Les écoles d'achat épousent les évolutions du métier
Aujourd'hui, les formations achats mettent davantage l'accent sur l'international ou les achats hors production, sans négliger les outils plus techniques. Une évolution qui illustre les mutations du métier d'acheteur, dans lequel les diplômés spécialisés tiennent une place grandissante.
Je m'abonneDes cours de théâtre pour les futurs acheteurs! A raison d'une trentaine d'heures par an, les étudiants du mastère spécialisé (MS) gestion des achats internationaux de l'Essec se rendent par petits groupes au Théâtre 95, situé à deux pas de leur campus, à Cergy-Pontoise (Val-d'Oise). Le directeur de l'établissement, accompagné d'une actrice, fait travailler les «mastériens» sur l'expression corporelle et l'écriture scénique. Le responsable de la formation du MS, Patrice Pourchet, est l'initiateur de ces rencontres qui ont débuté il y a quelques années. «Elles ont pour objectif d'apprendre au futur acheteur à maîtriser les outils d'expression. Le métier a évolué. De générateur d'économies, l'acheteur est devenu générateur de business. Il est aujourd'hui essentiel d'élaborer des stratégies globales et de les expliquer devant un comité exécutif qu'il faut convaincre.» Ce module est inclus dans le tronc commun sur les «compétences comportementales et managériales», l'un des trois axes de la formation. Il illustre la montée en puissance des «soft skills», ou compétences sociales et comportementales, dans les formations de troisième cycle achats. Deux autres volets, plus classiques, abordent la compétence métier liée à la fonction achats et les méthodes et les outils spécifiques.
A l'Essec, comme dans les autres formations, l'accent est mis sur plusieurs enseignements en lien direct avec l'évolution du métier d'acheteur: achats hors production, supply chain management, ainsi que toutes les matières concernant l'internationalisation des achats, comme le sourcing dans les pays à bas coûts. L'IAE Grenoble a même créé un forum sur le thème: «Les métiers de l'achat: enjeux d'aujourd'hui, défis pour demain». Responsables des ressources humaines et des achats se sont accordés sur l'importance des éléments comportementaux de ce métier. Nathalie Merminod, responsable du Desma (master management stratégique des achats) de l'IAE Grenoble, a notamment présenté une étude américaine synthétisant les grands défis de la fonction achats à l'horizon 2010. «Deux d'entre eux concernent directement les compétences humaines, a-t-elle analysé. Il s'agit, d'une part, de la capacité des achats à travailler en équipe et de manière centralisée dans un contexte multifiliale par exemple, et d'autre part, de celle à collaborer efficacement avec les autres services de l'entreprise en maîtrisant leurs codes et leur langage.» Gordon Crichton, responsable du MS Management des achats industriels (MAI) de Bordeaux Ecole de management, insiste lui aussi sur l'importance de ce talent humain. «Dans leur dialogue avec le directeur financier ou le p-dg, les acheteurs savent parler des économies qu'ils ont réalisées ou de la e-plateforme qu'ils ont mise en place. Mais combien sont capables de traduire ces éléments en discours sur la création de valeur générée pour l'actionnaire ou pour l'entreprise?», s'interroge-t-il. Selon lui, le relationnel et la capacité à bien communiquer sont deux éléments-clés du métier. «Ces critères sont pris en compte dans la sélection de nos étudiants. Et nos cours sont de plus en plus tournés vers le comportement achats, notamment en interne.»
Témoignage
«Posséder une culture internationale est un atout»
STANISLAS CHEVALET, directeur des achats chez BNP Paribas.
Depuis quelques années, le directeur des achats de BNP Paribas, Stanislas Chevalet, participe à divers niveaux dans les formations d'acheteurs. Il a longtemps assuré un cours complet sur les achats hors production au sein du Mastère gestion des achats internationaux de l'Essec. Aujourd'hui, il intervient ponctuellement pour présenter le cas de son entreprise, comme récemment, à L'EM Lyon, sur le thème «Purchasing, method and tools» (Achat, méthode et outils). «Cela permet de réfléchir sur des sujets, de se confronter au milieu universitaire et de se tenir au courant des meilleures pratiques achats. Les échanges avec les étudiants sont aussi l'occasion d'identifier de futurs stagiaires ou candidats à haut potentiel.» Le service achats de BNP Paribas compte une trentaine de collaborateurs, dont plusieurs sont diplômés des formations achats. Si les qualités personnelles du candidat et son expérience professionnelle sont les deux critères privilégiés, le diplôme constitue unélément de choix. «Dans ce cas, nous nous intéressons au contenu de la formation suivie, et à sa plus-value sur les achats que nous traitons. La qualité des entreprises qui interviennent au cours du cursus est aussi un bon indice, indique Stanislas Chevalet. La formation suivie par le candidat et son expérience en stage doivent lui permettre d'identifier les meilleurs leviers et d'être rapidement autonome.» Les prochains candidats recrutés dans les écoles devront répondre aux deux défis principaux de la fonction achats, selon Stanislas Chevalet.
