Les acheteurs face à l'informatisation des achats
Doter son entreprise d'un système d'information des achats est loin d'être aisé. Au-delà de l'aspect technologique, l'encadrement des acheteurs s'avère capital. Malgré des modules performants en terme de couverture - E-sourcing, e-procurement, catalogues électroniques, SRM, places de marchés, plateformes de dématérialisation de flux de commandes ou de factures, outils de pilotage, outils collaboratifs- les logiciels des éditeurs restent limités quant à leur capacité d'interaction : des améliorations doivent être apportées pour intégrer toutes les synergies de l'entreprise et notamment les fournisseurs.
Je m'abonneLes clés d'un projet réussi
Le succès d'un projet d'informatisation des achats repose davantage sur des aspects humains que sur des considérations technologiques. L'implication des acheteurs et du management, tout au long du projet, sont des facteurs de réussite déterminants.
1. Fixer des objectifs en fonction des équipes en place
Les modules proposés par la plupart des éditeurs de système d'information (SI) achats couvrent tous les processus liés à la fonction: recherche de fournisseurs, appel d'offres en ligne, pilotage achats, management de la relation fournisseur, etc. Une erreur courante est de souhaiter implémenter une suite logicielle complète, sans se préoccuper de la maturité achats de l'entreprise, du niveau et de l'état d'esprit de se s acheteurs. «L'organisation achats, les compétences et la motivation de ces collaborateurs doivent impérativement être prises en compte, prévient ainsi Marc Debets, président de Buy. O, un cabinet de conseil spécialisé dans les achats. Ne pas le faire reviendrait pour l'entreprise à hériter des processus achats standard des modules ou, pire, à informatiser des processus inexistants ou défaillants.» Dans ce cas, c'est l'échec assuré. La première règle consiste donc à partir de l'existant et des processus-clés de l'entreprise, non de l'off re du marché. «Un tel projet est fait pour progresser en termes d'efficacité et de pratiques», rappelle Marc Debets (Buy O). Attention toutefois de fixer des objectifs réalistes. La résistance au changement est toujours très présente dans ce type de dossier.
2. Établir un plan de déploiement et d'adoption
Informatiser ses achats revient à définir une nouvelle méthodologie, standard et partagée par tous les acheteurs de l'entreprise. «L'adoption de cette méthodologie est de loin l'étape la plus difficile d'un tel projet, estime Jean- Baptiste Lendrin, directeur associé chez Buy. O. Il y a quelques années, chaque acheteur travaillait avec ses propres méthodes et ne voyait pas forcément son métier dans un cadre défini.» Au-delà de l'aspect purement technologique, les SI achats représentent donc une véritable révolution d'un point de vue organisationnel et managérial. Pour réussir l'informatisation des achats, il est donc nécessaire d'établir un plan de déploiement, et surtout d'adoption, du logiciel dédié. Cette mise en place doit être progressive. Dans un premier temps, l'objectif est de faire adopter par le plus grand nombre les modules de base du SI achats. Dans un deuxième temps, des acheteurs plus expérimentés et volontaires testeront des fonctionnalités plus avancées, par exemple les enchères inversées si l'entre prise ne les pratiquait pas jusqu'à présent. Enfin, dans un troisième temps, ce plan peut prévoir l'utilisation de la plupart des modules du logiciel par l'ensemble des acheteurs.
3. Monter une équipe projet et impliquer le management
Le déploiement d'un SI achats est en général confié à une équipe projet dont le rôle est d'informer, d'impliquer et de former les acheteurs. Sans oublier les fournisseurs, qui seront amenés à utiliser certaines fonctionnalités. «Ceux- ci sont forcément impactés et peuvent interpréter négativement une initiative pourtant positive sur le fond», note Marc Debets (Buy. O). En effet, si les fournisseurs ne sont pas bien préparés, le déploiement du projet et l'adoption du logiciel ont toutes les chances de ne pas aboutir. Par ailleurs, l'implication du top management ou du management intermédiaire est un facteur de succès souvent sous-estimé. «Il est tout à fait souhaitable qu'un manager prenne du temps pour expliquer les enjeux», confirme Jean-Philippe Nowakowski, directeur associé d'Oalia, éditeur de logiciels achats. L'objectif est ici d'acheter mieux, pas nécessairement moins cher. Et pourtant, la réduction des coûts est souvent l'unique discours délivré aux acheteurs. L'implication d'un membre du comité de direction est indéniablement un plus, à condition qu'elle soit constante. «Le management est généralement informé, mais peu impliqué», regrette Marc Debets (Buy. O).
