Les achats tendent vers la maturité
Pour la seconde année consécutive, une enquête exclusive réalisée par Demos, en partenariat avec Décision Achats, s'est intéressée à la structure des services achats et aux profils des collaborateurs qui les composent. Des PME aux grandes entreprises, cette étude confirme que la professionnalisation est en marche, même si certains résultats restent surprenants. Portrait-robot de la fonction achats en 2009.
Je m'abonneUne fonction stratégique... comme les autres
L'étude annuelle Demos sur l'évolution de la fonction achats révèle que 45 % des services achats sont désormais rattachés à leur direction générale. Une part en hausse de plus de 5 points par rapport à 2007. «Ils représentent généralement entre 50 et 60% du chiffre d'affaires. Ils sont donc déplus en plus stratégiques», estime Jacques Menard, formateur chez Demos. D'ailleurs, 45 % des acheteurs estiment que leur fonction est stratégique. Mais autant la considèrent comme une fonction support comme une autre. «Ce résultat s'explique par la faible maturité des achats dans les PME, qui concentrent une grosse partie de ces services», note Jacques Menard. «Cette perception montre que le développement de la fonction ne s'exerce pas au détriment des autres services», avance Louis Bacou, intervenant chez Demos qui ajoute que les différences de structure d'un secteur à l'autre engendrent diverses perceptions. «Certes, les PME s'appuient de plus en plus sur les acheteurs, poursuit Patrick Caverivière, formateur chez Demos. Mais les achats ne sont pas plus stratégiques que les autres fonctions. Ils contribuent aux performances de l'entreprise, comme les commerciaux, par exemple.»
Méthodologie
Enquête réalisée par Demos auprès de 160 acheteurs, responsables achats et directeurs achats, tous secteurs et toutes tailles d'entreprises confondues, du 1er septembre au 15 novembre 2008 par e-mail.
Bernard Lescail, directeur achats indirects, Thomson
Le point de vue de...
« La fonction joue un rôle stratégique dans les entreprises»
La fonction achats évolue. Bernard Lescail, acheteur depuis 1986 et directeur des achats indirects chez Thomson, a pu le constater. Dans son service, les nouveaux entrants sont de plus en plus qualifiés. «Une majorité de notre effectif affiche un niveau bac + 3 ou + 5. Il y a quelques années, beaucoup n'avaient que le bac», explique-t-il. Autre évolution notable : tous ses collaborateurs parlent anglais. En guise d'explication, Bernard Lescail évoque le rôle croissant de la fonction, depuis les années quatre-vingt: «Après l'essor de la filière commerciale, nous nous sommes rendu compte du rôle stratégique des achats. Souvent, la fonction représente 50 % du chiffre d'affaires d'une société. Dès lors, elle se trouve plus souvent rattachée aux directions générales et dépend de moins en mois des directions industrielles ou financières.» Sur le plan de la rémunération, chez Thomson, la quasi-totalité des acheteurs bénéficient d'une part variable de 10 à 20 %. «Nos objectifs précis rendent cette rémunération possible, assure Bernard Lescail. Chaque semestre, nous sommes évalués sur nos économies et notre activité en fonction de la baisse des prix. Mais ce mode de rémunération, peu répandu en France, impose de donner des objectifs chiffrés.»
Thomson
ACTIVITE
Fournisseur de technologies vidéo
CHIFFRES D'AFFAIRES 2007
5,62 milliards d'euros
EFFECTIF
22000 collaborateurs
VOLUME D'ACHATS 2007
3,2 milliards d'euros
EFFECTIF ACHATS
150 collaborateurs
Les achats s'invitent dans les PME
Les achats gagnent du terrain et sont désormais présents dans une part toujours plus importante de PME. C'est ce qui ressort de l'enquête réalisée par Demos. Ainsi 23% des acheteurs interrogés appartiennent à des entreprises de 51 à 250 salariés. «La prise de conscience de l'importance des achats par les grosses PME se vérifie au quotidien lors des formations où nous accueillons de plus en plus d'acheteurs de petites structures», confirme Evelyne Hernandez, responsable de l'offre de formation achats chez Demos. Selon cette dernière, une entreprise peut créer une direction dédiée à partir d'un volume d'achats global de 50 millions d'euros. «C'est particulièrement vrai dans les PME dites innovantes où les équipes projet intègrent des acheteurs pour rationaliser les coûts. En revanche, les PME sont moins dans une démarche de cost-killing», précise-t-elle.
