Les limites de l'open space
La moitié des salariés travaillent aujourd'hui dans des open spaces. Cet aménagement de l'espace de travail favoriserait une sensation de stress des salariés. Il existe pourtant des solutions pour remédier à cet effet indésirable.
Je m'abonneLaurent Voisin définit le nouveau siège social de Sodexo, dont il a piloté l'emménagement à Issy-les-Moulineaux (Hauts-de-Seine) l'année dernière, comme «un espace ouvert à 100%, convivial et propice à la communication. Le précédant siège social datait des années soixante-dix et les bureaux fermés représentaient la norme, témoigne le directeur de projet à la direction des ressources humaines de Sodexo. Nous souhaitions améliorer le cadre de vie des collaborateurs et renforcer leur sentiment d'appartenance à l'entreprise.» Cependant, le critère économique est resté prégnant lors du choix de nouveaux aménagements. «Le coût du mètre carré par collaborateur est légèrement plus élevé qu'auparavant. Mais les coûts d'exploitation, relativement faibles, nous permettront de réaliser des économies à moyen terme», confie-t-il. Pour les 450 employés du groupe, le changement s'est révélé radical. «Conscient de leurs réticences face à une solution tout open space, notre directeur général s'est impliqué dans le processus de décision. Cet engagement a constitué un élément déterminant dans la réussite du projet», précise Laurent Voisin . Afin de rassurer ses salariés, l'entreprise a mis en place un site intranet dédié, organisé des showrooms pour présenter les futurs aménagements et édité une charte de conduite des collaborateurs dans les open spaces.
Vers la disparition des bureaux individuels
L'expérience de Sodexo n'est pas un cas isolé. En France, 43% des salariés, tous secteurs confondus, travaillent dans des espaces partagés, selon Sociovision Cofremca, un cabinet de conseil spécialisé dans le management des ressources humaines et des organisations. Si on ne peut pas encore parler de norme, il est clair que le bureau personnel est une espèce en voie de disparition, en particulier dans le secteur tertiaire. «Depuis plusieurs décennies, les entreprises cherchent à réaliser des économies. L'open space est l'une des réponses à cette recherche», analyse Pierre Bouchet, directeur associé de Génie des Lieux, un cabinet de conseil spécialisé dans l'aménagement de l'espace de travail. Toujours selon Sociovision Cofremca, le gain d'espace oscillerait ainsi entre 10 et 40%. Les entreprises n'ont d'ailleurs pas toujours le choix. Les immeubles conçus depuis quelques décennies par les architectes, avec des plateaux de plus de 18 mètres de profondeur, les obligent à aménager des open spaces pour occuper tout l'espace offert, selon Pierre Bouchet (Génie des Lieux).
Parmi les autres avantages avancés: la communication. L'open space favorise, en effet, la transparence, l'esprit d'équipe et la convivialité, des valeurs très recherchées par les entreprises. «Chacun admet aujourd'hui que la communication joue un rôle majeur dans la performance. Or, les entreprises et les aménageurs considèrent qu'un espace ouvert augmente la fluidité de l'information et favorise les échanges informels», constate Mickaël Fenker, chercheur au Laboratoire Espace Travail (LET) à l'école supérieure d'architecture de Paris-La Villette. Il tempère pourtant ses propos en rappelant que «si le volume des communications s'accroît dans un open space, leur qualité peut s'en trouver dégradée».
Martine Jannet, responsable des services généraux, Pepsico France
Témoignage - «Nous souhaitions encourager la communication entre nos collaborateurs»
Le siège social de Pepsico France, situé dans la commune de Colombes (Hauts-de-Seine) depuis avril 2008, est composé de six étages et autant de plateaux de 1 000 m2 chacun. Pour l'aménagement de ces nouveaux locaux, le fabricant et distributeur de sodas, jus de fruits et autres snacks salés a privilégié les open spaces plutôt que les bureaux individuels ou partagés. «Nous souhaitions encourager la communication entre nos collaborateurs et fluidifier les relations entre les services, témoigne Martine Jannet, responsable des services généraux chez Pepsico France. L'open space s'est révélé être la meilleure réponse à notre besoin.» Un véritable changement dans la culture de l'entreprise dont les anciens locaux, situés à Nanterre (Hauts-de-Seine), étaient essentiellement composés de bureaux individuels. «Nous avons dû vendre en interne l'idée de passer à l'open space», indique Martine Jannet. Si l'aménagement du nouveau siège social est confié à un space planneur (Mobilitis, NDLR), les collaborateurs sont impliqués dans le choix du mobilier puis invités à se prononcer entre deux projets. «Nous avons transformé deux salles de réunions en showroom pour que les salariés de l'entreprise puissent mieux se rendre compte des aménagements proposés», explique la responsable des services généraux. Pour convaincre les plus récalcitrants, jusqu'à huit bulles par plateau permettent de s'isoler pour travailler ou se réunir. «Aujourd'hui, les retours quotidiens que nous récoltons sont positifs», se félicite Martine Jannet.
Pepsico
ACTIVITE Fabricant et distributeur de colas, jus de fruits et snacks salés
CHIFFRE D'AFFAIRES 2007
500 millions d'euros
EFFECTIF
300 salariés
Espaces partagés: un mal nécessaire?
