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Les chartes éthiques suscitent le débat

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Se doter d'un code pour mieux encadrer les relations avec ses fournisseurs? Certaines directions achats ont déjà franchi le pas depuis longtemps, d'autres hésitent encore. Quant aux experts, ils sont également partagés.

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Le fait divers a fait la Une de l'actualité en février dernier. Une assistante achats de la société Cryospace, qui fabrique des équipements pour les réservoirs de la fusée Ariane, a été mise en examen pour «escroquerie en bande organisée, faux et usage de faux, et blanchiment». Cette femme de 42 ans, qui travaillait depuis vingt ans chez Cryospace, est en effet accusée d'avoir détourné près de 13,5 millions d'euros entre 2004 et 2008. Selon son avocat, elle avait mis en place «un système de faux bons de commande et de faux bons de livraison» mais avec, à l'arrivée, de vraies factures. L'argent détourné lui aurait servi à des fins personnelles (voyages, cadeaux, etc.). Le compagnon de cette employée, technicien de Cryospace, a également été incarcéré et plusieurs complices parmi les fournisseurs ont aussi été mis en examen. Si une telle escroquerie reste du domaine de l'exception, elle rappelle combien l'éthique se doit d'être une valeur fondamentale de tout acheteur. C'est pourquoi certaines entreprises ont décidé d'établir un code ou une charte spécifique aux achats recensant les attitudes et comportements «éthiques».

@ FOTOLIA/ LUIZ/ NATY STRAWBERRY

C'est le cas, par exemple, du groupe Eiffage, qui s'est doté d'un «code de conduite des achats» en mars dernier. «Celui-ci définit l'ensemble des règles à respecter afin d'éviter tout conflit d'intérêt entre un acheteur et un fournisseur, explique Sylvia Fonseca, directrice de la délégation générale aux risques et aux contrôles du groupe de BTP. L'acheteur véhicule l'image de son entreprise à l'extérieur. Son éthique personnelle, sa probité et son professionnalisme impactent la réputation du groupe.» Ce code indique, par exemple, que toute familiarité ou lien personnel entre un acheteur et un soumissionnaire sont à proscrire. Les cadeaux d'affaires ou avantages en nature remis à titre personnel par un fournisseur sont également interdits, «à l'exception d'une manifestation de courtoisie et de très faible valeur». Pour Sylvia Fonseca, ce document de quatre pages recto verso ne représente pas des nouvelles contraintes pour les collaborateurs de la direction achats du groupe Eiffage mais, au contraire, «un moyen de se protéger contre certaines pratiques, notamment en cas de doute».

Témoignage

«Une charte éthique permet de réduire les risques de dérives»


La direction achats de Vitembal s'est dotée d'une charte éthique dès sa création, en 2005. «Elle m'a semblé indispensable, relate Rémy Gravier, responsable des achats du fabricant d'emballages alimentaires. Auparavant, chacun menait les contacts avec les fournisseurs à sa façon, ce qui présentait des risques de dérives.» Le nouveau responsable des achats décide donc de rédiger un ensemble de règles afin de mieux encadrer les relations avec les fournisseurs. Le document final comporte deux pages («volontairement court, sinon personne ne le lit!») et s'adresse non seulement aux acheteurs mais aussi «à toutes les personnes qui peuvent entrer en contact avec les fournisseurs». La charte rappelle ainsi quelques principes de base: respect de la concurrence, confidentialité des informations, etc. «L'idée n'était pas de contraindre nos collaborateurs, mais de leur faire prendre conscience des risques d'engrenage auxquels ils sont exposés», précise Rémy Gravier. Par exemple, recevoir un cadeau d'affaires est autorisé, à condition que celui-ci soit de faible valeur (moins de 30 euros). Dans le cas contraire, l'acheteur se doit de le refuser. «Cette charte a été très utile au début, se félicite Rémy Gravier. Aujourd'hui, elle est relativement bien suivie.» Ce qui ne l'empêche pas de rester «très vigilant» sur tout ce qui concerne l'éthique.