«Nous souhaitons des acheteurs possédant une culture internationale, qui soient capables de négocier dans tous les pays, avec tous les types d'entreprises, explique-t-il. Ils doivent posséder les qualités de chef de projet mais aussi comprendre globalement les mécanismes financiers d'un grand groupe.»
Synthèses orales chronométrées
Signe des temps, une dizaine d'intervenants diffusent cette dimension comportementale dans les cours du MAI. «Il s'agit soit de spécialistes de la communication et de la négociation, soit de directeurs achats qui détaillent leur argumentaire sur des cas concrets rencontrés en entreprise», explique Gordon Crichton. Les missions pratiques confiées aux étudiants (rédaction d'un appel d'offres, analyse financière de fournisseurs...) sont orientées dans ce sens. Les synthèses orales sont chronométrées et limitées à cinq minutes. Le document PowerPoint de présentation est parfois interrompu afin de tester la capacité de rebond de l'étudiant à l'oral et sa maîtrise du sujet. Quant aux notes de synthèse, elles n'excèdent pas six pages et les «mastériens» doivent parfois, quelques heures avant de les remettre au responsable de formation, les traduire en anglais. «Nos étudiants sont ainsi directement opérationnels pour un poste dans une multinationale, qui est leur débouché le plus fréquent, plaide Gordon Crichton. Notre ambition est de former des managers qui ont du leadership. En d'autres termes, l'acheteur doit être rigoureux, mais il doit aussi créer de l'enthousiasme et une dynamique, d'où l'importance de ces «soft skills». C'est en réunissant tous ces éléments que l'on s'impose dans la conduite du changement.»
En matière de «hard skills» (ou compétences techniques), le contenu des enseignements a également beaucoup évolué ces dernières années. Pour les appréhender, les écoles mènent une veille permanente. A l'IAE de Grenoble, un comité de pilotage se réunit une fois par an pour concevoir et actualiser le programme du Desma avec de nouveaux modules intégrés tous les trois ans. Le comité est composé d'enseignants, d'anciens diplômés du club Desma et de responsables achats de la vingtaine d'entreprises partenaires, comme HP ou Bouygues l'an dernier. «Nous étoffons certains cours si les retours d'expérience confirment un besoin réel», explique Philippe Protin, responsable de la spécialité achats.
A l'Essec, un comité d'orientation pédagogique réunit enseignants, responsables achats et anciens diplômés une fois par an «pour une analyse croisée sur le contenu de l'enseignement», indique Patrice Pourchet. En 2003, l'école de commerce a copiloté la mise en place de l'Observatoire des achats, qui dresse un état des lieux annuel des pratiques et des organisations dans les entreprises françaises. Les résultats permettent d'identifier les matières porteuses. Les responsables de formation relèvent d'abord une forte montée en puissance des achats hors production. «Globalement, l'économie se tertiarise, analyse Philippe Portier, responsable du MS acheteur manager international (AMI) de l'EM Lyon. Cela se traduit par une forte augmentation des achats de prestations intellectuelles ou de services, comme la communication, le marketing ou la formation.» Depuis trois ans, le MS propose un module de 12 heures sur le thème «manager des prestations de services». «Nous nous appuyons sur l'expertise développée dans un autre mastère de l'école, spécialisé dans le management des entreprises de services, explique Philippe Portier. Nous le déclinons à travers une problématique achat, difficile à appréhender compte tenu de la nature de ces prestations, à la fois immatérielles, hétérogènes et périssables. En nous appuyant sur des cas d'entreprises, nous dégageons une méthode et des outils particuliers, par exemple pour mesurer la qualité du personnel de nettoyage à travers la perception qu'en ont les collaborateurs.»
Témoignage
«Choisir une spécialité achats prouve sa motivation»
STEPHANE LEBARBIER, directeur des achats, AstraZeneca.