Cette forme d'aménagement suscite depuis quelques mois une certaine controverse. En témoigne la sortie du livre d'Alexandre des Isnards et de Thomas Zuber, L'open space m'a tuer, aux éditions Hachette Littérature. Ce pamphlet accuse notamment l'open space de favoriser l'anxiété et même de nuire à la productivité. «On ne peut pas nier que l'open space soit le symbole d'une certaine culture d'entreprise pesant sur les individus et générant du stress», affirme l'un des auteurs, Alexandre des Isnards. «Le passage à l'open space est souvent mal vécu par les collaborateurs. Ils perdent une partie de leur intimité et, au-delà, la reconnaissance de leur statut», commente, de son côté, Pierre Bouchet (Génie des Lieux), qui estime toutefois que le rapport à l'open space est avant tout personnel. «Pour certains collaborateurs, les espaces ouverts favorisent les échanges de savoir et le travail collectif. Mais pour ceux qui rencontrent des difficultés professionnelles, l'open space est un frein supplémentaire car ils ne disposent plus d'espaces de replis pour se protéger et se reconstruire.» Dès lors, ne vaudrait-il pas mieux repenser ce type d'aménagement? Cette proposition a été lancée, non sans provocation, par l'Observatoire de la qualité de vie au bureau (Actinéo) lors d'une conférence organisée, en novembre dernier. «Il n'est pas question de fermer les open spaces, répond Alain d'Iribarne, le président du conseil scientifique d'Actinéo. Trop souvent décriés , ils constituent pourtant une solution d'avenir en termes d'économies et de performance. A condition de bien les concevoir.» Un point de vue que partage Alexandre des Isnards: «Il ne s'agit pas de remettre en cause l'open space, ce qui serait illusoire. Mais il doit être mieux aménagé, de façon à offrir un peu plus d'isolement et d'intimité aux collaborateurs.»
Les alternatives aux open spaces
De leur côté, les aménageurs ont, bien entendu, prêté une oreille attentive aux critiques émises contre les espaces ouverts. Pour remédier au problème de bruit, ils proposent, depuis quelques années, de concevoir de petits espaces collectifs au sein même des plateaux, permettant à un collaborateur de s'isoler ou à plusieurs d'organiser des réunions impromptues. Le mobilier a également évolué. On trouve désormais des sièges à mécanisme synchrone pour améliorer le confort d'assise, des cloisons mobiles, de nombreux accessoires de rangement, etc. L'installation de plantes vertes est également encouragée. Enfin, l'esthétique des lieux n'est pas oubliée: les tons neutres (beige, gris) sont progressivement abandonnés au profit de touches plus colorées (jaune, vert, bleu).
Si les espaces partagés gagnent du terrain, les espaces collectifs se développent également. Ainsi, des espaces de détente apparaissent de plus en plus dans les entreprises avec des canapés, écrans de télévision, jeux vidéos, vélos d'appartement, baby-foot, etc. «Les entreprises cherchent aujourd'hui à créer des espaces beaucoup plus diversifiés, pouvant être utilisés de manière optimale par chaque collaborateur, à un moment donné», résume Alain d'Iribarne (Actinéo). C'est le cas, par exemple, du siège social de Coca-Cola Entreprise, situé à Issy-les-Moulineaux (Hauts-de-Seine). Il abrite des «espaces de confidentialité» à l'intérieur de ses open spaces. «Ces bulles de travail , qui prennent la forme de très petites salles de réunion ou d'un bureau avec d eu x personnes en face-à-face, permettent à nos collaborateurs de retrouver une certaine confidentialité», témoigne Yves Picot, responsable des services généraux de Coca-Cola Entreprise. Le groupe a également mis en place des «espaces de convivialité». «Il s'agit de cafétérias d'un nouveau type, à la décoration originale. Elles sont conçues de façon à faciliter les échanges entre nos collaborateurs, dans un esprit de détente et de confiance», explique Yves Picot. Aujourd'hui, l'entreprise compte un distributeur automatique de boissons pour 50 collaborateurs. «Ils sont implantés comme une prolongation de l'espace de travail», précise le responsable des services généraux. Les efforts d'aménagement et leur contribution à la performance économique de l'entreprise sont reconnus. «Les espaces de convivialité sont des lieux très prisés par les collaborateurs pour échanger des informations ou effectuer des débriefings rapides. Leur contribution à l'efficacité de l'entreprise est évidente», conclut Yves Picot. Et ce, même si aucun indicateur n'est capable de le mesurer.
Docteur Patrick Constant, directeur médical France, ExxonMobil
Témoignage - «Les open spaces mal conçus engendrent stress, fatigue et nervosité»
La plupart des locaux tertiaires du groupe ExxonMobil dans le monde sont agencés en open spaces. Le docteur Patrick Constant, directeur médical France du groupe spécialisé dans la pétrochimie et la distribution de produits pétroliers et chimiques, se montre particulièrement vigilant à l'égard de cette organisation de l'espace de travail. L'aménagement des locaux en open spaces doit, selon lui, répondre à des critères stricts concernant les ambiances sonore, thermique et lumineuse. Ainsi, le docteur Constant rappelle que «le niveau sonore dans les open spaces est en moyenne de 70 décibels alors qu'idéalement, il devrait être de 50 à 55 décibels». Demême, l'espace de travail optimal d'un collaborateur devrait être de 10 m2, le mobilier utilisé ergonomique. «Il convient, par ailleurs, de renoncer aux grands plateaux, en privilégiant les bureaux partagés entre six et huit collaborateurs», estime le docteur Patrick Constant. La prise en compte de l'ensemble de ces critères et recommandations permet ainsi de minimiser, selon le médecin, l'impact négatif des open spaces sur la santé, «qui peuvent engendrer, en cas défaut de conception, stress, fatigue et nervosité», indique le Docteur Patrick Constant.
ExxonMobil
ACTIVITE
Pétrochimie, distribution de produits pétroliers et chimiques
CHIFFRE D'AFFAIRES MONDE 2007
300 milliards d'euros
EFFECTIF MONDE
105 000 collaborateurs
Alain D'Iribarne, Actinéo
« Trop souvent décriés, les open spaces sont pourtant une solution d'avenir en termes d'économies et de performance. A condition de bien les concevoir. »