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Les achats face à la crise

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Corollaire d'une situation économique difficile, les entreprises se tournent davantage vers les achats. Leur priorité: réduire les coûts sans pour autant mettre en danger les fournisseurs et donc la santé financière de leur entreprise.

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@ FOTOLIA/CHRISTEMO

Depuis quelques mois, les défaillances d'entreprises s'accélèrent, les objectifs financiers des sociétés sont de plus en plus souvent révisés à la baisse et les résultats annoncés atteignent difficilement les prévisions. En conséquence, les plans d'économies renforcés se multiplient, à grands coups de licenciements, d'annulation des investissements, voire d'arrêt de production pour certaines industries, notamment dans l'automobile.

Dans ce contexte, les directions générales comptent en partie sur leurs acheteurs. En première ligne pour réaliser des économies, ces derniers se trouvent néanmoins face à une problématique stratégique dans la mesure où les gains évidents ont déjà été réalisés: comment continuer à réduire les coûts sans mettre à mal un fournisseur et par conséquent la production de l'entreprise. Dès lors , les achats doivent agir avant tout comme des gestionnaires de risques fournisseurs. Avec un objectif en vue: préparer, déjà, l'après-crise. L'enjeu: tirer parti de la conjoncture en revoyant ses pratiques et ainsi positionner l'entreprise à la meilleure place une fois l'économie repartie. Une nécessité qui passe par la redéfinition de la fonction achats et de ses pratiques , et par un maniement précis du cost killing. Ainsi que par une plus grande implication des achats au sein des comités de direction et dans la performance opérationnelle.

Opération sortie de crise

Alors que l'économie marque le pas, de plus en plus de directions achats se trouvent au coeur des stratégies d'entreprises. Et doivent, pour préparer l'avenir, se positionner comme des gestionnaires des risques fournisseurs.

Plus que jamais, 2009 sera leur année. Au-delà de la réduction des coûts, les acheteurs se trouvent en première ligne des stratégies d'entreprises. La priorité est la suivante: gérer les risques et sauvegarder la base fournisseurs. La prudence dans les relations avec ces derniers s'impose donc dans la mesure où la disparition de l'un d'entre eux peut engendrer une rupture d'approvisionnement. Le secteur de l'automobile, particulièrement concerné par la fragilité de ses sous-traitants, s'attache ainsi à maintenir la santé financière de ses fournisseurs afin de pouvoir assurer les livraisons. «Le succès de la situation actuelle résidera dans un dosage des actions sur le court et le long terme: les premières doivent être opportunistes vis-à-vis des changements rapides du marché sans hypothéquer l'avenir. Les autres ne produiront leurs effets qu'en sortie de crise, mais placeront l'entreprise à la meilleure place sur la ligne de départ», analyse Arnaud Dugeay, directeur achats et supply chain chez Koné France. Pour Frédéric Petit, consultant chez Resources Global, «la gestion des risques fournisseurs est l'opportunité qui s'offre aux acheteurs pour renforcer leur position auprès des directions générales. Elle permettra d'anticiper la sortie de crise et donc de participer à un développement durable de l'entreprise .»

Opportunité d'évolution

De ce fait, c'est toute une remise en question des clivages classiques de la fonction achats qui doit être entreprise. «En ce sens, la crise actuelle constitue une opportunité d'évolution à saisir, assure Patrice Pourchet, responsable pédagogique à l'Essec. Il convient de travailler sur de nouveaux enjeux et de sortir des méthodes habituelles de réductions des coûts et des panels fournisseurs. Garder ce type de fonctionnement peut mener l'entreprise dans une impasse économique qui peut lui être fatale.» Même sentiment pour Frédéric Petit (Resources Global): «La priorité, c'est la stabilité des relations avec les fournisseurs et non la réduction des coûts. Le marché sera différent à la sortie de la crise. C'est donc le moment de revoir ses pratiques et de prendre des décisions non pas contre, mais avec eux.» A commencer par le maintien des prix, qui s'avère nécessaire à la survie des prestataires, de même que la limitation des annulations de commandes, synonyme de paiements de dédommagements. «C'est toute la complexité de la situation pour les achats, souligne Patrice Pourchet (Essec): rechercher des gains ou encore limiter les dépenses sans pour autant mettre en danger la pérennité de l'entreprise.»

