Les limites des compagnies low cost
Les voyageurs d'affaires représentent un quart de la clientèle des compagnies low cost. Pour les spécialistes, leur utilisation par les entreprises répond davantage à une opportunité sur certains vols, voire à un effet de mode, qu'à un véritable choix économique.
Je m'abonneIl y a plus de place sur le siège d'un avion Ryanair que sur celui de La Navette Air France!», lance en plaisantant Matthieu Glasson, directeur des ventes et du marketing France de la compagnie irlandaise. Plus sérieusement, ce ne sont pas uniquement ces quelques millimètres de confort supplémentaire qui ont permis au numéro un des compagnies à bas coûts de séduire les voyageurs d'affaires. Mais cette remarque est tout de même significative de la volonté affichée par la compagnie d'attirer ce type de clientèle. Idem chez EasyJet, son principal concurrent. Durant les trois dernières années, ce dernier a fermé ses routes les moins rentables et inauguré 200 autres, reliant pour la plupart des villes d'affaires, avec des départs tôt le matin et tard le soir, propices aux déplacements professionnels.
Le nombre de compagnies low cost desservant la France est passé de dix à plus d'une trentaine au cours des cinq dernières années. Logiquement, les voyageurs ont le choix entre davantage de destinations (environ 280 contre 70 il y a cinq ans). Le modèle économique des compagnies à bas coût leur permet de proposer des tarifs infé rieurs, de 40% en moyenne, à ceux des compagnies traditionnelles. Comment? Grâce à des coûts de production réduits au maximum: absence de services gratuits à bord des appareils, augmentation de la capacité des avions, taux d'activité supérieur (vingt minutes seu lement de temps d'escale), utilisation de seulement un ou deux types d'appareils (Boeing 737 et Airbus A 319 le plus souvent)... Ce qui permet, entre autres, de limiter les qualifications des personnels, tant au niveau de la maintenance et de l'entretien que pour l'équipage et les pilotes.
Le choix d'aéroports dits «secondaires», éloignés des grandes villes, mais dont l'utilisation des terminaux se révèle moins coûteuse, a longtemps fait parler de lui. Ryanair dessert par exemple dix- neuf aéroports secondaires en France, dont une partie du trafic est liée aux voyages d'affaires. La compagnie estime en effet que cela permet aux collaborateurs des entreprises installées en région d'utiliser l'avion. Toutefois, de plus en plus de compagnies low cost desservent également des aéroports «primaires», à l'image d' EasyJet.
JEROME DREVON-BARREAUX, global travel manager, Capgemini
Témoignage
«Le choix du low cost? Une alternative, pas une fin en soi»
Chez Capgemini, les voyages représentent un budget annuel de 340 millions d'euros. Deux tiers des collaborateurs du groupe sont concernés. En France, l'entreprise est équipée, depuis deux ans, de l'outil de gestion des voyages KDS Corporate. Grâce à ce logiciel, les voyageurs d'affaires ont une visibilité complète des offres qui répondent à leurs critères de recherche, en particulier sur les vols directs. En revanche, pour les voyages complexes, c'est-à-dire ceux qui nécessitent plusieurs escales, ils font appel à leur agence de voyages, American Express. «Les collaborateurs sont sensibilisés pour choisir l'option la moins chère», explique Jérôme Drevon-Barreaux, global travel manager chez Capgemini. Mais pas à n'importe quel prix: «Ryanair, par exemple, n'est pas une alternative pour nos voyageurs d'affaires, car l'aéroport de Beauvais est trop éloigné de Paris», précise-t-il.
Par ailleurs, des accords avec les compagnies traditionnelles sont négociés sur un certain volume d'achats et l'entreprise veille à ce que les objectifs soient respectés. «Les offres des low cost constituent une alternative, pas une fin en soi, confie le travel manager. Nous remarquons aussi que les promotions des compagnies traditionnelles sont assez proches, en prix et en conditions, des offres des low cost. La force d'Air France réside dans son réseau et ses fréquences, ou encore dans son programme de fidélisation, qui influencent considérablement les choix des voyageurs. A faible écart de prix avec un low cost, Air France sera privilégié.»
