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Le recours aux enchères inversées, un procédé contesté pour des prestations humaines

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La pratique des enchères électroniques inversées dans les services généraux n'en est encore qu'à ses balbutiements. Cette méthode qui consiste à choisir le prestataire « moins-disant » ou « moins-coûtant » est loin de faire l'unanimité dans les services généraux. Éclairage sur un procédé qui fait toujours débat.

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@ FOTOLIA / KHZ / LD

Prisées par les donneurs d'ordres pour acheter des systèmes d'impression, des pièces mécaniques dans l'automobile ou des fournitures de bureau, les enchères électroniques inversées sont une pratique encore peu répandue dans les services généraux. Le fait qu'il s'agisse de prestations humaines conduit en effet les acheteurs à utiliser cette méthode avec précaution. D'ailleurs, de nombreuses entreprises comme Bouygues Telecom, Pfizer ou Eiffage, ne souhaitent pas recourir aux enchères en ligne pour acheter des prestations dans la sécurité, la propreté, le nettoyage ou l'accueil. Ce procédé permet, en effet, aux donneurs d'ordres de mettre en concurrence directe plusieurs prestataires via Internet et une plateforme servant d'interface entre les protagonistes. Ces derniers sont conviés à une séance d'enchères en ligne qui dure en moyenne deux heures. La date, l'heure, l'adresse internet à laquelle il faut se connecter ayant été préalablement communiquées aux différents participants. Le jour J, l'acheteur a le choix entre fixer un prix de départ ou laisser les enchères commencer au prix que souhaite le premier enchérisseur.

De leur côté, les prestataires de services généraux affichent un enthousiasme mesuré vis-à-vis des enchères en ligne. Phone Régie, société spécialisée dans les métiers de l'accueil en entreprise, y participe moins par conviction que pour se positionner sur le marché, en donnant une seule et unique enchère. Si Uniprotect et Vigimark, deux sociétés de sécurité, ont participé par le passé à ce type d'enchères, aujourd'hui elles ne souhaitent plus y prendre part. Ce procédé présente en effet certains inconvénients.

Contrairement aux enchères traditionnelles, les prestataires vont, à partir du prix de départ, enchérir à la baisse. «Une enchère inversée peut, d'une certaine manière, s'apparenter au poker: les prestataires consultés ont tendance à se comporter comme des joueurs, toujours tentés de descendre au-dessous du prix minimum qu'ils se sont fixé», précise Lawrence Canu, consultant et conseiller du président de la société Uniprotect. Pour Jean-Luc Lattuca, président du Syndicat national des entreprises de sécurité (SNES) et du groupe Vigimark, les enchères inversées constituent une «pratique déviante» qui ne permet pas de connaître la capacité financière et opérationnelle des participants proposant les prix les plus bas. Pour remporter un appel d'offres par enchères inversées, certaines sociétés sont en effet prêtes à «brader» leurs prestations. Ce qui peut engendrer des conséquences dramatiques. «En effet, 70% des sociétés de sécurité ayant remporté, par ce biais, l'appel d'offres lancé en 2005 par France Télécom, ont déposé leur bilan dans la même année», assure Jean-Luc Lattuca. De son côté, Claude Tarlet, président de l'Union des entreprises de sécurité privée (USP), milite auprès de ses adhérents pour que cette méthode ne s'impose pas dans son secteur et reste une pratique marginale. «Choisir le prestataire le moins-disant favorise le dumping social. Les enchères inversées participent également à faire baisser la qualité de nos prestations et de nos marges, qui sont déjà bien faibles au regard de nos coûts de revient», souligne-t-il. Pour Charles-Louis Mame, directeur commercial de Phone Régie, les enchères inversées dans le métier de l'accueil en entreprise posent problème d'un point de vue éthique car «elles dévalorisent un métier fait principalement de ressources humaines et donne par voie de conséquence la désagréable impression de spéculer sur le coût de l'humain». De son côté, Jean- Claude Chevillon, directeur associé du cabinet Leane Expertise, spécialisé dans la réduction des coûts opérationnels, déplore que les négociations de prix dans le cadre d'enchères inversées s'effectuent au final entre les différents participants et non entre l'acheteur et ses prestataires. En effet, l'acheteur se positionne en arbitre de la baisse des prix.