L'ancienneté et l'effectif des services achats reflètent l'évolution de la fonction. Ainsi, les services de moins d'un an ne sont plus présents que dans 2 % des sociétés interrogées tandis que 20 % des entreprises ont créé un service il y a moins de cinq ans. Les directions de plus de cinq ans restent les plus nombreuses (79 % du panel). Selon Louis Bacou, consultant chez Demos, «cette tendance souligne la maturité croissante de la fonction».
De même, les équipes achats ont tendance à s'étoffer : les services de plus de cinq personnes, présents dans 40 % des entreprises, gagnent plus de 5 points par rapport à l'édition précédente. A l'inverse, la part des services de 2 à 5 personnes perd 6 points et ne représente plus que 29 % de l'ensemble.
Le tableur préféré aux logiciels métier
Seuls 39,5 % des acheteurs disent être dotés d'un logiciel d'e-procurement, d'e-sourcing, ou de pilotage achats tandis que les autres assurent utiliser le tableur Excel au quotidien. Ces chiffres s'expliquent surtout par la grande part des PME ayant répondu à l'étude, pour qui l'utilisation d'Excel s'avère plus simple et plus adaptée. «Et surtout moins chère, ajoute Jacques Menard, formateur chez Demos. Car ces petites structures ne disposent pas forcément des ressources pour s'équiper d'un logiciel achats, qui nécessite aussi une formation», insiste-t-il. Quant aux grands comptes, «il leur arrive de rechigner à investir», poursuit-il.
En outre, contrairement aux logiciels spécialisés, Excel est enseigné dans les facultés et les acheteurs savent donc mieux s'en servir. «La plupart d'entre eux ignorent l'existence des autres produits, ajoute Louis Bacou, intervenant chez Demos. En outre, ils confondent parfois e-sourcing et e-procurement. D'autant qu'Internet permet rapidement de mettre à jour des fichiers fournisseurs.» Autre contrainte : «La majorité des logiciels sont en anglais. Or, en France, nous avons encore un problème avec cette langue.» Pour Patrick Caverivière, formateur chez Demos, la question est encore différente : les outils d'e-procurement ou d'e-achats sont-ils vraiment nécessaires? «J'en doute. Un grand nombre d'acheteurs n'en ont pas besoin», estime-t-il.
Priorité à la réduction des coûts
Crise oblige, la réduction des coûts reste toujours la priorité des services achats. Plus de 57% d'entre eux l'assurent. Mais ce chiffre affiche une baisse de près de 20 points par rapport à 2007. «La fonction est installée, constate Patrick Caverivière, intervenant chez Demos. Le travail de recherche d'économies évidentes a déjà été réalisé par une majorité d'entreprises, qui se penchent désormais sur de nouvelles priorités.» Parmi celles-ci, l'amélioration de la qualité et la réduction du panel fournisseurs. «Ces deux priorités reflètent la maturité relative de la fonction, souligne Jacques Menard, formateur chez Demos. Celle-ci évolue et s'installe progressivement, mais il reste du travail à faire.» A ce titre, «il est surprenant de constater que l'intervention plus en amont dans la définition des besoins n'est pas une grande priorité des services achats, selon Louis Bacou, intervenant chez Demos.
De même, de moins en moins de services achats considèrent comme un enjeu primordial l'accroissement de la reconnaissance de la fonction auprès des clients internes: cette part représente à peine plus de 1%. Parmi les paradoxes mis en avant par l'étude Demos, le faible intérêt porté au développement durable. En effet, ce dernier s'avère être l'une des dernières préoccupations des services achats. Moins de 1% juge cet aspect prioritaire, en dépit de la communication omniprésente des entreprises sur le sujet, et ce quelles que soient les familles d'achats concernées. «Ce chiffre n'est pas surprenant, confie pourtant Jacques Menard. Tout le monde ne sait pas ce que ce terme recouvre. Il m'arrive très souvent de devoir expliquer aux acheteurs ce qu'est le développement durable, qu'on limite trop souvent au seul aspect environnemental. Le décalage entre le discours et la mise en oeuvre est donc normal: d'ici un an ou deux, les actions concrètes seront plus courantes.» Pour Patrick Caverivière, ce constat s'explique également par le fait que «les petites entreprises ont plus de mal à concrétiser le développement durable. En outre, leur structure leur donne d'autres priorités.»
Anne-Marie Cabaret, acheteur hors production, Pfizer France
Le point de vue de...