Pour parvenir à faire repartir le marché fournisseur et préparer au mieux la sortie de crise, «il faut relancer la connaissance du marché fournisseurs, assure Patrice Pourchet (Essec). Elle seule permettra d'assurer, par des stratégies adaptées, les ressources nécessaires à l'innovation et au développement des produits et marchés.» Pour lui, cette connaissance passe également par le développement ou l'amélioration du management des savoirs, des ressources et des compétences aux achats. Et par une révision des modes de rémunération des fournisseurs afin d'assurer leur maintien des flux d'exploitation.

Penser catégorie management et achats coeur de marchés...

En outre, la redéfinition du portefeuille et des familles d'achats semble également participer à la professionnalisation de la fonction. Pour Patrice Pourchet (Essec), «il faut désormais penser catégorie management et achats coeur de marchés, et non plus achats coeur de métier. Dans le même ordre d'idée, il convient de parler de coûts tout au long du cycle de vie et non plus de coût global d'acquisition.» L'enjeu est d'importance car il s'agit de «développer une fonction qui offre non seulement une grille de lecture des prévisions et des tendances économiques et technologiques, mais surtout qui apporte un point de vue prospectif sur les marchés fournisseurs et le management des risques fournisseurs», explique-t-il.

Patrice Pourchet, Essec

«Il convient de travailler sur de nouveaux enjeux et de sortir des méthodes habituelles de réductions des coûts et des panels fournisseurs.»

ce qu'ils en pensent

@ FOTOLIA/ JAMES STEIDL/LD

Rémi de Fouchier, vice-président achats, Gemalto?»

C'est un beau chantier qui s'annonce pour les directions achats. Les problématiques financières vont alléger le tissu industriel français. La crise va non seulement pousser les entreprises à accentuer l'outsourcing vers les pays à bas coûts mais aussi renforcer le rôle de leur direction achats. Pour ces dernières, l'enjeu consistera à utiliser cette influence accrue pour se transformer et devenir des vecteurs d'accroissement ainsi que de diversification de revenu et de compétitivité.»

Pascal Baudoin, Global Purchasing Manager, Fillon Technologies

«La crise va replacer l'entreprise face aux réalités de marché: pertes de profit, déséquilibre des ressources et des capacités, compétition internationale exacerbée, etc. Les achats devront donc aider l'entreprise à s'adapter à ces bouleversements. Dans un contexte de changement permanent, ils doivent être force de propositions, en optimisant les coûts, ainsi qu'en favorisant le Lean Manufacturing, le Lean Office, ainsi que l'analyse de la valeur et du faire ou faire faire.»

Michael Szewczun, directeur achats, Akerys

«Il y a deux façons de voir les choses. En premier lieu, si l'on considère la fonction achats comme un centre de dépenses, alors la crise ne lui profitera pas. Car dans ce cas, le premier levier reste la masse salariale. En revanche, en considérant la fonction comme un centre de profits, il est alors certain que le moment est venu de prendre de l'importance sur les sujets en cours et les autres voies qui ne sont pas encore dans le giron des achats.»

Pascal Benoit, directeur achats et immobilier, PricewaterhouseCoopers?»

La situation que nous vivons actuellement constitue, pour la fonction achats, une opportunité pour passer à la vitesse supérieure. Cette dernière va peser de plus en plus lourd dans les entreprises, en approchant des familles d'achats qui étaient souvent des chasses gardées: marketing, prestations intellectuelles, etc. Les directions achats seront également écoutées au-delà de l'unique économie de négociation et reconnues sur des valeurs ajoutées, comme l'innovation par la mise en place de nouveaux processus.»

Arnaud Dugeay, directeur achats et supply chain, Koné?»