Vitembal
ACTIVITE
Fabricant d'emballages alimentaires
CHIFFRE D'AFFAIRES 2008
124 millions d'euros
EFFECTIF
800 collaborateurs
VOLUME D'ACHATS 2008
72 millions d'euros
EFFECTIF ACHATS
6 collaborateurs
NOMBRE DE FOURNISSEURS ACTIFS
800

Rémy Gravier, responsable achats, groupe Vitembal

Rémy Gravier, responsable achats, groupe Vitembal

Pour ne pas être pris dans un engrenage

Bic, Lilly, L'Oréal, Veolia Environnement... A l'image du groupe Eiffage, de nombreuses entreprises ont édité une charte propre aux achats. D'un point de vue juridique, la rédaction d'un tel document permet tout d'abord à ces donneurs d'ordres de se protéger contre les dérives éventuelles de certains collaborateurs et de les sanctionner, jusqu'à la rupture du contrat de travail pour faute grave. Et ce, même si le statut juridique des chartes d'entreprise a longtemps fait débat. Aujourd'hui, les codes déontologiques possèdent une réelle valeur juridique, à condition que les termes employés soient suffisamment précis et que les documents aient été communiqués aux collaborateurs. Sur ce point, la justice est extrêmement souple. Ainsi, le Conseil d'Etat a reconnu «qu'une règle à caractère déontologique contenue dans une note de service s'impose aux salariés alors même qu'elle n'a pas été incorporée aux dispositions du règlement intérieur de l'entreprise». Néanmoins, la valeur juridique d'une charte éthique est d'autant plus forte qu'elle est adjointe au règlement intérieur ou, mieux, à chaque contrat de travail.

Au-delà du caractère juridique, certains professionnels des achats estiment que la rédaction d'une charte éthique est indispensable. «Un code déontologique permet de protéger les acheteurs contre toutes les formes de pressions auxquelles ils sont confrontés au quotidien, estime Jean- Christophe Hamm, président fondateur de Mica Conseil et ancien directeur achats de Sagem, Electrolu x et Alstom Power. Un acheteur peut être pris dans un engrenage et se sentir piégé. L'existence d'une charte permet d'éviter ce genre de situation, voire de l'aider à s'en sortir.» Pour Jean-Jacques Nillès, fondateur du cabinet Socrates, l'élaboration d'un code de conduite présente un autre avantage: «Une charte permet d'homogénéiser les comportements de l'ensemble des acheteurs de l'entreprise», indique le consultant qui a notamment conseillé la direction achats d'Aker Yards (désormais STX Europe) dans la conception de son code éthique.

Cela dit, tous les directeurs achats ne sont pas d'accord sur la nécessité de disposer d'un code éthique spécifique pour les acheteurs. «Les managers doivent donner l'exemple», estime Jean-Claude Barberan, directeur achats de Sagem Communications. Pour ce dernier, il n'y a pas besoin d'écrire des règles noir sur blanc. «Je préfère baser mes relations avec mes collaborateurs sur la confiance plutôt que sur la méfiance, reprend-il. Si nous ne sommes pas à l'abri d'un loup dans la bergerie, les acheteurs sont évalués quotidiennement sur leurs relations avec les fournisseurs. Une charte n'est pas nécessaire.» Une opinion que partage Francis Lefebvre, fondateur du cabinet de conseil Costeam et ancien directeur achats de la RATP, d'Eurotunnel et d'Alcatel: «Je n'ai jamais mis en place de charte éthique, témoigne-t-il. L'éthique est propre à chaque individu. Il appartient à l'encadrement de surveiller qu'un collaborateur ne franchisse pas la ligne jaune. Mais il est inutile de graver des règles dans le marbre.»

Témoignage

«Il y a une tendance à vouloir laver plus blanc que blanc dans les achats»


Réseau Ferré de France (RFF) s'est doté d'un code de déontologie en 2008. Celui-ci s'applique à toutes les directions de l'établissement public. Ainsi, contrairement à d'autres entreprises, il n'existe pas de charte éthique spécifique aux achats. «Elle n'est pas nécessaire dans la mesure où ce code énumère déjà un certain nombre de règles concernant les relations avec les personnes extérieures à notre organisation, dont les fournisseurs», indique François Meyer, directeur achats de RFF. Qui plus est, l'établissement est soumis à des directives européennes qui encadrent de très près la relation client / fournisseur dans la sphère publique.
Dans l'absolu, ce dernier estime toutefois que les achats n'ont pas besoin d'une charte spécifique. «L'entreprise ne doit pas faire peser des contraintes plus fortes sur les acheteurs que sur ses autres collaborateurs, estime-t-il. Il y a toujours une tendance à vouloir laver plus blanc que blanc dans les achats!» Pour François Meyer, les débats autour des repas et des cadeaux d'affaires sont «anecdotiques». Si un acheteur possède une attitude irréprochable au quotidien, les risques de corruption sont faibles. «Mais il ne faut pas montrer des signes de faiblesse, sinon un acheteur a vite fait de se faire repérer et entraîner», prévient-il.