Charles-Louis Mame, Phone Régie

«Ces enchères donnent l'impression de spéculer sur le coût de l'humain.»

De la bonne pratique des enchères inversées

Si certains prestataires considèrent que c'est le «moins coûtant» ou le «moins-disant» qui emporte l'enchère, tous ne partagent pas cet avis. La société Phone Régie a, ainsi, gagné il y a quelques années un appel d'offres à la suite d'une enchère en ligne alors qu'elle n'avait pas proposé le prix le plus bas. En effet, d'autres critères entrent en jeu dans l'évaluation d'un prestataire: sa réactivité, l'historique de la relation acheteur-fournisseur, ses capacités logistiques, son implantation géographique, etc. Le résultat de l'enchère inversée - un prix - peut être pondéré par la note technique de la réponse donnée par le prestataire au cahier des charges. Pour Hicham Abbad, directeur commercial de K-Buy, cabinet de conseil spécialisé dans les achats et la logistique, le prix représente selon les cas entre 20 et 80% de la note globale.

Si la mise en œuvre de cette méthode ne change en rien le processus traditionnel d'achat qui comprend toujours un appel d'offres visant à sélectionner des fournisseurs, un cahier des charges et un contrat, le recours aux enchères inversées doit être parfaitement encadré. «Une séance d'enchères en ligne se prépare bien en amont. Je déconseille cette pratique aux entreprises qui ne maîtrisent pas parfaitement toutes les ficelles de ce procédé», affirme Hicham Abbad (K-Buy).

Tout d'abord, l'acheteur doit présélectionner des prestataires auxquels il va envoyer son cahier des charges. Celui-ci doit être clair, extrêmement précis et contenir des informations sur les modalités de la consultation de l'enchère (durée de la séance, prolongations éventuelles) et sur les règles d'attribution du marché. Ce document doit également demander des renseignements sur le prestataire: sa taille, son chiffre d'affaires, ses références clients, sa politique concernant les ressources humaines ou le développement durable. L'acheteur procède ensuite à l'analyse des offres. Dans certains cas, il est nécessaire de rencontrer les fournisseurs à l'occasion d'une soutenance pour obtenir des précisions sur leurs propositions. Avant l'enchère, il est important que les prestataires s'assurent qu'ils maîtrisent tous les scénarios de prix envisageables, avec leurs répercussions sur leurs taux de marge. En général, une enchère-test a également lieu pour valider la bonne maîtrise de l'outil par les quatre ou six fournisseurs conviés.

Lors de la séance, l'information donnée aux fournisseurs sur son positionnement peut être de plusieurs types: soit le fournisseur a connaissance des offres tarifaires effectuées par ses concurrents en tout anonymat, soit il est informé sur la place qu'il occupe (premier, second, troisième...) par rapport à ses «adversaires». Au coup de marteau final, l'identité du candidat retenu peut être révélée aux prestataires participants qui en font la demande. L'acheteur doit également enregistrer et conserver pendant un an les données concernant le déroulement des enchères, la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) pouvant procéder à des contrôles.

Lawrence Canu, Uniprotect

«Les enchères s'apparentent au poker: les prestataires sont tentés de descendre au-dessous du prix minimum qu'ils se sont fixé.»

Une technique bien adaptée aux achats «standard»

Pour Olivier Wajnsztok, directeur associé d'Agile Buyer, cabinet de conseil spécialisé dans les achats opérationnels, cette technique de négociation est adaptée dans certains cas. Elle peut se pratiquer lorsque le volume d'achats de la famille concernée dépasse un million d'euros et s'il s'agit d'une prestation standard ne présentant pas d'aspect technique au niveau de la sécurité (nettoyage de bureaux classiques non sécurisés comme dans le cas d'une banque, par exemple). Si les acheteurs voient dans les enchères électroniques inversées l'occasion de réduire leurs coûts par une mise en compétition en temps réel, les prestataires redoutent plutôt un risque de concurrence déloyale. Ce type de procédé n'en est encore qu'aux prémices de son développement dans les services généraux.