«Les acheteurs trouvent peu à peu leur place»
Au quotidien, les quatre acheteurs hors production de Pfizer France et leur responsable travaillent en grande partie sur Excel. S'ils disposent aussi de logiciels spécifiques achats, ceux-ci «ne répondent pas forcément à nos besoins», estime Anne-Marie Cabaret. Un signe révélateur d'une fonction qui n'a pas encore complètement trouvé sa place. «Mais la situation évolue. Notre organisation au niveau monde s'amplifie et se professionnalise. Cela se traduit notamment par un meilleur niveau de qualification des acheteurs que nous recrutons. Mais nous n'avons pas encore tout le poids que nous pourrions souhaiter.» Selon elle, son service tend de plus en plus à être reconnu, à force de communiquer sur des retours d'expériences avec les clients internes. «Cette reconnaissance dépend du soutien de la direction générale de l'entreprise, mais également du ni veau de maturité de la fonction.» La priorité des acheteurs: la réduction des coûts. «Dans les entreprises, on a encore du mal à comprendre que les achats puissent apporter une valeur ajoutée au-delà des économies, sur les process par exemple.»
Acheteur depuis 2001 dans l'entreprise, Anne-Marie Cabaret a débuté dans la vente. «A la suite d'une opportunité qui me semblait intéressante, j'ai rejoint la fonction chez Pfizer. Puis, il y a quatre ans, j'ai suivi une formation continue achats en troisième cycle.» Dans l'avenir, l'acheteur entend bien saisir d'autres opportunités pour rejoindre d'autres fonctions. «II est bon de voir autre chose», estime-t-elle.
Pfizer France
ACTIVITE
Laboratoires pharmaceutiques
CHIFFRE D'AFFAIRES 2008
2,18 milliards d'euros
EFFECTIF
3 000 collaborateurs
VOLUME D'ACHATS 2008
180 millions d'euros
Le variable absent des rémunérations
Seuls 32% des acheteurs interrogés par Demos comptent une part variable dans leur rémunération. «Nous ne sommes pas dans une culture du résultat comme la filière commerciale», affirme Patrick Caverivière, formateur au sein de l'institut. En plus d'un calcul des économies réalisées parfois difficile à effectuer, «beaucoup de services achats n ont pas d'objectifs chiffrés», reprend le consultant. En revanche, les parts variables versées aux acheteurs sont de plus en plus importantes. La moitié d'entre elles sont désormais comprises entre 10 et 20% du salaire fixe. Et les variables inférieurs à 10%, à l'inverse, sont devenus moins fréquents. «Un variable serait pourtant justifié, compte tenu de l'objectif de l'acheteur qui est de réaliser des économies», estime Louis Bacou, intervenant chez Demos. Par ailleurs, 39% des acheteurs perçoivent un salaire annuel supérieur à 45 000 euros.
Un quart touche entre 35 000 et 45 000 euros tandis que la même proportion gagne entre 25 000 et 35 000 euros. Enfin, ils sont 10% à être payés moins de 25 000 euros par an. «Le salaire des acheteurs dépend de la position qu'on leur donne dans l'entreprise et de leur niveau de qualification. Mais force est de constater que les services achats sont souvent sous- dimensionnés et que les directions générales rechignent encore à investir pour réduire leurs coûts», explique Patrick Caverivière. Les salaires correspondent ainsi à l'expérience de l'acheteur.
Autres résultats à souligner: plus de 80% d'entre eux viennent d'une autre fonction, notamment dans le domaine de la finance ou de la vente, et plus d'un sur deux possède une expérience professionnelle de plus de quinze ans.
François Ladret responsable logistique et achats, FCBA
Le point de vue de...
«Les achats ont encore du chemin à parcourir»
«L'évolution de la fonction se traduit par une professionnalisation des services achats. C'est-à-dire la mise en place de meilleures méthodes de travail ou de process, de structures d'appels d'offres plus adaptées, ou d'équipements informatiques efficaces», observe François Ladret, responsable logistique et achats chez FCBA depuis trois ans. Son équipe gère annuellement 10 millions d'euros d'achats. «On constate ainsi que le métier a évolué ces dernières années, reprend le responsable. La négociation de gré à gré disparaît peu à peu pour laisser la place à des échanges plus professionnels.» Néanmoins, pour lui, la fonction achats n'est pas encore complètement mature. «Il y a encore du chemin à parcourir, assure-t-il. Et notamment des familles à conquérir».
Quant au marché de la formation, il prend aussi de l'ampleur. «Les formations de type master se multiplient. Or, trop peu sont dédiées à la négociation, contrairement aux aspects financiers ou juridiques, regrette François Ladret. En outre, avec le développement des modules achats dans les cursus plus généraux, j'ai peur que les formations soient galvaudées. Et les jeunes qui veulent se positionner sur le marché des achats s'en trouvent pénalisés. Car le recrutement d'un acheteur est conforté par un diplôme spécialisé.»