4. Communiquer sur l'état d'avancement du projet
Une bonne communication est la clé de voûte d'une informatisation réussie. «Si les ambitions du projet doivent être clairement communiquées, il en est de même lors des premières réalisations, qu'elles soient un succès ou, au contraire, que les acheteurs aient rencontré des difficultés», conseille Marc Debets. Pour ce faire, il est utile de constituer un tableau de bord dont les indicateurs (nombre de personnes formées, familles d'achats traitées, fonctionnalités utilisées, etc.) auront pour but de suivre le déploiement du logiciel et son adoption par les utilisateurs. «Bâtir soigneusement cet outil dès le début du projet permettra d'identifier les éventuelles dérives et de communiquer sur les succès», assure Marc Debets. Réunions mensuelles puis trimestrielles, débriefs après l'utilisation de certaines fonctionnalités, piqûre de rappel lors d'une formation semestrielle ou annuelle, comptes rendus, newsletters, etc. Les moyens de communication à la disposition des directions achats ne manquent pas. Reste à trouver ceux qui conviendront le mieux à chaque entreprise.
Marc Debets, Buy. O
« L'organisation, les compétences et la motivation des acheteurs doivent impérativement être prises en compte. »
Des suites logicielles encore perfectibles
Les systèmes d'information achats poursuivent leur développement. Les éditeurs cherchent à présent à adapter leurs outils aux besoins spécifiques des acheteurs et à favoriser l'intégration des fournisseurs.
Par Romain Rivière
La direction achats de Mapa Spontex a décidé, fin 2006, d'automatiser la remontée des informations achats de l'entreprise par la mise en place d'un système d'information dédié. La société, qui réalise 250 millions d'euros d'achats par an auprès de 8 500 fournisseurs, a ainsi retenu la solution Ivalua Buyer. L'objectif: mettre en oeuvre des synergies dans les achats au niveau mondial. «Avec 21 sites industriels et commerciaux gérant localement leurs achats, et autant de systèmes d'information, il était long et difficile de suivre des indicateurs de performance au niveau du groupe. Pour faire remonter et consolider les données, il nous fallait un outil accessible à tous nos sites», explique Thierry du Villard, directeur achats de l'entreprise qui conçoit, produit et vend des produits d'entretien et de protection des mains. La création d'une interface unique destinée à faciliter l'import de données en provenance des ERP, la mise en place d un tableau de bord achats, ou encore l'analyse multidimensionnelle des données ont permis à la direction achats de Mapa Spontex d'inciter les 50 acheteurs à remonter et consolider les données sur les achats réalisés auprès des fournisseurs, de les fédérer autour d'un référentiel fournisseurs commun et d'une segmentation achats unique, et de couvrir, en un seul outil, 80 % du périmètre d'achats.
Des modules achats arrivés à maturité
Comme Mapa Spontex, de plus en plus d'entreprises mettent en place, depuis quelques années, des systèmes d'information achats. « Ces outils se sont répandus signi?cativement ces dernières années, con?rme David Lachowsky, manager chez Axys Consultants, car les directions achats cherchent à améliorer l'efficacité de la fonction et parce qu'ils contribuent à la performance de l'entreprise.» Des outils destinés à répondre aux besoins de maîtrise et de partage des informations achats dispersées dans l'entreprise, et à apporter une vision synthétique de la performance achats dont elle a besoin pour réduire ses coûts et améliorer son efficacité. En guise d'explication de cette généralisation, Jean-Baptiste Lendrin, directeur associé du cabinet de conseil Buy.O, évoque l'arrivée à maturité des différents modules qui composent les systèmes d'information achats. « Si l'on analyse les modules séparément (performance fournisseurs, e-contract, e-sourcing, e-project, portail acheteur, etc.), les axes d'innovation ne portent plus sur leur couverture fonctionnelle qui est maintenant satisfaisante, mais davantage sur l'intégration des modules et leur capacité d'interaction. Ces éléments constituent les nouvelles problématiques de développement des éditeurs», estime-t-il.
Pour autant, selon Jean-Philippe Nowakowski, directeur associé et directeur des produits chez Oalia, le marché dans sa globalité est encore loin de proposer une offre ergonomique. Les éditeurs se penchent donc aujourd'hui sur la cohérence entre leurs différents modules, afin de mieux les adapter aux besoins et à l'environnement spécifiques de chaque acheteur selon ses problématiques, et de développer leur inter fonctionnalité. «Ce besoin de cohérence globale est évident, confirme Jean-Philippe Nowakowski (Oalia). C'est l'axe fort d'évolution de ces prochaines années.» Un axe de développement pour les éditeurs qui inclut également l'intégration des fournisseurs, encore trop absents dans les outils. «L'objectif est de pouvoir réellement les associer aux outils, assure Jean-Philippe Nowakowski (Oa lia). Car ce sont des processus collaboratifs.» En effet, selon l'enquête menée par Oalia en 2007 sur les systèmes d'information achats, 74% des entreprises ayant déployé un tel système ne voient pas leurs fournisseurs s'y connecter. Pour Alain Alleaume, consultant chez Altaris, «trop de fournisseurs ont encore peur d'adopter un outil qu'ils croient synonyme d'enchères inversées.»