Jean-Michel Ponthieux, responsable achats et servi ces généraux France

Jean-Michel Ponthieux, responsable achats et servi ces généraux France

Témoignage
«Je préfère recourir à un cabinet de conseil»

Barry Callebaut
ACTIVITE Fabrication de cacaos et de produits chocolatés
CHIFFRE D'AFFAIRES 2007 2,55 milliards d'euros
EFFECTIF GLOBAL (MONDE) Environ 7 500 personnes
EFFECTIF ACHATS FRANCE 9 personnes
Pour acheter des prestations de services généraux, la société Barry Callebaut France, spécialisée dans la fabrication de cacaos et produits chocolatés, fait appel à des cabinets de conseil plutôt que de pratiquer des enchères inversées. «Celles-ci ne permettent pas de définir clairement tout ce qui est compris dans le prix. Certains critères comme la définition de la performance de la prestation, la politique de formation ou le plan de progrès des entreprises candidates n'apparaissent pas», déplore Jean-Michel Ponthieux, responsable achats et services généraux de Barry Callebaut France. Ce dernier choisit parfois la voie de l'externalisation en s'appuyant sur des consultants spécialisés. «Pour choisir une prestation de gardiennage, le cabinet prend en compte la typologie technique du site à surveiller, les contraintes internes, géographiques ou économiques», avance Jean-Michel Ponthieux. Celui-ci n'est pourtant pas opposé à l'idée de recourir un jour aux enchères inversées pour acheter des fournitures de bureau, du matériel informatique ou des produits «standard». «Je n'ai rien contre le fait de procéder ponctuellement à une enchère inversée, lors de renouvellement de contrat pour me faire une idée des prix pratiqués sur le marché», conclut Jean-Michel Ponthieux.

Yves Rousteau, directeur achats de CGG Veritas

Yves Rousteau, directeur achats de CGG Veritas

Témoignage
«Je n'exclus pas de recourir aux enchères inversées dans les services généraux»

CGG Veritas
ACTIVITÉ : Services pétroliers
CHIFFRE D'AFFAIRES 2007 : 2,4 milliards d'euros
EFFECTIF GLOBAL (GROUPE) : 6 000 collaborateurs
VOLUME D'ACHATS 2007 : 1,4 milliard d'euros
EFFECTIF ACHATS : 60 personnes
Depuis 2003, le groupe français de services pétroliers CGG Veritas pratique les enchères électroniques inversées pour acheter du fioul, choisir un transporteur (maritime, aérien) et des produits télécoms. «Même si, actuellement, nous n'achetons pas de prestations dans les services généraux par ce biais, nous n'excluons pas d'y recourir un jour», annonce Yves Rousteau, directeur achats chez CGG Veritas. Celui-ci précise que les enchères inversées pour l'achat de fioul ou de prestations de services généraux offrent les mêmes avantages. «Elles représentent un moyen de négociation efficace: d'une part, nous identifions rapidement l'offre la plus intéressante; d'autre part, nous réduisons le temps de négociation car une séance dure environ deux heures», note Yves Rousteau.
Autre point positif pour CGG Veritas: la transparence. Selon Yves Rousteau, avec les enchères inversées, aucun prestataire ne se sent lésé. Tous les participants sont sur un pied d'égalité. Le jour J, chacun peut renchérir comme il le souhaite. Enfin, ce procédé est un bon moyen pour CGG Veritas d'améliorer son cahier des charges par l'ajout au fil du temps de nouvelles données, notamment sur les processus de contrôle de la qualité.

 
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Nathalie Costa

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