La crise ne va pas automatiquement renforcer le rôle de directions achats. En revanche, celles qui sauront apporter à leur entreprise les armes pour y faire face en sortiront plus fortes. Le défi réside dans leur capacité à réagir rapidement aux variations du marché, sans hésiter à remettre en cause les habitudes, voire les accords établis. Il va falloir être plus proche des fournisseurs afin non seulement d'anticiper les risques mais aussi de sélectionner ceux qui doivent être soutenus pour accompagner l'entreprise.»

Les plans d'économies s'enchaînent

Les grands comptes annoncent à tour de rôle des programmes de réduction des coûts renforcés, destinés à limiter les effets de la crise. Rappel des principaux plans mis en place.

Réduction d'effectifs, rationalisation des fonctions supports, optimisation des synergies, suspension des investissements, limitation des achats... L'heure est à la recherche d'économies dans les entreprises. Depuis les premiers signes de la crise qui s'est accentuée à l'automne, les grands comptes annoncent tour à tour des plans de réduction de coûts accélérés ou renforcés. A l'instar du groupe La Poste, qui a indiqué en décembre vouloir accentuer ses mesures de maîtrise des coûts d'ici à juin 2009, afin de réduire de 200 millions d'euros ses dépenses.

De son côté, EADS a officialisé mi-novembre la mise en oeuvre de Future EADS sur la période 2011/2012 avec un objectif d'économies de 200 millions d'euros. Un plan qui doit succéder à Power 8 et Power 8+, dont les résultats attendus sont de 6 milliards d'euros d'économies d'ici à 2010. Au même moment, Dexia a annoncé un objectif de 500 millions d'euros en trois ans. «Il faut endiguer les dépenses superflues», a déclaré le président du comité de direction Pierre Mariani. Prudence de mise également chez ArcelorMittal, qui a dévoilé un objectif d'économies passant de 4 à 5 milliards d'euros sur cinq ans. Une stratégie qui passe notamment par une meilleure maîtrise des frais généraux, administratifs et de vente. Et par une diminution de son effectif achats, particulièrement concerné par la suppression de 9 000 emplois dans le monde.

Un peu plus tôt, en octobre, Publicis a assuré vouloir porter une attention particulière et soutenue à sa structure de coûts et à sa politique d'achats. «Une gestion serrée de ces coûts nous aidera à maintenir notre marge opérationnelle à hauteur de 16,5% en 2009», déclarait Maurice Levy, le président du directoire. Au même moment, PPR, Saint-Gobain, Linde ou encore Schneider Electric, notamment, ont annoncé leurs ambitions révisées de réduction des coûts caractérisées par des mesures mises en place dès la fi n de 2008.

Roland Baudinet, directeur achats France biens et services, Arkema

Roland Baudinet, directeur achats France biens et services, Arkema

Témoignage
«Nous réorganisons notre structure achats»

Dégradation de l'économie oblige, Arkema renforce son plan de réduction des coûts. Ainsi, le groupe de chimie accompagne l'arrêt ou le ralentissement temporaire de sa production sur 40 sites par l'accélération de la mise en oeuvre de son programme de réduction des frais fixes. Lequel prévoit 500 millions d'euros d'économies d'ici à 2010, dont 330 millions réalisés à la fi n 2008. Dans ce cadre, Arkema réorganise sa structure achats centraux, pour dégager 35 millions d'euros d'économies. L'effectif de douze personnes va ainsi se concentrer en région lyonnaise et sera composé, d'ici à 2010, de cinquante collaborateurs. «Elle prendra en charge tout le processus achats, jusqu'à la passation de commande», explique Roland Baudinet, directeur achats France biens et services, qui gère 460 millions d'euros d'achats par an. Sur chaque site, néanmoins, un responsable sera chargé de veiller au respect des politiques achats. «Notre fonction est de plus en plus stratégique chez Arkema, et en pleine professionnalisation», assure Roland Baudinet. Et de préciser que «la période nous incite à faire particulièrement attention à la santé de nos fournisseurs». Le groupe prévoit par ailleurs de ramener à terme le panel de ses fournisseurs de 10 000 à 3 500 acteurs.