Capgemini
ACTIVITE: société de conseil et de services informatiques.
CHIFFRE D'AFFAIRES: 7,7 milliards d'euros.
EFFECTIF: 70 000 personnes.
Des opportunités... à condition d'anticiper
Philippe Palvini, dirigeant de MP2 Travel, agence de voyages marseillaise spécialisée dans le voyage low cost sur mesure au départ et à destination de la Provence, est particulièrement bien informé des opportu nités concernant les compagnies à bas coût, dont il se sert pour développer son entreprise. Il voyage ainsi fréquemment pour référencer des fournis seurs: «En s y prenant suffisamment à l'avance, il est possible, pour 150 à 200 euros de billets, de voyager dans cinq ou six pays différents, témoigne ce dernier. Un aller de Marseille à Londres ne me coûte que 77 euros, dont 75 euros de taxes! Se déplacer de Londres en Allemagne, puis en Suède ou en Belgique est encore moins cher. L'élément-clé, pour profiter des meilleures offres, c'est l'anticipation.»
Au fur et à mesure du remplissage de l'avion, les prix augmentent, en effet, par palier. Pour les derniers clients servis, EasyJet est presque aussi cher qu'une compagnie traditionnelle. Car ces dernières pratiquent également la modulation tarifaire.
Mais l'anticipation n'est pas vraiment le point fort des voyageurs d'affaires qui, la plupart du temps, réservent au dernier moment, à J-3 ou J-5 dans le meilleur des cas. De plus, les billets des compagnies traditionnelles sont échangeables et remboursables sans pénalités, contrairement au low cost. Néanmoins, depuis quelque temps, certaines compagnies à bas coût offrent la possibilité au voyageur qui rate son avion de prendre le suivant, moyennant 54 euros de frais, par exemple chez EasyJet, soit presque le prix du ticket moyen, qui est de 57 euros! Or il apparaît qu'un voyageur d'affaires opère en moyenne, selon Carlson Wagonlit Travel, deux à trois changements par voyage. ..«En admettant que le billet low cost reste rentable après deux annulations, il est toujours délicat, pour le voyageur, de devoir justifier sa note de frais», remarque également un expert.
Matthieu Glasson, Ryanair
«En améliorant le confort de nos sièges, nous visons aussi la clientèle affaires.»
L'absence de préréservations
L'atout maître qui permet aux compagnies low cost de proposer des tarifs hypercompétitifs réside dans une réduction drastique de leurs coûts de distribution: ainsi, 95% des billets sont émis en ligne, le reste des ventes se faisant par téléphone ou dans les aéroports, au comptoir des compagnies. Cet avantage économique est en réalité un handicap dans l'univers des voyages d'affaires. En effet, les low cost ne proposent pas de système de préréservation, contrairement aux compagnies traditionnelles. La réservation d'un billet n'est effective qu'une fois le paiement en ligne réalisé. Pour être sûr que son vol soit bien réservé, le voyageur d'affaires doit utiliser immédiatement sa carte corporate s'il en possède une, voire sa propre carte de crédit, à charge pour lui de se faire rembourser ultérieurement. De ce fait, les réservations auprès des compagnies à bas coût échappent à tout processus d'approbation dans les entreprises. Autre frein majeur à l'achat de billet low cost: l'inexistence de programme de fidélisation. Un critère de réservation largement répandu parmi les voyageurs d'affaires.
