions et collectivités d'outre-mer, le droit de la commande publique connaît quelques spécificités par rapport à la métropole.
- Les départements et régions d'Outre-mer (Drom). La France comprend quatre Drom: la Guyane, la Martinique, la Guadeloupe, et la Réunion. Le droit de la commande publique applicable est le code des marchés publics avec la possibilité d'adapter certaines dispositions aux spécificités locales. «A notre connaissance, aucune adaptation n'a jamais été effectuée ces dernières années», indique-ton à la Direction des affaires juridiques de Bercy.
Les collectivités d'outre-mer (COM). Le droit de la commande publique s'y applique différemment selon que l'on est en présence d'un principe de spécialité législative ou de celui d'identité législative. Saint-Pierre-et-Miquelon et Mayotte sont, depuis le 1er janvier 2008, soumis au principe «d'identité législative», en application des lois organiques qui fixent leur statut. Un régime défi ni par l'article 73 de la Constitution qui dispose que les lois et règlements nationaux y sont applicables de plein droit. Des adaptations sont possibles, pour tenir compte de certaines spécificités. Celles-ci sont demandées soit par la collectivité quand elle y est autorisée, soit par le parlement ou le gouvernement. Les collectivités peuvent aussi élaborer des règlements portant sur certaines questions relevant du domaine de la loi, à l'exception des matières «régaliennes». Cependant l'Etat reste seul compétent pour édicter les règles en matière de marchés publics, comme le disposent les articles 177 et 178 du code des marchés publics, pour les collectivités de Saint-Pierre-et-Miquelon et de Mayotte, depuis le décret du 21 juin 2008.
- Les autres collectivités d'outre-mer (Polynésie, Nouvelle- Calédonie et Wallis et Futuna) sont soumises au régime de spécialité législative et d'autonomie défini par l'article 74 de la Constitution: des règlements peuvent être élaborés par les assemblées locales, à l'exclusion des matières régaliennes. Les collectivités peuvent donc édicter une réglementation de la commande publique pour leurs marchés, dans le respect des principes de transparence, d'égalité des candidats, de libre accès à la commande publique, d'efficacité et de bon emploi des deniers publics.

Fiscalité
Des taxes différentes de la métropole

La TVA s'applique dans les départements et régions d'outre-mer dans les mêmes conditions qu'en métropole mais à un taux de 8,5 % (contre 19,6 % en métropole), tandis que certains biens ou services sont soumis à un taux réduit de 2,10 % (par exemple les engrais utilisables dans l'agriculture). Pour le moment, la Guyane est exonérée de TVA. Pour l'application de la taxe, les quatre Drom sont considérés comme des territoires d'exportation par rapport à la France métropolitaine et aux autres Etats membres de l'Union européenne. L'expédition ou le transport d'un bien de la métropole à destination d'un Drom bénéficie de l'exonération prévue en matière d'exportation de biens, avec maintien du droit à déduction et possibilité d'utiliser la procédure spéciale de restitution du commerce extérieur (dite TVA non perçue récupérable). Les produits importés ou de fabrication locale analogue exonérés ouvrent aussi droit à déduction comme si la taxe avait été effectivement payée. Il s'agit donc d'une véritable subvention de 8,5%. En revanche, il existe une taxe supplémentaire dans les départements appelée «l'octroi de mer» et dont le taux varie entre 7 et 15 %. Créé au XVIIe siècle, il représente une imposition spécifique sur les produits arrivant sur leur territoire. Les taux sont fixés par les conseils régionaux. Ces taxes assurent un complément de ressources financières aux collectivités locales des départements d'outre-mer. L'octroi de mer représente presque la moitié du financement des communes.

 
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Florent MAILLET

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