Arkema
ACTIVITE
Chimie
CHIFFRE D'AFFAIRES 2007
5,7 milliards d'euros
EFFECTIF
15 20 0 collaborateurs

Vers un nouveau cost killing?

Pour limiter les effets du ralentissement économique, la maîtrise des coûts est de mise dans les entreprises. Le cost killing s'impose, mais son recours doit être global et structuré.

Si la réduction des coûts s'impose actuellement comme une priorité pour les entreprises, assiste-t-on pour autant à un retour au cost killing? «A court terme, une politique de resourcing et de renégociation va s'avérer nécessaire afin de s'adapter aux changements du marché, estime Bertrand Baret, consultant chez Roland Berger Consultants. Sous la pression des directions générales, il est probable que les directions achats opèrent des actions coups de poing auprès des prestataires.» Pour lui, le cost killing est un passage obligé dans ce contexte de crise, même si la démarche doit s'inscrire dans le cadre d'une réflexion plus globale sur la base des coûts. «Mais de tous les coûts, sans se focaliser sur le seul poste des frais généraux», nuance-t-il. Les achats sont en première ligne dans cette démarche. Toutefois les gains faciles «sont de plus en plus rares car les achats sont plus matures et ont déjà travaillé sur ce point», souligne Pierre-François Kaltenbach, responsable de l'offre achats chez Accenture. Même sentiment pour Patrice Pourchet, responsable pédagogique à l'Essec, qui pense que «l'action des achats dans cette chasse aux coûts sera minime». Si un potentiel de négociation est encore possible, le cost killing doit néanmoins être manié avec précaution. «Il faut regarder avec discernement et préparer l'après-crise. Attention à l'effet loupe, prévient Pierre-François Kaltenbach (Accenture). Imposer des prix trop bas à un fournisseur en situation financière fragile peut s'avérer dangereux, voire dramatique.» D'autant que la relation avec ce fournisseur peut être mise en péril. «Pour peu que ce soit un fournisseur clé, que se passera-t-il après la crise? Il se rappellera ce que l'entreprise lui a fait subir et ne manquera pas de régler ses comptes le moment venu», estime Patrice Pourchet (Essec). Pour éviter de mettre en danger le fournisseur et l'entreprise, il convient donc d'avoir «une approche intelligente, segment par segment. Les acheteurs doivent alors arriver avec des propositions de baisses de volumes plus que de réduction des coûts, et être agents de changement», reprend Pierre-François Kaltenbach (Accenture). Une plus grande implication des directions achats dans la performance opérationnelle semble ainsi nécessaire.

Stéphane Chrzanowski, consultant achats interne, Thales Group

Stéphane Chrzanowski, consultant achats interne, Thales Group

Témoignage
«Nous devons faire du cost killing adapté»

Crise ou non, la recherche d'optimisation des coûts est constante chez Thales Group. Mais dans un tel contexte, «il faut faire particulièrement attention au fournisseur à qui nous avons à faire et adapter le cost killing au cas par cas, pour ne pas tuer un partenaire en difficulté», explique Stéphane Chrzanowski, consultant achats in terne de l'équipementier électronique. En plus d'une réduction du montant des achats et d'une plus grande implication des acheteurs dans certains secteurs comme le consulting ou les frais généraux, le groupe, dont le volume d'achats annuel atteint 6 milliards d'euros s'attache à suivre la solidité financière de ses fournisseurs stratégiques. «Tout le monde souffre mais certains partenaires plus que d'autre. Nous devons rester vigilants et ne pas mettre un partenaire-clé fragilisé en cessation de paiement», poursuit le consultant interne, qui ajoute qu'il faut «intensifier la pression sur les marchés concurrentiels et gérer les risques sur les partenaires, fournisseurs stratégiques ou de niches. Car nous concevons nos relations sur le long terme.»


Thales
ACTIVITE
Equipementier électronique
CHIFFRE D'AFFAIRES 2007
12,3 milliards d'euros
EFFECTIF
68 000 collaborateurs
VOLUME D'ACHATS 2008
6 milliards d'euros

 
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Romain RIVIERE

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