RFF
ACTIVITE
Gestionnaire d'infrastructures ferroviaires
CHIFFRE D'AFFAIRES 2008
6,2 milliards d'euros
EFFECTIF
1 000 collaborateurs
VOLUME D'ACHATS 2008
5 milliards d'euros
EFFECTIF ACHATS
5 collaborateurs
NOMBRE DE FOURNISSEURS ACTIFS
350

François Meyer, directeur achats, RFF

François Meyer, directeur achats, RFF

Faire passer des messages

«Une charte éthique spécifique aux achats n'est pas indispensable. Mais c'est mieux d'en avoir une!», tranche François Soulet de Brugière, directeur général de SRS, une société qui conseille les acheteurs du groupe Mulliez (Auchan). Selon ce dernier, l'esprit insufflé par le directeur achats, voire le directeur général de l'entreprise, peut suffire. «Un code permet cependant de faire passer des messages, aussi bien aux acheteurs qu'aux fournisseurs», complète-t-il. Comme la plupart des experts, François Soulet de Brugière préconise de diffuser la charte sur Internet. «Il est très important de la rendre visible, notamment aux yeux des fournisseurs, précise Jean-Christophe Hamm (Mica Conseil). De cette manière, ils savent que les acheteurs de l'entreprise ne peuvent être corrompus et prennent conscience des risques encourus, notamment celui de perdre un marché.» Pour sa part, Jean-Jacques Nillès (Socrates) est plus nuancé: «Si la charte éthique est conçue comme un outil de communication pour montrer patte blanche, le tau x d'adhésion risque de ne pas être très élevé.» Le consultant estime ainsi qu'un code déontologique doit être conçu «comme un véritable outil d'aide à la décision», au service des acheteurs.

La rédaction d'une charte éthique propre aux achats n'est pas toujours confiée à la direction achats. Chez Eiffage, par exemple, le projet est revenu à la direction des risques. Dans d'autres groupes, il s'agit de la direction juridique, voire de la direction développement durable lorsqu'elle existe. Pour ces sociétés, les acheteurs ne peuvent être à la fois les auteurs et les destinataires du document final. Une erreur, selon Jean-Jacques Nillès (Socrates). «Une charte éthique doit répondre aux problèmes rencontrés quotidiennement par les acheteurs opérationnels. Dans la mesure du possible, il est donc essentiel de les impliquer dans son élaboration», considère le consultant. Pour François Soulet de Brugière (SRS), «il est surtout important que la charte évolue dans le temps». Autre exemple de mauvaise pratique: un code de déontologie trop exhaustif. Selon Jean-Christophe Hamm (Mica Conseil), une charte éthique doit comporter au maximum deux pages, avec un certain nombre de directives et quelques exemples concrets.

Refuser les cadeaux d'affaires

François Soulet de Brugière (SRS) partage cet avis. Pour lui, certaines chartes vont trop loin. Par exemple, il n'est pas nécessaire d'interdire les déjeuners d'affaires comme dans certaines entreprises. «Un repas est toujours un instant privilégié pour mieux connaître son interlocuteur», argumente-t-il, tout en invitant les acheteurs à rester raisonnables sur le standing de l'établissement. Pour remédier à cet éventuel problème éthique, Jean-Christophe Hamm (Mica Conseil) avait sa propre recette: «En phase de prospection, j'invitais moi-même mes fournisseurs. De cette manière, je ne leur étais redevable de rien!» En revanche, les cadeaux d'affaires sont désormais proscrits par la plupart des directions achats, du moins au-dessus d'un certain montant (30 euros). «Pendant longtemps, ils ont été considérés comme une sorte de complément de rémunération. Mais depuis que les grilles de salaires des acheteurs ont rattrapé celles des autres fonctions, de tel s avantages sont encore moins justifiés», estime François Soulet de Brugière (SRS). Et ce dernier de prendre pour exemple les Jeux Olympiques de Pékin en 2008 pour lesquels de nombreux acheteurs ont reçu des invitations. «D'un point de vue éthique, il ne fallait pas accepter un tel cadeau», précise-t-il. Le respect d'une certaine éthique valait bien une médaille.

 
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Sébastien de Boisfleury

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