Sur les trois acheteurs de l'équipe de Stéphane Lebarbier, directeur achats du groupe pharmaceutique AstraZeneca, deux sont diplômés d'une école de commerce et d'un troisième cycle achats (MAI de Bordeaux et MSGAI Essec). Ils disposaient également d'au moins trois années d'expérience au moment de leur embauche. Le service accueille, par ailleurs, régulièrement des stagiaires issus des écoles. «Tous m'ont donné entière satisfaction», reconnaît Stéphane Lebarbier. En conséquence, un diplôme de troisième cycle achats, combiné à trois ou quatre années d'expériences réussies, fait partie des critères de sélection des candidats au poste d'acheteur. «Je cherche des collaborateurs immédiatement opérationnels et possédant une première expérience réussie», indique-t-il.
Les achats d'AstraZeneca pèsent annuellement 200 millions d'euros, dont 74% d'achats hors production, en prestations intellectuelles notamment (marketing, etc.). Selon lui, suivre un troisième cycle spécialisé révèle une motivation indispensable dans le métier. «Dans le cursus école de commerce, une quarantaine de matières différentes sont abordées durant les trois années, dont les achats, mais en très faible quantité d'heures. Un étudiant qui choisit de se spécialiser dans ce domaine prouve déjà sa volonté d'exercer ce métier», justifie-t-il. Dans les faits, la méthodologie appliquée correspond. «J'avais par exemple confié à l'un d'eux le suivi de la logistique des congrès, symposium et séminaires, une famille stratégique pour nos clients qui sont en majorité des médecins, raconte Stéphane Lebarbier. Cet acheteur a construit un process de référencement très ambitieux, en réduisant le panel fournisseurs de vingt à trois.» Une action qui a permis de mieux négocier par la suite le tarif des prestations.
Internationalisation et multiculturalisme
Au MAI de Bordeaux, les achats hors production étaient étudiés dans un module global il y a encore trois ans. Ils font désormais l'objet de focus par grandes familles. «Cette année, nous avons par exemple consacré neuf heures de cours aux achats de voyages. La flotte automobile ou l'informatique sont également traités», indique Gordon Crichton.
L'internationalisation des achats est un autre thème qui mobilise les écoles. On retrouve classiquement les matières traitant de ce type d'achats: «marché de matières premières», «sourcing international», etc. La complexification de l'économie nécessite néanmoins la maîtrise de nouveaux aspects: l'enseignement du droit commercial international ou la finance. Le Desma propose ainsi deux journées d'achats internationaux où les aspects financiers montent en puissance. «On ne peut pas faire de nos étudiants des financiers accomplis en deux jours, explique Philippe Protin. Il s'agit de leur fournir les connaissances de base. Par exemple, comment benchmarker les prix d'achats de matières premières cotées, comment utiliser des produits financiers tels que les contrats à terme ou les swaps (contrats d'échange de flux financiers), etc.» Les problématiques des droits de douane ou de la couverture du taux de change font également partie du programme. Des notions fondamentales pour le futur acheteur international.
Cette approche du marché mondial se couple avec une maîtrise des langues de plus en plus poussée. L'anglais fait partie des critères de sélection des candidats aux écoles, et plusieurs séminaires et cours en anglais jalonnent la formation. La seconde langue reste, dans la majorité des cas, optionnelle. En revanche, les cours ayant trait aux aspects multiculturels se multiplient. L'EM Lyon propose ainsi un module de sensibilisation à «quatre systèmes de valeur culturelle»: les cultures anglo-saxonne, chinoise, japonaise et germano-scandinave. Les promotions des troisièmes cycles achats jouent elles- mêmes le jeu du multiculturalisme. Elles accueillent de plus en plus d'étudiants chinois, brésiliens... Les nouveaux outils prennent également une part croissante dans l'enseignement. Les exemples sont nombreux. Depuis l'an dernier au MS achats et logistique industrielle de Grenoble Ecole de management, un module de six heures familiarise les étudiants à l'utilisation des places de marché et leur délivre une certification reconnue en plus du diplôme. «Il est important de former les étudiants à ces outils dont ils se serviront pour standardiser des processus d'attribution des marchés», indique le responsable de la formation, Salvator Maira. Grâce à des partenariats avec des développeurs, l'école propose par ailleurs un module de 16 heures portant notamment sur les nouveaux outils de standardisation des processus achats, de communication et de diffusion des bonnes pratiques. Les étudiants sont ainsi formés sur les coûteux logiciels ou systèmes d'information qu'ils retrouveront en entreprise, comme les ERP, les prologiciels de gestion intégrée. Le contenu pédagogique s'est ainsi peu à peu élargi dans la majorité des écoles. Après cette phase d'apprentissage, les étudiants sont alors prêts à passer à la seconde phase du programme: une mission de six mois en entreprise, qui débouchera immédiatement, dans 60 à des cas, sur un CDI. Les stagiaires font donc, dans l'ensemble, leurs preuves. «Dès la sortie de l'école, nous sommes opérationnels, explique Aurélien Merel, aujourd'hui acheteur industriel de composants mécaniques chez Radiall, diplômé du MS achats et logistique industrielle de Grenoble EM en 2004. Lors de mon stage, j'étais directement chargé de la mise en place d'outils e-achats pour un marché mondial. L'entreprise m'a fait confiance car tous ces aspects avaient été abordés à l'école: une stratégie achats, les bonnes pratiques pour optimiser les gains, le délai et la qualité, le processus d'appel d'offres, le management du fournisseur, etc.» Selon les estimations de plusieurs responsables achats, 30 % des recrutements concernent aujourd'hui un jeune issu de ces troisièmes cycles.