FCBA
ACTIVITE
Institut technologique
BUDGET 2007
12,5 millions d'euros
EFFECTIF
340 collaborateurs
VOLUME D'ACHATS 2008
10 millions d'euros
EFFECTIF ACHATS
4 collaborateurs
L'ouverture d'esprit avant la négociation
Si la qualité de négociation s'imposait comme la compétence-clé pour 57% des acheteurs en 2007, il apparaît que l'ouverture d'esprit et la qualité d'écoute sont désormais plus importantes à leurs yeux. Ils sont 30% à la juger primordiale, tandis que 26% placent la négociation en tête des compétences-clés qu'ils doivent posséder. La rigueur et l'organisation arrivent en troisième position.
La vision globale de l'entreprise, en revanche, ne semble pas prioritaire. Moins de 14% des acheteurs la considèrent comme importante. D'ailleurs, la notion de transversalité n'est citée comme une compétence-clé des acheteurs que par 3% d'entre eux. L'aisance relationnelle semble également superflue pour les personnes interrogées alors que l'importance d'une bonne communication, tant vis-à-vis de l'interne que de l'externe, est réputée primordiale par de nombreux experts. Autre enseignement de l'enquête: un acheteur est avant tout individualiste. L'esprit d'équipe n'est pas considéré comme une compétence prioritaire, de même que la capacité à manager des collaborateurs.
L'étude révèle par ailleurs que plus d'un acheteur sur deux qualifie sa décision de rejoindre la fonction comme «très bonne». Et ils sont de plus en plus nombreux à partager cet avis: ils n'étaient que 41% dans ce cas-là un an plus tôt. La moitié des répondants ont profité d'une offre de mobilité interne dans leur entreprise. Précédemment, ils exerçaient des fonctions administratives et financières, commerciales ou encore techniques. En outre, 13% des répondants ont indiqué qu'ils sont devenus acheteurs car ils n'ont pas eu le choix!
Le goût pour la négociation est la première raison invoquée pour devenir acheteur (60% des répondants), loin devant la position stratégique de la fonction au sein des entreprises ou encore les opportunités de carrière dans les achats. A noter que l'aspect rémunération n'a motivé qu'une minorité d'acheteurs (5%), tout comme la notion de pouvoir.
Parmi leurs souhaits d'évolution, la progression hiérarchique au sein du service intéresse 40% des acheteurs. En revanche, la mobilité à l'international, qui concernait près de 14% des acheteurs en 2007, n'attire plus que 8% d'entre eux en 2008. Enfin, seuls 10% souhaitent évoluer vers d'autres fonctions dans l'entreprise.
Jean-Christophe Alvergne, directeur des achats de technologie, Lagardère Active
Le point de vue de...
«Nous communiquons en interne sur notre mission»
Chez Lagardère Active, les achats gagnent en importance depuis la création du service il y a deux ans. «Le coeur de notre action, en interne, est la communication. Nous passons beaucoup de temps à expliquer notre rôle. Ce travail est important car il fait connaître notre mission et notre valeur ajoutée», explique Jean-Christophe Alvergne, directeur des achats de technologie. Ce message est aussi porté par la direction générale, à qui le service est rattaché. «Nous faisons partie du comité de direction, reprend-il. Il est donc plus facile de nous faire connaître.» «Aujourd'hui, nous sommes en phase d'installation et de montée en puissance. A terme, l'objectif est de contrôler l'ensemble des achats», assure Jean-Christophe Alvergne. Sa priorité: la réduction des coûts mais aussi l'intégration de la fonction dans toutes les prises de décisions. Cet objectif nécessite une sensibilisation des clients internes, afin de les habituer, par exemple, à concurrencer un fournisseur en place. «Nous sommes aussi bien des opérationnels que des conseillers», confirme le directeur des achats. Pour lui, si la fonction prend de l'ampleur, cette évolution est loin d'être finie. «L'actualité joue en notre faveur Les marges étant de plus en plus serrées, les directions générales vont davantage se tourner vers nous», affirme-t-il.
Lagardère Active
ACTIVITE
Médias
CHIFFRE D'AFFAIRES 2007
8,5 milliards d'euros
EFFECTIF
33 550 collaborateurs
VOLUME D'ACHATS
1 milliard d'euros
EFFECTIF ACHATS
15 collaborateurs