D'autre part, les entreprises ont la possibilité, à partir d'un certain volume d'achat (de l'ordre de 60 000 euros HT chez Air France), de négocier des tarifs avec les compagnies traditionnelles sur certains vols. Mais pour bénéficier de ces tarifs négociés, l'entreprise doit s'en tenir au volume annoncé. Parfaitement conscients de leurs lacunes dans ces domaines, les observateurs pensent que les compagnies à bas coût vont vraisemblablement proposer aux entreprises des «fréquent flyer programs», ainsi que des contrats à l'année. C'est d'ailleurs déjà le cas des deux leaders du low cost en Allemagne, un marché plus mature qu'en France. Air Berlin et German Wings proposent en effet aux entreprises des contrats à l'année et des systèmes de bonus sur les miles pour les salariés. D'autres services - payants - sont régulièrement proposés par les compagnies à bas coût. Comme la possibilité, chez EasyJet, de réserver une voiture à l'arrivée de l'aéroport. La compagnie britannique offre également à ses clients la possibilité d'embarquer parmi les premiers et de choisir une place dans l'avion, un service facturé de 3,75 à 1 1,25 euros selon les routes. Pour 21 euros, les voyageurs ont même accès a des salons d'attente confortables. Au final, une analyse très poussée des avantages et des inconvénients des compagnies à bas coût s'impose: comparaison avec les tarifs négociés auprès des compagnies traditionnelles, fréquence des vols, éloignement des aéroports, qualité de service, etc. «L'achat de billets low cost doit répondre à une opportunité, conclut
Stéphane Donders, directeur général de KDS, une entreprise spécialisée dans l'optimisation des voyages d'affaires. Il ne s'agit pas de rechercher des économies à tout prix au détriment de la sérénité du voyageur par rapport à ses rendez-vous d'affaires.»
L'avenir? «Ce sont les compagnies traditionnelles qui vont de plus en plus copier les low cost que l'inverse, en témoignent les low fares (tarifs promotionnels), qui constituent la réponse de ces compagnies aux low cost, prédit un spécialiste au marcne. Les compagnies a bas coût, quant à elles, vont attaquer le marché du long courrier, à I'image de l'Avion.» Cette compagnie du groupe Elysair propose, il est vrai, des vols directs Orly/New York exclusivement en classe affaires à partir de 1 275 euros TTC. D'autres font de même depuis Londres, comme Eos Airlines, Silverjet et Maxjet. Cette réacti vée des compagnies low cost pousse les compagnies traditionnelles à plus de créativité. Le tout dernier service d'Air France permet ainsi aux voyageurs d'affaires d'effectuer leur enregistrement via l'Internet mobile de leur téléphone portable jusqu'à trente minutes avant l'heure limite d'enregistrement du vol! Une surenchère qui profite, en tout état de cause, aux voyageurs.
SEBASTlEN MARCHON, senior manager chez Carlson Wagonlit Travel.
Expertise
Un phénomène de mode pour Carlson Wagonlit Travel
Les compagnies low cost, en particulier depuis la France, n'offrent pas la même couverture que les compagnies traditionnelles. Elles ne peuvent donc pas répondre à l'ensemble des besoins des entreprises en matière de voyages d'affaires. Chez Carlson Wagonlit Travel, on reste donc sceptique quant à l'opportunité d'intégrer les compagnies low cost dans les politiques voyages des entreprises. «Lors des négociations annuelles, les compagnies traditionnelles, qui ont une meilleure desserte et des horaires adaptés, attendent des entreprises un certain volume d'achats sur les destinations où la concurrence des compagnies low cost est forte, explique Sébastien Marchon, senior manager chez Carlson Wagonlit Travel. Si elle est atteinte, la compagnie fera un geste sur les autres routes, peu ou non couvertes par les compagnies low cost. Dans le cas contraire, l'entreprise sera pénalisée sur toutes les routes.» Et de citer l'exemple d'un client qui, au final, en privilégiant systématiquement les compagnies low cost sur certaines destinations, n'avait réduit sa dépense globale que de 2,4%. «A travers différentes études, nous avons calculé que sur un programme total, la fourchette moyenne de réduction des coûts, grâce à l'utilisation de l'offre low cost, se situe entre 0,5 et 4%, reprend Sébastien Marchon.
L'achat de billets low cost est une mode plus qu'un réel levier de réduction des dépenses.» Carlson Wagonlit Travel encourage donc ses clients à réserver le plus tôt possible sur les compagnies traditionnelles où le billet reste échangeable et remboursable. Entre J-15 et J-3, les écarts de prix sont déjà de 35%.