Une intégration jugée longue et difficile
Ces évolutions semblent effectivement nécessaires. D'après l'étude Oalia, l'utilisation des outils, par les achats et les fournisseurs, est encore faible. «La facilité d'utilisation reste le premier critère d'achat d'un outil, explique Jean-Philippe Nowakowski (Oalia). C'est aussi le premier obstacle rencontré par les entreprises.» Une difficulté d'intégration qui s'ajoute, selon Oalia, à un déploiement plus long que prévu. Pour Jean-Baptiste Lendrin (Buy.o), cette faible utilisation se justifie par «des outils de qualité mais qui, dans le cadre de leur déploiement, n'intègrent pas forcément toute la diversité et les problématiques opérationnelles des utilisateurs.» Et de préciser: «Le projet de déploiement de l'outil reste avant tout un projet métier achat et non un projet purement technologique.»
Michel Godin, directeur des systèmes d'information achats, Faurecia
Témoignage «Il faut familiariser les acheteurs avec le logiciel avant son déploiement»
«Accorder de l'importance à la conduite du changement, c'est assurer la moitié du succès!», assure Michel Godin, directeur des systèmes d'information achats de Faurecia. Pour mettre en place son projet baptisé Global Purchasing System (GPS), dans le cadre de l'uniformisation de son système d'information, la direction achats de l'équipementier automobile Faurecia s'est impliquée en amont dans sa promotion en interne. Et ce, en lançant une campagne de communication auprès de ses collaborateurs, afin de les sensibiliser aux avantages du logiciel Ivalua Buyer retenu après appel d'offres. «Ambitieux et complet, le projet GPS implique une bonne conduite du changement, estime Michel Godin. Il était donc nécessaire de familiariser les acheteurs avant la mise en production de l'outil.»
Aussi, en plus des 60 sessions de formation dispensées aux salariés concernés, l'entreprise a décidé de compléter la sensibilisation par du coaching personnalisé. Ainsi, les collaborateurs peuvent bénéficier d'une assistance en relation directe avec leur environnement de travail grâce à l'aide du cabinet de conseil achats CKS, partenaire de l'éditeur Ivalua. Le choix d'uniformisation du système d'information achats de Faurecia s'explique par une fonction très éclatée, avec près de 1 000 personnes manipulant les données du groupe. En se dotant d'un outil global de gestion de la fonction achats, la société, qui emploie 60 000 personnes dans le monde sur 190 sites et dont le volume d'achats représente 70% de son chiffre d'affaires, entend ainsi faciliter la gestion des données et rendre disponible une information homogène sur l'ensemble de ses sites. «Le partage de l'information va plus loin, précise le directeur des systèmes d'information achats. Nous mettons en place des stratégies globales permettant à chacun de nos sites de suivre les recommandations transverses du groupe.»
Faurecia :
ACTIVITÉ : Équipementier automobile
CHIFFRE D'AFFAIRES 2007 : 12,7 milliards d'euros
EFFECTIF : 60 000 collaborateurs
VOLUME D'ACHATS : 8,89 milliards d'euros
Alfred Rosales, directeur achats, Eramet
Témoignage «Nous voulions mieux connaître nos achats»
L'heure est au test chez Eramet. Le groupe minier et métallurgique français (15 000 collaborateurs et 3,8 milliards d'euros de chiffre d'affaires), qui a choisi, en 2007, la solution d'Easy-pics pour consolider ses données fournisseurs, procède actuellement à «la vérification du bon fonctionnement du logiciel», selon Alfred Rosales, son directeur achats. Cette solution a été privilégiée par Eramet pour la rapidité de son déploiement et l'externalisation complète du processus. «Nous avions déjà mené des projets en interne pour développer des outils d'e-achats, relate Alfred Rosales, qui gère une équipe de 200 personnes, 15 000 fournisseurs et un volume d'achats de deux milliards d'euros. Mais en raison de l'importance de notre activité à l'export et de la difficulté rencontrée dans la capacité de traitement, le système que nous avions déployé n'avait pas pu fonctionner au niveau des différentes branches et des différents sites.»
La solution doit fournir à l'entreprise des informations détaillées, enrichies et actualisées sur ses achats. «Nous souhaitons mieux connaître nos achats: montant, nature, évolution, etc. C'est un moyen important pour nous aider à mettre en avant l'importance de notre action», explique le directeur achats d'Eramet. Le système mis en place par l'éditeur Easy-pics offre un classement des achats segmenté qui permettra ainsi à la société, dès lors qu'il sera opérationnel, de rechercher, selon une multitude de critères et d'axes d'informations croisés, des données sur ses fournisseurs.
Eramet
ACTIVITÉ : Métallurgie
CHIFFRE D'AFFAIRES 2007 : 3,8 milliards d'euros
EFFECTIF : 15 000 collaborateurs
VOLUME D'ACHATS : 2 milliards d'euros
EFFECTIF ACHATS : 200 personnes
Jean-Philippe Nowakowski, Oalia
« La facilité d'utilisation d'un logiciel est un critère d'achat essentiel et pourtant, il s'agit de la première difficulté rencontrée par les entreprises. »