Témoignage
«Les étudiants maîtrisent parfaitement les outils et les techniques achats»
JEAN-PHILIPPE, purchasing management coordination director, Volvo.
Ancien diplômé de l'EM Lyon (troisième cycle marketing industriel), Jean-Philippe Kretz, purchasing management coordination director de Volvo, dans la région lyonnaise, participe à des jurys, des témoignages d'entreprise et assure deux à trois interventions annuelles dans son ancien établissement, dont certaines dans le cadre du mastère spécialisé acheteur manager international. Parallèlement, le service achats de Volvo accueille plusieurs stagiaires de troisième cycle achats. «Ils maîtrisent parfaitement les techniques et les outils, constate Jean-Philippe Kretz. En revanche, certains sont moins performants lorsqu'il faut analyser leur marché, en identifier les leviers et les contraintes, etc. C'est pourtant là que l'acheteur exprime son potentiel. Il n'existe pas de recette unique pour définir une stratégie achats ou faire une approche en amont d'un marché.» La personnalité des candidats reste primordiale dans le processus de recrutement, diplôme d'achats en poche ou non. «Au niveau personnel, nous attendons le plus possible d'expérience à l'international, explique Jean-Philippe Kretz. Professionnellement, la capacité à prendre de la hauteur par rapport à la problématique achats est essentielle, de même que le sens du travail en équipe et une certaine forme de leadership.» Jean-Philippe Kretz sonde les capacités des futurs acheteurs à travers des études de cas. Dernièrement, il a chargé un groupe du MS de l'EM Lyon d'un travail sur «les organisations pour aborder la question des fluctuations des matières premières». Il s'agissait, en trois semaines, de rechercher des informations sur ce marché et d'effectuer un benchmark global sur les pratiques des autres entreprises. «Au-delà des apports de l'étude, ce type d'exercice recrée les contraintes que les acheteurs rencontrent en entreprise: tenir un délai, supporter la pression...» Cela lui a également permis de remarquer les étudiants aux profils les plus intéressants.
Le classement des meilleurs troisièmes cycles achats en France
Le classement établi par le cabinet d'orientation SMBG repose sur trois critères principaux: la notoriété de la formation, le salaire de sortie et le retour de satisfaction des étudiants.
Témoignage
«Les jeunes ont une formation ingénieur/acheteur»
JEAN-PAUL SARKISSIAN, responsable des achats techniques, La Française des Jeux.
Diplômé du Desma de l'IAE Grenoble en 1995, Jean-Paul Sarkissian, responsable des achats techniques de La Française des Jeux, a pris en charge deux modules d'enseignement dans son ancienne école (prestations intellectuelles et négociations achats). Il est également président du club des anciens diplômés. Au cours de son parcours professionnel (HP, Schneider), il a relevé un intérêt croissant des entreprises pour les profils issus de troisièmes cycles achats. «Les jeunes diplômés ont désormais une double formation ingénieur/acheteur, constate Jean-Paul Sarkissian. Ces derniers ont donc un avantage par rapport aux profils classiques d'ingénieurs, arrivés par voie interne, avec des connaissances techniques poussées mais sans aucun background achats.» Au sein de La Française des Jeux, 50 % des équipes achats techniques sont aujourd'hui composées de diplômés de ces grandes écoles. Les connaissances techniques sur une famille sont importantes, mais elles ne suffisent plus, selon Jean-Paul Sarkissian. «Il faut également savoir bâtir des reportings efficaces, des tableaux de bord, etc., indique-t-il. Ces jeunes diplômés ont d'autres atouts. Par exemple, ils n'ont pas peur d'utiliser les nouveaux outils ou process, comme les enchères inversées qu'ils ont appris à maîtriser dans leur cursus.»